Par Alexis Gacon, aux États-Unis, pour cath.ch
Après le caucus républicain de l’Iowa, qui a vu Trump dominer de la tête et des épaules la concurrence, les primaires du New Hampshire auront lieu ce mardi 23 janvier. La route est encore longue vers les élections de novembre prochain, mais la manche retour du duel Trump-Biden semble déjà écrite. Les catholiques, qui sont plus de 50 millions aux États-Unis, ne peuvent être négligés par les deux camps.
Un ‘vote catholique’? Le professeur William D. Dinges est catégorique: ça n’existe plus! «Oui, il y avait un bloc catholique auparavant, qui votait pour le Parti démocrate jusqu’à l’élection de JFK, environ. Désormais, c’est plutôt un swing vote [un vote considéré comme décisif pour le résultat d’une élection, parce qu’il est difficilement prévisible, ndlr]», explique le professeur émérite à l’Institute for Policy Research and Catholic Studies de l’Université catholique américaine, basée à Washington, D. C.
De 1933 à 1970, il n’y a eu que deux présidents républicains et traditionnellement, les catholiques américains ont appuyé les démocrates contre vents et marées. Un bloc presque monolithique sur lequel le parti pouvait s’appuyer. «Un vote urbain, working class, souvent immigré», détaille le professeur Dinges. Mais c’était il y a plus de cinquante ans. Depuis, le bloc s’est délité. Comment?
Pour les spécialistes interrogés, une longue tendance et une ligne de fracture ont divisé, voire dissous, le vote catholique. Une histoire de migration, tout d’abord. «La base catholique immigrante a quitté les centres-villes pour rejoindre les banlieues. Ils sont aussi devenus plus riches et ont commencé ainsi à se tourner vers les républicains», explique William D. Dinges.
«La base catholique immigrante, devenue plus riche, a commencé à se tourner vers les républicains»
William D. Dinges
Ensuite, les politologues s’entendent pour dire que le clivage principal qui a fissuré l’appui des catholiques au Parti démocrate est l’avortement. «Dans les années 70, les démocrates ont soutenu la décision Roe vs Wade, qui légalise l’avortement, et ils ont perdu bien des catholiques à ce moment-là. Depuis, les Républicains ont su saisir les divisions qui ont régné autour de cet enjeu», observe Steven P. Millies, théoricien politique et professeur de théologie publique à la Catholic Theological Union de Chicago.
Blandine Chelini-Pont et Mark J. Rozell, co-auteurs du livre Catholics and US Politics After the 2016 Elections: Understanding the «Swing Vote« détaillent à quel point les stratèges républicains ont ciblé les catholiques du Midwest [les douze États du centre-nord, ndlr.] notamment, et les Évangéliques du sud sur la question des valeurs morales à partir de cette période. «Dans les années 1980, le GOP [Parti républicain, ndlr.] a réussi à séduire les électeurs «pro-vie» et de nombreux catholiques ont commencé à changer de parti ou à devenir indépendants», expliquent-ils dans The Conversation.
Le vote catholique est le même que le vote populaire depuis les années 1980, sauf en 2016, quand Donald Trump, qui avait perdu au nombre de voix, l’avait emporté parmi les catholiques. Lors du dernier scrutin, ils ont presque partagé leur vote équitablement entre les deux candidats.
Pour novembre prochain, il n’est pas aisé de deviner quel candidat aura les faveurs des électeurs catholiques, de plus en plus versatiles. Sans trop se mouiller, les experts interrogés évoquent des éléments qui pourraient peser dans le vote des catholiques.
L’éléphant dans la pièce, tout d’abord: le candidat républicain Donald Trump fait face en ce moment à 91 chefs d’accusations et devra affronter plusieurs procès (dont un à la veille du Super Tuesday), qui tiendront en haleine l’Amérique jusqu’au mois d’août. Est-ce que cette situation inédite pourrait jouer un rôle? Chaque affaire qui s’ajoute semble pourtant renforcer sa base, estime William D. Dinges. «Je crois que jouer la carte du martyr fonctionne», commente-t-il.
«La nomination de juges conservateurs a renforcé le charme de Trump auprès des évangéliques»
William D. Dinges
Par ailleurs, sa forte popularité chez les évangéliques, qui représentent 15 % des électeurs (8 électeurs évangéliques sur 10 l’ont appuyé en 2020) pourra difficilement être écornée. «La nomination de juges conservateurs, qui ont permis de renverser l’arrêt Roe vs Wade, a encore renforcé son charme auprès d’eux», soutient William D. Dinges.
Reste-t-il, parmi les catholiques, des électeurs républicains qui votent selon leurs valeurs, de probité notamment, et qui pourraient finir par délaisser le candidat et sa kyrielle de casseroles? Dans un article de Politico, les auteurs estiment que les «value voters» ont déserté le Parti républicain, face à l’avènement de Trump.
«Il n’est plus question de vote de valeur, mais de vote d’identité. Tu votes avec ou contre lui, dit Steven P. Millies. Le catholicisme aux États-Unis est plus devenu une identité de marque qu’un respect de la parole du pape. Désormais, les électeurs sont plus nombreux à être à l’aise de dire que le pape a tort et que Trump a raison», ajoute-t-il.
Une analyse qui s’appuie aussi sur des chiffres. D’après les données du Pew Research Center (Centre de recherche sociologique à but non-lucratif basé à Washington, D. C.), les catholiques américains sont plus souvent alignés sur la ligne de leur parti que sur celle de l’Église. Par exemple, même si le pape avait considéré l’extension du mur entre le Mexique et les États-Unis comme «non-chrétienne», 81 % des catholiques républicains étaient en faveur de son extension.
L’analyse peut cependant être nuancée. Le Pew Research Center observe que les catholiques, comme d’autres groupes religieux, ne cherchent pas forcément un président qui partage leurs croyances, mais qui vit une vie morale et éthique (62 % estiment que c’est très important pour eux). Est-ce assez important pour influer sur le vote? «Les 91 accusations sont un poids, c’est sûr. Elles n’étaient pas là en 2020. Ceux qui portent encore en eux des valeurs fortes pourraient avoir tendance à passer leur tour», évoque Steven P. Millies.
Et Joe Biden? Même si les primaires commencent à peine, sa nomination comme candidat démocrate est presque en poche, en raison de son statut de président sortant. Mais pourra-t-il s’appuyer sur le vote catholique, en tant que second président catholique élu depuis John Fitzgerald Kennedy?
«On est face à un moment historique. C’est la première fois dans l’histoire contemporaine américaine qu’un catholique va tenter d’obtenir un nouveau mandat. Mais ce que je pense, c’est que personne ne va parler de catholicisme, ou presque. À part ceux qui vont en faire une question d’identité, en creux. Les critiques du style: «Biden n’est pas un vrai catholique» peuvent plaire à une certaine frange électorale», dit Steven P. Millies.
«Les croyances religieuses ne sont plus le facteur central du vote des électeurs»
Steven P. Millies
Lors des dernières élections, Steven P. Millies faisait partie d’un comité mis sur pied par les organisateurs de la campagne de Joe Biden, qui tentait de cerner comment mieux parler aux électeurs catholiques. «Cette année, ils n’en ont pas mis un sur pied. Peut-être n’en ressentent-ils plus le besoin? Je pense que le vote catholique a été dissous. Les catholiques ont été assimilés. Les croyances religieuses ne sont plus le facteur central du vote des électeurs…», souligne le chercheur. Réponse le 5 novembre. (cath.ch/alg/gr)
Comment fonctionnent les primaires?
Au cours d’une primaire, les électeurs se rendent dans des bureaux de vote pour choisir leur candidat favori. Elles peuvent être ouvertes ou fermées. Dans le premier cas de figure, les électeurs peuvent voter pour le candidat qu’ils souhaitent, sans égard à leur affiliation envers un parti. Dans le second, il faut être inscrit auprès d’un parti. Les primaires se déroulent généralement sur une journée.
Comment fonctionne un caucus?
Les caucus, qui remontent au 18e siècle, se déroulent lors de réunions publiques, dans des gymnases ou dans un centre communautaire par exemple, entre les membres d’un parti, dans les différents districts. Des membres prennent la parole pour défendre un candidat, puis le vote a lieu. Souvent, il se fait à mains levées. Les caucus sont perçus comme moins accessibles que les primaires.
Quelle est la suite?
Les électeurs américains ont jusqu’au 4 juin 2024 pour élire leur candidat favori pour représenter leur parti à l’élection de novembre. Après calcul des votes des primaires et des caucus, les candidats se voient attribuer un nombre de délégués. Ceux qui l’emportent sont ceux qui obtiennent une majorité d’entre eux. Le principal temps fort de ces élections est le 5 mars, avec le Super Tuesday, où des votes ont lieu dans 17 États, avec des centaines de délégués à la clé. ALG
Rédaction
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