Propos recueillis par Bernard Hallet
Quel est votre sentiment à l’annonce du départ de Nicolas Buttet de la Fraternité?
Cyrille Jacquot: Un grand sentiment de tristesse d’en être arrivé là sans avoir pu trouver de solution de réconciliation. Nous espérions la trouver, mais au fur et à mesure que le temps passait, nos chemins se sont éloignés.
Claire Lasser: C’est une déception. Le sentiment est très nuancé parmi la trentaine de membres de la communauté. Certains peuvent éprouver de la colère vis-à-vis de Nicolas. D’autres, du soulagement. Au moins ce départ clarifie la situation.
Pour compléter les propos de Cyrille, je peux dire que nous avions une prise de conscience à effectuer par rapport à la manière dont nous avons accepté que Nicolas ait un statut complètement à part dans la communauté. Il fallait aussi que notre réflexion mûrisse sur la manière de participer à la construction de la communauté, d’obéir, d’échanger, de discerner.
Il a pris un engagement en 2018 (année où 16 membres de la communauté ont prononcé leurs vœux définitifs, ndlr). Certaines personnes seront attristées par rapport à ce départ qui pourra être perçu comme contre-témoignage, même s’il faut aussi accepter que la vie peut mener à des changements de route.
«Pour une vraie réconciliation, il y aurait eu besoin d’un vrai dialogue sur les conclusions du rapport de la visite canonique»
Cyrille Jacquot
Que souhaitiez-vous en guise de réconciliation?
C. J.: Pour une vraie réconciliation, il y aurait eu besoin d’un vrai dialogue sur les conclusions du rapport de la visite canonique (qui mettait en cause les manquements de Nicolas Buttet dans la gouvernance de la fraternité, ndlr). Nous devions aussi faire un examen de conscience, car il serait simpliste de lui imputer toutes les erreurs.
En tant que fondateur de notre communauté, Nicolas a une place toute particulière. On ne lui aurait pas demandé de revenir chez nous pour partager la vie habituelle des frères et des sœurs. On comprend aussi que Nicolas a un charisme particulier, notamment celui de la prédication. On lui aurait laissé une certaine latitude par rapport à cela.
Aviez-vous envisagé que Nicolas Buttet reprenne sa place dans la communauté?
C. J.: Nicolas aurait eu droit à au moins trois ans d’exclaustration (au cours desquelles il restait membre de la fraternité, tout en vivant à l’extérieur, ndlr). Nous avions pensé qu’il était bon qu’il s’éloigne de la communauté pour vivre en ermitage durant la première année, dans l’optique d’apaiser les tensions d’un côté comme de l’autre. Ensuite nous aurions espéré une deuxième année d’exclaustration au cours de laquelle nous aurions commencé à reprendre les termes du rapport de la visite canonique afin qu’il y ait une discussion de fond par rapport à ce qui était dénoncé. Nous avions imaginé une troisième année d’exclaustration qui aurait permis la reprise d’un contact fraternel. S’il était revenu en communauté, nous lui aurions donné un cadre correspondant à sa place de fondateur et à son charisme de prédicateur.
Quelles sont les perspectives de la communauté pour ces prochains mois?
C. J.: Nous poursuivons les formations communautaires entamées l’an passé, mais de manière plus allégée. Nous allons continuer à favoriser des formations personnelles pour certains frères et sœurs. Nous allons également reprendre nos activités missionnaires, notamment l’accueil de personnes en difficulté que nous avions mis en veille. Nous allons rouvrir nos portes plus largement à l’issue d’un travail qui a été fait sur cette thématique, avec la mise en place d’un protocole d’accueil. Nous avons énormément accueilli de monde, sans avoir les structures pour cela. Nous avons accueilli des personnes en situation de fragilité mais aussi quelques fois des personnes agressives. Et tout cela a demandé beaucoup d’énergie que certains frères et sœurs peinent à récupérer.
«Le noviciat sera dirigé par une équipe pédagogique pour éviter que des liens trop forts se tissent entre le/la novice et celui ou celle qui en a la charge…»
Claire Lasser
Quelles sont les autres missions dont vous parlez?
C. L.: Le catéchisme dans les paroisses locales, les groupes de jeunes, les retraites des premiers communiants et confirmands, les week-end famille et les montées vers Pâques. Auxquels s’ajoutent des engagements dans le festival Métanoïa et les JMJ.
Au moment de la sortie du rapport de la visite canonique, vous aviez fermé le noviciat temporairement. Qu’en est-il actuellement?
C. J.: Une maîtresse des novices est en train d’achever sa formation et a débuté dans cette activité. Du côté des frères, une tentative de formation n’a pas abouti, nous sommes en train de rechercher quelqu’un d’autre. L’Eglise demande que la responsabilité des novices n’incombe plus à une seule personne. Le noviciat sera dirigé par une équipe pédagogique pour éviter que des liens trop forts se tissent entre le/la novice et celui ou celle qui en a la charge…
C. L.: …dans le lien pédagogique, mais aussi dans le discernement sous différents points de vue: spirituel, humain et intellectuel. La décision de présenter un novice aux vœux temporaires ne revient plus à une seule personne.
Depuis le rapport de la visite canonique et le départ du fondateur, les constitutions de la fraternité ont-elles évolué? Avez-vous tiré les leçons de ce qui s’est passé?
C. J.: Nous avons entamé ce gros chantier de transformation de nos constitutions, mais nous ne souhaitons pas aller trop vite car nous devons considérer l’aspect charismatique de la communauté tout en tenant compte du droit canon. Nous souhaitons accéder au statut de famille ecclésiale de vie consacrée. Il y a un cadre canonique à respecter et à adopter.
Les changements seront progressifs.
C. L.: Le statut canonique de la communauté n’a pas changé pour l’instant (actuellement une association publique de fidèles en vue d’être famille ecclésiale de vie consacrée, ndlr). C’est une démarche que nous devons effectuer avec l’évêque, en l’occurrence de Fréjus-Toulon, puis ensuite avec Rome. Pour accéder à ce statut, nos constitutions doivent être réécrites. Et nous devons pour cela en discuter, voir ce que nous voulons et devons changer et demander conseil à d’autres communautés. Nous avons déjà entamé le travail sur le chapitre de la formation et du discernement. Nous travaillons sur des aspects de la vie communautaire qui sont moins «écrits» mais qui se concrétisent dans la vie quotidienne: la manière de vivre nos responsabilités, le travail, les relations entre nous et avec nos familles.
C. J.: Nous voulons changer la culture communautaire et nous essayons d’aborder une spiritualité qui soit plus synodale. Comme le fait que le modérateur ou les responsables de maison ne prennent plus leurs décisions seuls, qu’ils ont des conseillers auxquels ils se réfèrent. Le fait qu’il y ait régulièrement des chapitres de maison durant lesquels les membres s’expriment librement.
Dans le cadre des travaux de restructuration, les frères et sœurs sont engagés dans différentes commissions sur le thème de l’accueil, la formation, le charisme, l’administration, et la liturgie. Chacun est ainsi engagé dans cette réforme. Chaque commission peut proposer des solutions. Cela donne une très bonne émulsion communautaire.
La fraternité vit-elle un synode?
C. J.: On aimerait plus de synodalité. L’aspect hiérarchique demeure, évidemment, mais il est important d’insuffler plus de participation, plus de parité dans nos rapports fraternels.
Toutes ces réflexions vont être finalisées et rédigées?
C. J.: Beaucoup de choses ont changé dans notre coutumier. Par exemple le rythme de vie de la maison. Le temps personnel, le fait de pouvoir partir en retraite, d’aller visiter sa famille quelques jours dans l’année, ou encore d’avoir une adresse mail personnelle.
«Une vie consacrée qui n’est pas centrée sur le Christ ne mène à rien.»
Claire Lasser
Vous êtes en train de réinventer cette vie communautaire perdue?
C. L.: Nous étions là par amour pour Jésus avec la présence du Saint-Sacrement au cœur de notre vie, ce que nous n’avons pas lâché. Merci Seigneur! Sinon notre vie n’a pas de sens! Une vie consacrée qui n’est pas centrée sur le Christ ne mène à rien. Nous avons eu un appel particulier à accueillir, il faut qu’on réfléchisse à la manière d’accueillir, bien sûr, mais nous ne remettons pas en question que cela fait partie de notre charisme. Le fait que nous soyons relativement d’accord sur l’essentiel, sur notre charisme, nous permet de traverser cette épreuve ensemble. «Ensemble» ne veut pas dire avec le même avis sur tout, heureusement, mais en nous faisant confiance les uns et les autres. Je donne l’exemple de la liturgie qui n’est pas écrite dans nos constitutions, mais qui est une part importante de notre vie. Il y a eu beaucoup de propositions avec des retours variés.
C. J.: Nous avons toujours recherché une certaine radicalité dans notre vie consacrée. Depuis le début de notre communauté, nous avons une grande soif d’annoncer le Christ à travers un témoignage fort et de le servir en accueillant des personnes en souffrance. Le chemin de synodalité que nous empruntons actuellement, a pour but de maintenir cet enthousiasme missionnaire tout en soignant et renforçant nos liens fraternels.
Peut-on imaginer que Nicolas Buttet repasse à la maison d’Epinassey?
C. J.: Tant mieux si un jour il y a une réconciliation. Nous ne sommes pas dans la perspective d’une rupture définitive. (cath.ch/bh)
Une communauté de 26 membres
Actuellement, la fraternité compte 26 membres répartis dans les trois maisons (une en Valais, à Epinassey et deux en France). Six frères et sœurs sont en discernement ou en repos à l’extérieur. Depuis le chapitre 2020, une personne a demandé à être dispensée de ses vœux définitifs, et quatre autres n’ont pas renouvelé leur engagement temporaire.
Concernant les vœux définitifs, reportés sine die par Mgr Dominique Rey, que devaient prononcer deux sœurs et un frère à Saint-Joire le 10 juin dernier, Cyrille Jacquot annonce qu’il va reprendre le dossier avec Mgr Touvet.
Avant de prononcer leurs vœux définitifs, les membres qui entrent dans la fraternité effectuent le postulat, le noviciat puis deux professions temporaires de trois ans. Ce qui signifie au moins neuf ans de vie en communauté avant les vœux définitifs. BH
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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