L’hôtel-restaurant de la station de montagne de Pischa à Davos a récemment fait la une des journaux internationaux rappelle swissinfo.ch. Il avait affiché un panneau en hébreu où on pouvait lire que les luges et les skis ne seraient plus loués aux clients juifs.
Le propriétaire du restaurant s’est excusé de cette formulation et a expliqué aux médias que la décision n’avait rien à voir avec la religion, mais qu’elle était motivée par des questions de sécurité et par les désagréments causés par des clients en baskets qui louaient du matériel et abandonnaient ensuite des luges sur la piste.»Nous ne voulons plus courir le risque qu’un jour ou l’autre, l’un de ces clients ait un grave accident et nous demande des comptes», expliquait-il.
Entre-temps l’affiche a été retirée et remplacée par un panneau en allemand indiquant de manière générale que des vêtements et des chaussures d’hiver appropriés étaient nécessaires pour la location d’équipements sportifs.
Mais le mal était fait. La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) a qualifié le panneau de discriminatoire et a annoncé qu’elle allait envisager une action en justice. La police du canton des Grisons a également ouvert une enquête d’office.
L’incident de Pischa n’est pas un cas isolé, les tensions entre la population de Davos et les hôtes juifs orthodoxes couvent depuis des années. On estime qu’en été, environ 3’000 à 4’000 juifs orthodoxes passent leurs vacances dans cette localité de 11’000 habitants. Pour comparaison l’ensemble de la Suisse compte quelque 18’000 juifs dont une petite minorité d’orthodoxes.
Les premiers hôtes juifs sont arrivés à Davos vers 1870. Au tournant du siècle, des maisons d’hôtes à la gestion orthodoxe ont vu le jour et, en 1919, le sanatorium juif Etania a été ouvert à Davos. Fermé en 2000, il a été récemment transformé en une auberge de jeunesse spécialement conçue pour répondre aux besoins des hôtes juifs.
Au cours des vingt dernières années, des membres de la communauté juive de Suisse ont contribué à la mise en place d’infrastructures à Davos, dont une synagogue dans un ancien hospice. Plusieurs hôtels sont gérés par des familles juives qui proposent une cuisine casher ou des salles de prière. Les supermarchés du village vendent des aliments casher. Des rabbins connus d’Israël, d’Anvers et de New York y sont invités. Le nombre de visiteurs juifs étrangers a augmenté de manière constante, notamment de Grande-Bretagne, de Belgique, des États-Unis et d’Israël.
Samuel Rosenast, porte-parole de Davos Klosters Tourismus, a indiqué à swissinfo.ch que la station n’a pas mis en place de services spéciaux pour les hôtes juifs. «Notre offre est la même pour tous les hôtes. Nous ne faisons aucune distinction d’origine, de religion ou de culture».
Cette présence massive d’hôtes juifs orthodoxes, parlant le plus souvent yiddish, a provoqué des tensions avec la population locale. Les habitants se plaignent des juifs qui jettent leurs déchets n’importe ou qui pique-niquent sur des places réservées aux clients des restaurants. En 2017, un hôtel d’Arosa, une station voisine de Davos, avait suscité l’émoi en affichant explicitement sur un panneau que les clients juifs devaient prendre une douche avant de se baigner. Cela avait entraîné une plainte officielle du ministère israélien des Affaires étrangères.
En 2019, des habitants se sont plaints d’une procession de 2000 juifs orthodoxes qui participaient à une cérémonie religieuse dans les rues de Davos.
Le directeur de Davos Klosters Tourismus, Reto Branschi, a jeté de l’huile sur le feu en se plaignant dans une interview du comportement des hôtes juifs et en déclarant que certaines personnes ne se comportaient pas de manière respectueuse.
Jonathan Kreutner, secrétaire général de la FSCI reconnaît qu’il y a certes des incidents antisémites isolés, «mais que la plupart des problèmes sont dus à des malentendus ou à une méconnaissance de l’autre culture». Comme les juifs orthodoxes se font remarquer par leur tenue vestimentaire, cela peut conduire à des discriminations a expliqué Jehuda Spielman, un juif orthodoxe siègeant au conseil municipal de Zurich.
Ces quelques incidents n’ont toutefois pas entamé l’intérêt des juifs pour Davos. «Le tourisme juif à Davos est en augmentation depuis des années. La grande majorité des hôtes ne perçoit pas de tels problèmes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas nécessaire d’apaiser les tensions», relève J. Kreutner.
La FSCI avait lancé il y a quelques années le projet «Likrat Public Dialogue» avec des ateliers et des brochures d’information pour les hôtels locaux, les entreprises et les hôtes juifs. De jeunes juifs ont également visité différents villages de montagne afin de servir de médiateurs entre les habitants et les hôtes juifs orthodoxes.
Mais en août dernier, Davos Klosters Tourismus a mis fin unilatéralement à sa participation au projet. Selon les médias, l’office du tourisme ne se sentait pas pris au sérieux par la médiation. «Quelque chose qui ne va pas. Un changement de mentalité est nécessaire», reconnaît J. Kreutner. (cath.ch/swi/mp)
Maurice Page
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