Ce sentiment a été attisé par les nombreuses explications apparemment nécessaires données à posteriori par les responsables de la déclaration, dont le pape François lui-même. L’exception dont les évêques africains ont finalement bénéficié a également questionné l’autorité du document.
Le lecteur de Fiducia supplicans doit quelque peu activer ses neurones pour en saisir toute la subtilité. Le texte semble ainsi à plusieurs reprises se contredire. Il assure notamment que «l’on peut comprendre la possibilité de bénir les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Eglise sur le mariage» (FS, p1), tout en rappelant que «l’Eglise (…) n’a pas le pouvoir de conférer sa bénédiction liturgique lorsque celle-ci peut, d’une certaine manière, offrir une forme de légitimité morale à une union qui se présente comme un mariage ou à une pratique sexuelle extra maritale.» (FS, p3)
L’explication du pape François selon laquelle ce sont les personnes qui sont bénies et non les couples a également eu de la peine à convaincre. Le blog catholique italien Korazym affirme ainsi: «Lorsque deux personnes qui vivent ensemble en couple se présentent ensemble et sont bénies ensemble main dans la main, il n’est tout simplement pas possible de soutenir qu’eux seuls sont bénis et pas leur union.» Sur le site américain Crux, le vaticaniste John Allen estime ainsi que le pape François n’a «pas donné une véritable raison de déposer les armes» mais plutôt «fourni aux diverses parties de nouvelles munitions».
«Se pourrait-il que la conditionnalité soit le noeud gordien des polémiques?»
La poursuite des «combats» paraît en effet inévitables. Mais la «guerre» pourrait peut-être prendre un autre tournant si l’on tentait un regard oblique sur la polémique. La presse, les réseaux sociaux et nombre de fidèles ont principalement observé Fiducia supplicans à la lumière du «pour ou contre l’homosexualité». Mais le document pose un enjeu peut-être plus central: celui de la conditionnalité des «services» de l’Eglise, tels que les diverses bénédictions.
Pour le dicastère de la Doctrine de la foi, «(…) le risque existe qu’un geste pastoral, si aimé et si répandu, soit soumis à trop de conditions morales préalables qui (…) pourraient obscurcir la force inconditionnelle de l’amour de Dieu sur lequel se fonde le geste de la bénédiction.» (FS, p3-4). Le texte ajoute: «Ces bénédictions apparaissent ainsi comme un don surabondant et inconditionnel» (FS, p4) «Dieu ne rejette jamais celui qui s’approche de lui!» (FS, p8). Ou encore: «Par conséquent, lorsque des personnes invoquent une bénédiction, une analyse morale exhaustive ne devrait pas être posée comme condition préalable à l’octroi de cette bénédiction. Aucune perfection morale préalable ne doit être exigée de leur part.» (FS, p6)
La lecture approfondie de Fiducia supplicans apporte comme un écho à la déclaration du pape François «Qui suis-je pour juger?» Elle remet en cause l’attitude «jugeante» de l’Eglise est interrogée. Une question d’ailleurs déjà posée en 2016 par l’exhortation apostolique Amoris laetitia. Au-delà de l’accompagnement pastoral des divorcés-remariés, le texte pose en filigrane la question: «Faut-il être ‘pur’ pour bénéficier de l’Eucharistie?», mais également: «Qui est en droit d’évaluer cette ‘pureté’?»
Se pourrait-il que la conditionnalité soit au final le nœud gordien des polémiques liées à l’administration des bénédictions et des sacrements? Cela n’implique-t-il pas que Rome pose cette question de manière plus frontale? Le risque existe en effet que de tels enjeux fondamentaux soient noyés sous les thèmes plus «médiatiques» que sont les situations de vie «non-conformes».
Raphaël Zbinden
5 février 2024
Portail catholique suisse
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