Maurice Page avec I.MEDIA
En fait de synodalité, c’est plutôt une impression de cacophonie qui a suivi la publication, le 18 décembre 2023, de la déclaration Fiducia supplicans. Publié par le dicastère pour la Doctrine de la foi et approuvé par le pape François, le texte ouvre la voie aux bénédictions non liturgiques aux couples en situation jugée irrégulière par l’Église, comme les couples homosexuels ou les divorcés-remariés et les concubins.
La proposition s’est vue opposer un refus massif notamment de la majorité des évêques africains. Nombre de cardinaux, probablement fâchés de ne pas avoir été consultés, ont eux aussi pris leurs distances avec Rome. Si cette levée de boucliers révèle les vives tensions qui traversent le catholicisme au sujet de la morale sexuelle, elle démontre aussi probablement un changement de paradigme dans le gouvernement de l’Eglise. Rome et le pape n’ont plus forcément le dernier mot.
Même le fidèle numéro 2 du Saint-Siège, le secrétaire d’Etat Pietro Parolin a laissé transparaître quelques réticences, au-delà des termes très diplomatiques. Commentant à la mi-janvier la déclaration, il a confié que le document avait ›touché un point très délicat, très sensible’ expliquant que des ›approfondissements’ seraient nécessaires.
«Fiducia supplicans peut admettre différentes modalités d’application, mais pas une négation totale ou définitive.»
Cardinal Víctor Manuel Fernández
Le cardinal Víctor Manuel Fernández, nouveau préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, a évidemment défendu vigoureusement ›son’ texte. Il a assuré dans de nombreuses interviews à la presse internationale que le document garantit la pérennité de l’enseignement de l’Église sur le mariage catholique, entre un homme et une femme. Fiducia supplicans ne change pas la doctrine, a-t-il martelé. Il a confié avoir reçu des menaces. Il a concédé finalement que la mise en œuvre du texte peut «admettre différentes modalités d’application» en fonction du contexte local, «mais pas une négation totale ou définitive».
Son principal contradicteur n’est autre que l’un des ses prédécesseurs, le cardinal allemand Gerhard Müller, à la tête du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF)de 2012 à 2017. Le prélat a violemment critiqué le document et averti les prêtres d’un risque de «blasphème». Pour lui, l’enseignement de Fiducia supplicans est «contradictoire» et n’exprime pas simplement «une évolution» de la doctrine mais «un saut doctrinal», qui s’oppose à la dernière déclaration du même DDF établie en 2021, et qui interdisait formellement de bénir des couples de même sexe.
Le cardinal suisse Kurt Koch n’a pas exprimé d’avis personnel sur la déclaration mais a confié les réactions qu’elle avait provoquées chez d’autres confessions chrétiennes. «J’ai reçu une longue lettre de toutes les Églises orthodoxes orientales. Ils veulent avoir des explications et des éclaircissements sur ce document», a déclaré le préfet du dicastère pour l’Unité des chrétiens.
Le cardinal Mario Grech – qui, comme secrétaire général du Synode sur l’avenir de l’Église, devient l’une des grandes voix dans l’Église – a plaidé à plusieurs reprises pour que la question de la bénédiction des couples de même sexe ne se limite pas aux préoccupations doctrinales, mais prenne également en compte l’aspect pastoral.
«Nous ne pouvons pas être le promoteur d’une déviation sexuelle. Qu’ils le fassent chez eux, mais pas chez nous».
Cardinal Fridolin Ambongo
En tant que président du Sceam, qui regroupe les conférences épiscopales d’Afrique, le cardinal Fridolin Ambongo a répondu au nom de l’Afrique en expliquant qu’il n’y aurait pas de bénédiction pour les couples homosexuels sur le continent. L’archevêque de Kinshasa, membre du conseil des cardinaux, et donc proche du pape, a convaincu ce dernier de ne pas faire appliquer le texte en Afrique, faisant valoir le risque de «confusion» et de «contradiction directe» avec la culture des communautés locales. Le cardinal s’en est pris durement à un Occident «en perte de vitesse en termes de valeur». «Nous ne pouvons pas être le promoteur d’une déviation sexuelle. Qu’ils le fassent chez eux, mais pas chez nous».
En tant que président de la conférence des évêques d’Afrique du Nord, l’archevêque de Rabat, Cristobal Lopez, lui a fait une réponse plus nuancée.»Quand des personnes en situation irrégulière viennent ensemble demander une bénédiction, on pourra la donner à condition que cela n’entraîne pas de confusion». Mettant en avant «le risque de positions tranchées et d’instrumentalisation susceptibles de mettre en péril l’unité de l’Église», il a estimé que la question des bénédictions «mériterait d’être réexaminée de manière apaisée dans le cadre de la dynamique synodale en cours dans l’Église universelle».
«La prière ne peut jamais être détournée pour devenir une légitimation du péché.»
Cardinal Robert Sarah
Le ton est a peu près semblable pour le cardinal Stephen Brislin, archevêque du Cap, en Afrique du Sud, soulignant que la bénédiction ne devait pas être «un rituel émis» par l’évêque ou d’autres autorités, mais que c’était au «pasteur» de décider.
Autre cardinal africain influent, Robert Sarah, fait partie, sans grande surprise, des plus critiques. Le préfet émérite de la congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements a dénoncé Fiducia Supplicans en soulignant que «le manque de clarté et de vérité et la division ont troublé et assombri la fête de Noël cette année». Allant jusqu’à parler «d’hérésie» il a martelé que la prière «ne peut jamais être détournée pour devenir une légitimation du péché».
(à suivre…)
Maurice Page
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