Mali: les ravisseurs du Père Lohre lui ont demandé pardon

«Ils m’ont demandé pardon et je leur avais déjà pardonné», révèle le Père Joachim Lohre à propos de ses ravisseurs. Le missionnaire allemand a été libéré fin 2023, après avoir été retenu 12 mois par un groupe islamiste au Mali. Il revient sur une expérience non dénuée d’enseignement humain.

«L’Allemagne est en guerre contre nous, elle a des soldats à Gao, au Mali, et elle entraîne l’armée malienne avec l’Union européenne (…). La prise d’otages est notre vengeance contre votre pays». Telle est la réponse que le Père Lohre, des Missionnaires d’Afrique (plus connus sous le nom de ›Pères Blancs’), a reçue du chef du groupe Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – JNIM), lié à Al-Qaïda, qui l’avait enlevé au Mali le 20 novembre 2022. Dans un article paru le 10 février 2024, l’Allemand retrace, par l’intermédiaire de l’agence missionnaire vaticane Fides, les points forts de ce qu’il appelle son «année sabbatique».

Des otages généralement bien traités

«Lorsque j’ai été pris en otage, j’ai eu la grâce de rester complètement calme et je n’ai pas eu peur», assure le Père Joachim. Le Père blanc est arrivé au Mali en 1981. Il connaît donc parfaitement le pays et la population, avec laquelle il a tissé une profonde relation de confiance.

«Je savais que les otages du JNIM sont généralement bien traités et j’ai vécu cette période dans la foi et la prière», poursuit le Père Lohre. «Je suis resté dans le désert de sable pendant quatre mois, avec une rotation mensuelle des gardes qui nous retenaient. Ensuite, j’ai passé six mois dans une zone désertique entre des rochers et des collines. Les derniers mois avant d’être libéré, j’étais avec d’autres otages. Nous nous réunissions toujours pendant une heure lors des repas préparés par un otage qui était avec nous, et nous pouvions parler de tout.»

Messe et football

«Au début, j’ai passé beaucoup de temps avec les jeunes gardes à parler de la foi musulmane et de la foi chrétienne. Au cours des quatre mois suivants, j’ai pu prier», raconte le missionnaire.

Il se levait et se couchait tous les jours avec le soleil. Il était autorisé à marcher 30 minutes par jour et disposait de deux heures pour la célébration eucharistique, qu’il dédiait au monde, à l’Église, à ses proches, au peuple malien et au dialogue interreligieux. «Chaque jour, je célébrais la messe en rompant le pain et en imaginant que j’avais aussi du vin».

Après le déjeuner, le Père blanc raconte qu’il priait le chapelet pendant une heure. Il méditait ensuite un passage de l’Évangile. Pendant le Ramadan, il s’est «prêché» une retraite ignatienne de 30 jours. Les derniers mois, il a pu avoir accès à une radio et écouter les nouvelles, notamment de Radio Vatican. Le week-end, il pouvait aussi suivre les matchs de football en Europe.

Respect entre croyants

Le «Père Ha-Jo», comme on l’appelle au Mali, révèle une relation sereine avec ses geôliers. Le missionnaire répète qu’il n’a jamais été maltraité. «Nous avons toujours eu des relations civiles, polies, respectueuses et même amicales. Ils faisaient simplement leur ‘travail’: me surveiller. Le chef des ravisseurs m’a demandé de leur pardonner ‘un jour’, ce que j’avais déjà fait, tout comme les jeunes hommes qui me gardaient dans la brousse, inquiets de savoir s’ils allaient me faire du mal. Même le chauffeur de la voiture qui m’a emmené vers la liberté m’a demandé pardon pour les ennuis que j’avais pu avoir».

Le missionnaire assure également que ses ravisseurs ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour s’assurer qu’il ne manque de rien. «Ils n’étaient pas de méchants bandits, ils ont agi pour des raisons religieuses. Ils exigeaient un ordre social fondé sur les commandements de Dieu dans le Coran. Je suis également croyant et c’est pourquoi nous nous sommes respectés mutuellement.»

Les raisons des prises d’otages

Au moment de la libération, l’un des chefs a expliqué au prêtre les raisons pour lesquelles ils prennent des gens en otage. «La première est que l’Occident, l’Europe et l’Amérique sont en guerre contre les musulmans, a-t-il expliqué; la deuxième est pour extorquer de l’argent ou demander une rançon pour les prisonniers; et la troisième est pour que plus aucun Européen ne vienne au Mali pour soumettre les musulmans avec certains de leurs comportements qui ne correspondent pas à notre culture.»

Après sa libération, dont les circonstances restent floues, le Père blanc est rentré en Allemagne. «Au Mali, assure-t-il à Fides, tout le monde m’attend: les musulmans et les chrétiens, l’Institut pour l’éducation islamo-chrétienne (IFIC) et le Centre pour la foi et la rencontre (CFR), la paroisse de Sainte-Monika. Je prie pour eux tous les jours». (cath.ch/fides/ap/arch/rz)

Le Mali en insécurité chronique

Le Mali est depuis des années dans une situation sécuritaire précaire. Dès 2012, le pays a subi des infiltrations d’Etats voisins de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation Etat islamique. La crise sécuritaire est aggravée par une crise humanitaire et politique profonde. En 2020, un coup d’Etat militaire a mis au pouvoir une junte qui tente de combattre les islamistes, ce qui s’est avéré, selon les observateurs, en grande partie un échec. Les groupes islamistes auraient doublé en un an le territoire qu’ils contrôlent.
Les hostilités se sont en outre multipliées en 2023 entre l’armée malienne et les groupes indépendantistes du Nord, principalement touaregs, suite au retrait de la mission des Nations Unies (MINUSMA), chassée par la junte après dix ans de présence. La junte malienne a été frappée par les sanctions imposées par l’ONU, mais elle est soutenue par un certain nombre d’Etats dont la Russie. La milice Wagner, liée au Kremlin, active sur le terrain, est également accusée d’avoir commis des exactions. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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