Egypte: les conflits en Ukraine et à Gaza ont accentué la crise

Depuis le renversement, le 3 juillet 2013, du président Mohamed Morsi, issu des rangs des Frères musulmans, et l’arrivée au pouvoir en Égypte du président Abdel Fattah al-Sissi en 2014, la situation des chrétiens a évolué positivement: ils ont davantage de libertés. Mais sous la pression des fondamentalistes musulmans et la crise économique, la situation se dégrade, confie le Père Kamil Samaan, de passage en Suisse, du 9 au 17 mars 2024.

Jacques Berset, pour cath.ch

Il y a désormais en Égypte davantage de sénateurs, de députés et de gouverneurs chrétiens. Le président al-Sissi a choisi une femme chrétienne pour diriger la province de Damiette, dans le delta du Nil, a expliqué le Père Kamil Samaan, prêtre copte catholique et professeur d’Ancien Testament au Caire (voir encadré). Il a aussi nommé en février 2022 le juge Boulos Fahmy Eskandar comme premier chrétien copte à la tête de la Haute Cour constitutionnelle d’Égypte, ajoute-t-il. Le Père Samaan s’exprimait lors d’une conférence donnée à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse ACN». ACN finance également des sessions de formation pour les chrétiens, notamment pour les séminaristes et les prêtres.

«C’est un signal important! Mais le président doit compter avec la persistance d’une mentalité hostile bien ancrée de certains milieux fondamentalistes musulmans, qui refusent presque tout ce qu’il propose concernant les chrétiens», souligne Le Père Samaan. Il est encore courant que des chrétiens soient désavantagés à cause de leur foi pour obtenir des emplois ou des places à l’université.  

Le Père Kamil Samaan, prêtre copte catholique, témoigne du sort des chrétiens d’Egypte | © Jacques Berset

Les chrétiens forment le 10% des 110 millions d’Egyptiens

Les chrétiens toutes confessions confondues forment tout de même quelque 10% des 110 millions d’Egyptiens, même si Kamil Samaan pense qu’ils n’atteignent pas cette proportion, du fait de l’émigration, qui les touche particulièrement, mais aussi parce qu’ils ont moins d’enfants que les musulmans. Ainsi leur nombre reste stable alors que la population égyptienne s’accroit rapidement. De plus, un certain nombre de chrétiens se convertissent à l’islam notamment par commodité ou pour obtenir des fonctions qui sinon leur restent fermées. Les coptes catholiques sont environ 250’000, soit bien moins que l’Eglise copte orthodoxe.

«Le président doit compter avec la persistance d’une mentalité hostile bien ancrée de certains milieux fondamentalistes musulmans, qui refusent presque tout ce qu’il propose concernant les chrétiens»

La situation générale en Egypte est tendue depuis la crise du coronavirus, mais également en raison de la guerre en Ukraine, et surtout maintenant à cause de la guerre sanglante dans la Bande de Gaza et les attaques des rebelles houthis du Yémen contre des navires commerciaux en mer Rouge, qui ont fait perdre plus de la moitié des revenus du canal de Suez. Ces événements ont accentué la crise économique dans le pays.

Refus de l’épuration ethnique de Gaza

Pour le Père Kamil Samaan, si l’Egypte aide les populations assiégées de Gaza et accepte de soigner des blessés, elle ne va jamais accepter un transfert de la population palestinienne de Gaza, comme le voudraient certains milieux israéliens. «L’Egypte n’est pas en mesure de supporter un tel déplacement de population, qui de plus doit pouvoir rester sur sa terre. Pas question donc d’accepter le transfert des habitants de Gaza sur le territoire égyptien, nous ne sommes pas responsables de cette situation !». Les Gazaouis sont d’ailleurs en grande partie des descendants des réfugiés de 1948, chassés de leurs villes et villages lors de la création de l’Etat d’Israël. Les Egyptiens ne veulent pas que cette tragédie se répète.

Difficiles relations avec l’Eglise copte orthodoxe

De plus, l’Eglise copte orthodoxe vient de rompre le dialogue avec l’Église catholique en raison de ses positions «libérales» concernant l’homosexualité, mais c’est un prétexte, confie le Père Samaan. En effet, les coptes orthodoxes n’ont pas pris une telle mesure envers les anglicans, alors que l’anglicanisme connaît les femmes prêtres et évêques, et admet la bénédiction des couples homosexuels et les prêtres gays.

Le Saint-Synode de l’Église copte orthodoxe d’Egypte a ainsi décidé, le 7 mars 2024, de suspendre le dialogue avec l’Église catholique en raison du «changement de position» de Rome sur l’homosexualité. Cette décision a été prise par 110 membres présents au monastère Saint-Bishoy du Wadi El-Natrun, – sur 133 membres du Saint-Synode – réunis en assemblée générale sous la houlette du pape Tawadros II, patriarche d’Alexandrie.  

L’Église copte orthodoxe souhaite «réévaluer les résultats obtenus depuis le début du dialogue» avec l’Église catholique, commencé il y a vingt ans, près de trois mois après la publication de Fiducia supplicans, un texte du Vatican qui autorise les prêtres catholiques à accorder des bénédictions non liturgiques aux couples homosexuels.  

Le professeur Kamil Samaan regrette beaucoup la décision du Saint-Synode de l’Église copte orthodoxe, lui qui a l’œcuménisme au cœur. Il a notamment enseigné de 2015 à 2017 l’Ecriture sainte au séminaire protestant du Caire, l’Evangelical Theological Seminary.  Il fut également co-secrétaire du Conseil des Eglises d’Egypte jusqu’en 2017, où il représentait l’Eglise catholique dans toute sa diversité (7 rites différents).

Le chef de l’Eglise copte orthodoxe, le pape Tawadros II, est très ouvert, note le Père Samaan, mais il doit compter avec les évêques conservateurs de l’ancienne garde de son prédécesseur, le pape Chénouda III, qui bloquent toute ouverture, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du baptême catholique.

Dans une déclaration commune avec le pape François, le 28 avril 2017 au Caire, le pape copte Tawadros II s’était engagé au nom de son Église à chercher «sincèrement à ne plus répéter le baptême qui a été administré dans nos Églises respectives pour toute personne qui souhaite rejoindre l’une ou l’autre». Mais des évêques l’ont menacé de destitution s’il acceptait la reconnaissance des baptêmes catholiques. (cath.ch/jbe)

Le prêtre copte catholique égyptien, professeur d’Ancien Testament au Caire, était de passage en Suisse alémanique et au Tessin du 9 au 17 mars 2024 à l’invitation JB

Père Kamil Samaan, l’œcuménisme au cœur
Né le 30 octobre 1952 à Assiout, à quelque 370 km au sud du Caire, le Père Kamil Samaan a commencé sa formation à l’âge de 12 ans au séminaire des Pères franciscains situé dans la capitale de la Haute-Egypte. Jusqu’en 1969, il y fait ses premières armes en théologie, avant de rejoindre le séminaire de Maadi, au Caire, où il termine ses études de base. Après une période de service militaire en 1976-1977, effectuée dans la région de Suez, il est ordonné prêtre le 12 juin 1978. Il a ensuite travaillé dans la pastorale à Assiout durant 5 ans, avant de partir en 1983 à Rome. Il y poursuit ses études à l’Institut biblique pontifical, où il obtient son doctorat en 1990. A son retour au Caire, il enseigne au grand séminaire inter-rituel de Maadi.
Aumônier depuis 2017 à l’hôpital italien du Caire, le Père Kamil Samaan travaille au sein d’une commission pour la réhabilitation de victimes de violences, en particulier sexuelles. Il s’agit d’une initiative des diocèses d’Assiout et de Minya, en Haute-Egypte. Il dirigeait l’orphelinat du Bon Samaritain au Caire de 2010 à 2017. Ancien président de l’Institut Supérieur de Sciences religieuses du Caire (2000-2011), il y enseigne l’Ecriture Sainte. Il fait partie de la commission nationale «Justice et Paix» égyptienne.
Le Père Kamil Samaan a participé à la fondation d’un Institut œcuménique pour le Moyen-Orient à Beyrouth, qui accueille des étudiants chrétiens de toutes les confessions et de tous les rites. Les cours sont donnés à 40 étudiants venant du Soudan, d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, d’Irak, de Palestine et du Liban. Créé à l’initiative de la Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants (FUACE), une fédération œcuménique accueillant des personnes de toutes les traditions chrétiennes: protestante, orthodoxe, pentecôtiste, catholique et anglicane et d’autres confessions. Cet établissement s’est donné pour objectif de former des étudiants en sciences bibliques. JB

Jacques Berset

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