«Vaches maigres» le slogan d’un des géants oranges de la grande distribution pour sa campagne publicitaire de janvier 2024 a le mérite d’être percutant. Sur un fond vert des prés, des dizaines de ‘vaches maigres’ défilent en troupeau pour appeler le client à acheter une pizza surgelée…
Depuis toujours, la publicité a fait son beurre en mettant à toutes les sauces des images bibliques pour vendre ses produits. Chez le géant orange, comme dans la Bible, le manger et le boire forment un fil rouge du récit global. Mais avec l’expression ‘vaches maigres’ qui évoque la pauvreté, la disette, la privation, le grand distributeur orange utilise un langage inédit pour attirer le client désargenté de janvier dans ses magasins où les marchandises surabondent. Sans trop s’encombrer de paradoxes!
Le terme ›vaches maigres’ remonte loin dans le temps. Plus précisément au personnage biblique de Joseph. Non pas le père de l’enfant Jésus célébré à Noël, mais Joseph de l’Ancien Testament vendu en esclavage par ses frères et qui interprète un songe de Pharaon où il est question de sept vaches grasses et de sept vaches maigres.
Le fils de Jacob comprend qu’il s’agit de l’annonce de sept ans de bonnes récoltes suivis de sept ans de famine. Il recommande au Pharaon de remplir les greniers publics pendant les bonnes années pour pouvoir redistribuer à la population les aliments stockés pendant les mauvaises. Impressionné par Joseph, ses conseils et sa confiance en Dieu, Pharaon en fait son ministre et lui confie la mission de gérer les réserves de nourriture dans tout le pays.
Comme les frères de Joseph et le peuple hébreu affamés, les Suisses, après la dinde, le saumon, le foie gras et le chocolat de la période des fêtes, doivent gratter en janvier 2024 leurs dernières piécettes pour payer les 2,40 francs de deux maigres pizza margherita surgelées.
Et le porte-parole du grand distributeur prend les accents de Joseph s’adressant ses frères israélites quémandant son aide. «Suite à cette campagne et après une année d’inflation, nous allons baisser durablement les prix de centaines de produits conventionnels et ceci sur tout l’assortiment. Ça va sûrement redonner un peu de gras au bovin», promet-il à Watson, la main sur le cœur.
Une auto-satisfaction cependant guère partagée par la fédération romande des consommateurs (FRC) qui dénonce la mal-bouffe et pour qui «décrypter la composition des pizzas laisse songeur. La M-Budget contient 23 ingrédients, dont de la margarine à l’huile de palme et de colza, du lait, du sucre, des amidons et du lactose.» Pour la qualité nutritionnelle, la farine d’Egypte fut probablement bien meilleure. Pour les malicieux, ‘vaches maigres’ doit probablement signifier que la pizza en question ne contient pas beaucoup de fromage… gras.
Repus du blé d’Egypte, les Hébreux s’y établirent. Ils ne savaient pas encore qu’ils y allaient être réduits en esclavage…
Une servitude à laquelle les Suisses allemands devraient échapper, car s’ils mangent bien la même pizza, ils n’ont pas droit à l’histoire de Joseph, devant se contenter d’un ‘Januarloch’ (trou de janvier) bien plus prosaïque.
La publicité à contre-temps du grand distributeur n’est peut-être pas aussi fausse que cela. De la Genèse à l’Apocalypse d’innombrables repas scandent l’histoire biblique. Quelques-uns ont laissé une trace dans le langage courant, tel le plat de lentilles.
«Ils apportaient (…) du blé et de l’orge, de la farine et des épis grillés, des fèves et des lentilles, du miel et de la crème, des moutons et des quartiers de bœuf. Ils apportaient ces provisions pour David et la troupe qui était avec lui, car ils s’étaient dit : ‘Dans le désert, toute la troupe a souffert de la faim, de la fatigue et de la soif’.» (II Samuel 17.28-29)
La publicité du géant orange ne les vante pas. A défaut de pizza, elles présentent pourtant une alternative meilleur marché (1,80 franc) plus saine et tout aussi savoureuse, du moins en croire la Genèse. En effet Esaü, le fils d’Abraham, qui rentrait fourbu des champs, n’hésita pas à vendre son droit d’aînesse à son frère jumeau Jacob contre un plat de lentilles (Ge.25.29-34).
L’épisode de la manne au désert, lui aussi resté dans le langage courant, est un des plus significatifs: «Les fils d’Israël leur dirent : ›Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » (Ex.16,3)
Dieu leur répond de manière très particulière: «le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. (Ex.16,13-15)
Mais la générosité de Dieu est assortie d’une condition ›anti-gaspillage’: «Recueillez autant que chacun peut en manger» «Le surplus fut infesté de vers et se mit à sentir mauvais.» Une anticipation du migros-data?
Vous n’aimez pas la pizza, ni les lentilles et vous souhaitez éviter les aliments inconnus (la manne)? Il vous reste peut-être la solution d’Elie. Le prophète demande à la veuve de Sarepta: «Apporte-moi aussi un morceau de pain.Elle répondit: «Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu: je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur (…) Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël: Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre.» (cath.ch/mp)
La ›fureur du ventre’
Dans sa catéchèse du mercredi 10 janvier 2024, le pape François a défini «la fureur du ventre» comme «le grand péché» du monde contemporain. «Nous avons abjuré le nom d’hommes, pour en prendre un autre, celui de ›consommateurs’. (…) Nous étions faits pour être des hommes et des femmes ›eucharistiques’, capables d’action de grâce, discrets dans l’utilisation de la terre, et au lieu de cela, nous nous sommes transformés en prédateurs», a-t-il regretté.
Maurice Page
Portail catholique suisse
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