A l’heure où le débat bat son plein, partisans et opposants s’échauffent sur de nombreux thèmes, comme le découpage territorial, les coûts supplémentaires pour l’Etat ou le droit de vote des étrangers au niveau communal. Les articles 171 à 174 consacrés aux relations Eglises-Etats ne semblent cependant pas donner lieu à contestation. Si les Églises saluent la manière dont le texte envisage leur rapport avec l’Etat, elles ne donnent cependant pas de consigne de vote.
«Les Églises s’en tiennent au rôle qui leur revient au sein de la société civile», ont noté dans un communiqué conjoint du 11 janvier 2024 les trois communautés ecclésiales reconnues par l’Etat valaisan, soit le diocèse de Sion, l’Abbaye territoriale de Saint-Maurice et l’Eglise évangélique réformée du Valais .
«Globalement nous sommes satisfaits de la proposition», expliquait en 2023 à cath.ch l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion. «Les discussions entre les Églises et avec les constituants, menées depuis plusieurs années, ont été fructueuses. Même si diverses questions restent ouvertes, les bases constitutionnelles sont solidement posées.»
«L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine. Il reconnaît la contribution des Églises et des communautés religieuses au lien social et au bien commun.»
Projet de Constitution art 171
L’Eglise catholique s’est intéressée à trois domaines spécifiques de la nouvelle Constitution: les droits fondamentaux, le préambule et les relations Eglises-Etat. Parmi les droits fondamentaux on peut relever le droit à la vie et la protection de la maternité. «Nous sommes cependant plus inquiets de l’introduction de la notion de ‘fin de vie digne librement choisie’, introduite dans le texte (art.14)». Certains en effet y voient la porte ouverte au suicide assisté et à l’euthanasie alors que ce même article commence en disant: «Tout être humain a droit à la vie».
Autre élément de satisfaction, l’art. 171 qui dit : «1. L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine. 2. Il reconnaît la contribution des Églises et des communautés religieuses au lien social et au bien commun.»
Le Préambule, de portée surtout symbolique, a maintenu l’invocation au Dieu Tout-puissant. Il se base ensuite sur la dignité humaine et la liberté. Ce qui convient aux Églises. Il s’agissait d’un point controversé au sein de l’Assemblée constituante, certains voulant se défaire de cette référence au nom de la laïcité. Une majorité de ses membres a finalement décidé en 2022 de garder cette formulation.
La question des rapports Eglises-Etat est un autre point décisif. Trois pistes étaient possibles. Le statu quo, souhaité par certains, ne semblait pas très viable à moyen-long terme. Une séparation Eglise-Etat explicite, comme à Neuchâtel ou à Genève, n’allait pas dans le sens souhaité par la majorité des Valaisans. «Même chez certains partisans d’une forte autonomie du temporel, l’attachement à l’histoire et à la tradition catholique du Valais a prévalu», notait Pierre-Yves Maillard. La solution adoptée se trouve entre les deux. Elle apporte néanmoins des changements assez significatifs.
«L’État assure aux Eglises les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches au service de la population…»
Projet de Constitution art. 172.2
Elle confirme le statut de droit public pour les Églises catholique et réformée et offre la possibilité aux autres communautés d’obtenir une reconnaissance d’intérêt public.
Le changement principal est que «l’État leur assure les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches au service de la population sur la base d’un contrat de prestations.» (art 172.2). Le projet de Constitution prévoit ainsi que seul l’Etat assure les moyens des Églises, et non plus les communes qui jusqu’à présent couvrent le déficit des paroisses. «Ce financement par les communes montre quelques signes d’essoufflement», relevait le vicaire général. Pour lui, la nouvelle disposition est intéressante car elle permet de corriger les inégalités entre communes et paroisses riches et pauvres.
Le changement du mode de financement doit en outre permettre d’assurer au diocèse les moyens de son fonctionnement et de la pastorale régionale et diocésaine, qu’il faut aujourd’hui ‘mendier’ à gauche et à droite, notamment par la quête de la Toussaint.
«La Mission Intérieure suisse (MI), qui fournit une contribution au diocèse de Sion pour son fonctionnement, remet aussi en question la pérennité de son aide. Dans un canton majoritairement catholique, l’Eglise du Valais doit être en mesure d’assumer elle-même ses charges», expliquait le vicaire général.
De même, la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) déplore que le diocèse de Sion n’ait pas actuellement la capacité de contribuer aux tâches de l’Eglise suisse à la hauteur qui devrait lui revenir, comme le font pratiquement tous les cantons.
«Les Églises reconnues de droit public et les communautés religieuses s’organisent en toute indépendance, dans les limites de l’ordre juridique et dans le strict respect de la paix confessionnelle.»
Projet de Constitution art. 174
L’idée que l’Eglise dépende d’un contrat de prestations, telle qu’exprimée dans le projet, a interpellé certaines personnes qui craignaient une mainmise de l’autorité civile, qui pourrait ainsi lui dicter ses activités. «Les constituants se montrent rassurants là-dessus puisque l’article 174 prévoit que les Eglises s’organisent en toute indépendance», rappelle Pierre-Yves Maillard.
L’ordre de grandeur de la contribution de l’Etat devrait être de 30 à 35 millions de francs par an, ce qui correspond à ce que paient aujourd’hui les communes, «mais les montants resteront à déterminer».
La question du mode de financement a été longuement discutée. On a évoqué l’introduction d’un impôt ecclésiastique, comme il existe dans une majorité de cantons suisses et dans trois communes valaisannes.
Finalement les constituants ont adopté le ‘modèle vaudois’ avec une contribution directe de l’Etat, prise sur son budget de fonctionnement. «C’est probablement le modèle le plus favorable à moyen et long terme pour les Églises, puisqu’il ne dépend pas directement du nombre de membres, ni des éventuelles sorties d’Eglise», relève Pierre-Yves Maillard.
Ce système n’a pas prévu d’inscrire dans la Constitution le principe d’une possible exonération pour les personnes sans confession. Les constituants ont mis en avant le principe de l’universalité de l’impôt. Dans la mesure où le soutien aux Églises fait partie des tâches de l’Etat au même titre que les routes ou les écoles, il n’existe pas de raison d’en exonérer les personnes.
L’article 174.2 du projet de Constitution, qui veut que «les Églises reconnues de droit public et les communautés religieuses s’organisent en toute indépendance», satisfait aussi Pierre-Yves Maillard. «Nous sommes ainsi libres de réfléchir à notre organisation future.»
En effet, contrairement à d’autres cantons, comme Fribourg ou le Jura, le projet n’inclut pas la création de corporations ecclésiastiques de droit civil, au plan paroissial ou cantonal.
La contribution de l’Etat pourrait revenir directement au diocèse, charge à lui de l’administrer et de la distribuer aux paroisses. Elle pourrait aussi être attribuée à une nouvelle instance à créer qui pourrait être une fédération de paroisses, là encore à la mode vaudoise. «Mais il faut voir qu’une nouvelle structure représente aussi des coûts de fonctionnement supplémentaires.»
«Les visites pastorales nous montrent que les paroisses restent attachées à leurs prérogatives locales»
Pierre-Yves Maillard, vicaire général
«Les visites pastorales nous montrent que les paroisses restent attachées à leurs prérogatives locales», explique Pierre-Yves Maillard. Mais elles sont aussi confrontées au manque de relève et à la complexité grandissante des tâches. Un allègement devrait être bienvenu.
En Valais, les paroisses sont propriétaires des églises et lieux de culte. Le projet de constitution stipule que l’Etat «veille à la préservation du patrimoine religieux selon ses moyens.(art.171.3)». Là encore une future loi devra préciser les choses.
Une des autres choses à démêler sera la question de l’engagement des agents pastoraux. Actuellement il y a une double dépendance. L’évêque donne la mission pastorale canonique, et la paroisse est l’employeur qui salarie la personne. «Les laïcs ont un contrat de travail qui les lie à la paroisse, tandis que les prêtres sont au bénéfice de la nomination par l’évêque», précise Pierre-Yves Maillard. Mais pour l’heure, la question n’a pas encore été débattue.
Si la population valaisanne accepte le nouveau texte le 3 mars, celui-ci entrera en force immédiatement. Il reviendra alors au Conseil d’Etat et au Grand Conseil d’établir sa mise en œuvre dans un délai de cinq ans. Si le texte est rejeté, la Constitution actuelle restera en vigueur comme si rien ne s’était passé. Aucun filet de sécurité n’a été envisagé, rien n’est prévu pour une reprise du projet. Il faudra alors passer par des révisions partielles ponctuelles. (cath.ch/mp)
Chapitre 7 Églises et communautés religieuses
Art. 171
1 L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine.
2 Il reconnaît la contribution des Églises et des communautés religieuses au lien social et au bien commun.
3 Il veille à la préservation du patrimoine religieux selon ses moyens.
Art. 172
Églises reconnues de droit public
1 L’Église catholique romaine et l’Église réformée-évangélique sont reconnues comme personnes juridiques de droit public.
2 L’État leur assure les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches au service de la population sur la base d’un contrat de prestations.
3 L’État contrôle l’exactitude et la transparence des budgets, des comptes ainsi que la gestion du patrimoine des Églises et des paroisses bénéficiant de l’aide publique.
4 La loi fixe les prestations de l’État.
Art. 173
Communautés religieuses
1 Les communautés religieuses sont soumises au droit privé.
2 A leur demande, l’État peut leur conférer le statut d’intérêt public.
3 Leur reconnaissance est liée notamment à leur importance, à la durée de leur implantation et à un fonctionnement respectueux de l’ordre juridique et des règles de la transparence.
Art. 174
Organisation et autonomie
1 Chaque Église de droit public ou chaque communauté religieuse d’intérêt public fait l’objet d’une loi.
2 Les Églises reconnues de droit public et les communautés religieuses s’organisent en toute indépendance, dans les limites de l’ordre juridique et dans le strict respect de la paix confessionnelle.
Maurice Page
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