Chacun peut être amené à un moment donné à devenir le proche aidant d’un parent, d’un enfant, d’un ami frappé par la maladie ou un accident. Selon l’Enquête Suisse de la Santé (2017), 14,3% des personnes de 15 ans et plus, soit 976’000 des habitants du pays, aident une fois par semaine ou plus un membre de son entourage.
Avec le vieillissement de la population, le rôle joué par les proches aidants a en effet significativement augmenté, d’autant que la tendance est au développement des soins à domicile, lorsque cela s’avère possible, plutôt qu’au placement en milieu hospitalier.
Pour les proches des personnes atteintes dans leur santé, l’engagement est souvent lourd, intense. Conscient du problème, le Parlement fédéral a adopté, le 20 décembre 2019, une loi pour améliorer la situation des proches aidants. Entrée en vigueur en 2021, elle instaure notamment le droit à un congé de courte durée pour la prise en charge de proches en cas de nécessité.
Pour Patricia Forclaz, infirmière de métier, vice-présidente et trésorière de l’association «Le temps d’un souffle», c’est là un progrès, mais ce n’est guère suffisant. Avec des connaissances, elle a créé l’an passé cette association dont l’objectif est d’offrir un séjour de répit clés en main à des proches aidants, loin des contraintes quotidiennes, dans un chalet à Villaz, au-dessus d’Evolène, face aux Alpes. Les premiers bénéficiaires sont espérés pour ce printemps.
Les autorités cantonales orientent et soulagent financièrement les proches aidants, mais en même temps les réseaux de soins cantonaux reposent de plus en plus sur eux. Est-ce aussi votre constat?
Patricia Forclaz: En effet, j’ai observé dans le cadre de mon travail d’infirmière une augmentation de la mise à contribution des proches des malades. C’est assez logique puisque le personnel de soin a moins de temps pour s’occuper des patients. Il y a sur le terrain un manque de personnel inouï, tant au niveau des médecins, des assistantes en soins ou des auxiliaires de vie! Tout le monde court pour essayer de remplir des lacunes. Tout le monde s’épuise et la première victime du système, c’est le patient, car nous sommes fatalement moins proches de lui. Après 30 ans de carrière d’infirmière en Belgique et en Valais, j’ai décidé il y a deux ans de quitter les soins infirmiers. Pourtant, c’est le plus beau métier du monde à mes yeux!
Vous regrettiez la déliquescence du lien avec le patient?
Oui, cela faisait plusieurs années que j’essayais en vain de retrouver l’éthique dans les soins que j’avais connue. Être infirmière, c’est être près du patient, être là pour lui, prendre le temps d’écouter ses besoins. On comprend beaucoup mieux ce qui se passe après une demi-heure à ses côtés qu’en cinq minutes interrompues par un téléphone ou par quelqu’un qui vient nous chercher!
Or je devais constamment faire des rapports pour répondre aux demandes des assurances et assurer ainsi le remboursement aux patients des prestations médicales et infirmières. Les tâches administratives prennent trop de place dans notre travail. Je ne me retrouvais tout simplement plus dans mon métier, qui se déshumanise beaucoup.
Dans le cadre de votre profession, vous avez rencontré des familles des patients. Est-ce de là que vous est venue l’idée de lancer une association de soutien aux proches aidants?
L’idée a germé peu à peu et j’ai trouvé de l’encouragement auprès d’une amie, elle-même proche aidante de son mari. J’ai vu l’épuisement parfois de ces personnes. Elles sont tellement là pour un autre! Non seulement les proches aidants accompagnent un malade ou une personne handicapée qui a perdu de son autonomie, mais ils doivent souvent être fonctionnels dans leur famille et leur travail.
«J’ai vu l’épuisement parfois de ces personnes. Elles sont tellement là pour un autre!»
On pense en priorité à des membres de la famille, les parents d’un enfant handicapé, un époux ou une épouse, les enfants d’un malade… Y a-t-il d’autres profils?
Il y a aussi parmi eux de nombreux amis et voisins. Je ne suis pas d’origine valaisanne, mais j’ai pu observer, alors que je travaillais pour le service de maintien à domicile des Centres médicaux-sociaux (CMS) du Valais, une grande solidarité à ce niveau dans les petits villages du coin. C’est très beau. De vrais réseaux se mettent en place pour permettre aux malades de rester le plus longtemps possible chez eux. Les professionnels des CMS s’appuient beaucoup sur les familles, les amis, que l’on n’hésite pas à solliciter, même quand ils sont au travail. C’est stressant pour ces gens, qui sont souvent très motivés à donner de soi.
Vous avez donc décidé de passer de l’autre côté du miroir en soutenant les proches impliqués dans ces réseaux de soins.
Oui, ils sont les seuls à ne pas avoir conscience du degré de leur fatigue, de leur implication et de la charge qu’ils assument. Quand on en discute avec eux, qu’on les rend attentifs à cela, ils sont souvent très touchés. Quelque chose se passe, ils lâchent.
J’ai évoqué avec certains d’entre eux le projet «Le temps d’un souffle», que nous sommes en train de monter pour offrir des séjours de répit à des proches qui en ont besoin, et ils étaient très intéressés. L’offre comprendra le transport et l’hébergement jusqu’au gîte, les repas et l’organisation des soins avec nos partenaires pour compenser l’absence du proche aidant et aider celui-ci à ne pas culpabiliser.
Quand est-ce que le projet sera effectif?
En avril 2024 j’espère, nous sommes tous des bénévoles, cela va donc plus lentement. Nous sommes en train de constituer un fonds pour cela grâce à nos membres et à des donateurs. Un marché de Noël a été organisé avec l’aide et le soutien de pratiquement tous les commerçants de «sur les Rocs», les villages du coin. Ils sont acquis à la cause et ils ont été tellement généreux en terme d’investissement personnel! Et un marathon des Terroirs du Valais, entre Sion et Martigny, sera organisé pour nous faire connaître le 25 mai 2024 par Brigitte Hubert. Également membre de notre association, elle est une personne ressource pour les proches aidants des CMS de Martigny & Régions et coordinatrice cantonale pour la prestation de soutien aux proches aidant.
Vous semblez bénéficier d’un bon réseau.
Oui, je suis aussi en lien avec des infirmières et un médecin oncologue. Les dossiers de candidatures nous parviendront également grâce aux partenaires du réseau de la santé et du social.
Vous proposez aussi des massages.
Oui, je me suis formée pour cela. Je serai en fait disponible pour les gens durant tout leur séjour au gîte. Mon téléphone restera allumé 24h sur 24. Par contre, je ne peux pas faire des soins techniques, car légalement je ne suis pas infirmière indépendante. J’aimerais aussi pouvoir accueillir les proches aidants d’enfants. Comme cela me paraît difficile de séparer les parents des petits, je serai aussi là pour prendre soin d’eux sur place, pendant que les parents vont faire une balade par exemple.
Tout va se mettre en place petit à petit et il faut garder à l’esprit une certaine souplesse. Nous avons déjà procédé à un séjour test. Une proche aidante est venue se reposer deux jours ici, mais elle n’a pas voulu venir sans son mari malade. Nous les avons donc accueillis les deux.
Deux jours, cela paraît peu pour récupérer…
Pourtant on a vécu un moment de grâce. Nous avons évalué après le séjour ensemble et j’ai compris que nous étions dans le juste. Il faisait mauvais quand ils sont venus, et le monsieur se sentait oppressé. J’ai pensé qu’ils ne resteraient pas. Mais la dame m’a dit: «Moi, je veux rester. Je m’occupe tout le temps de mon mari et maintenant j’aimerais que lui aussi m’entende.» Et ils sont restés. «Je n’imaginais pas le bien que cela nous ferait», m’a-t-elle dit au moment du départ. (cath.ch/lb)
On rêve de souffler au grand air
«La vie est pleine d’écueils, si ce n’est soi-même, c’est un conjoint, un enfant, un parent, un ami, un voisin, un collègue, quelqu’un dans notre entourage, qu’importe l’âge ou le sexe, qui un jour est confronté à la maladie. Ce jour-là le temps se gâte. La tempête fait rage. La vie perd tout son éclat. Le temps s’arrête. On vit mal. On survit.
Et puis très vite on se ressaisit, car on prend conscience que le temps est compté. On mesure à quel point le temps présent est précieux, un cadeau. (…) Chaque moment de sérénité dans l’épreuve est vécu intensément. Un sourire encourageant, un doux regard, une pensée bienveillante, un geste apaisant, on accueille avec humilité tout ce qui vient mettre du baume au cœur.
Dans le parcours du combattant, dans une longue période d’incertitude, on rêve de beau temps, de pouvoir alléger son sac à dos, souffler au grand air, dans un lieu idyllique, l’espace d’un instant sans penser au lendemain. (…) Et c’est ce qu’offre ce havre de paix.»
Evelyne, 45 ans, proche aidante, à propos du projet «Le temps d’un souffle» LB
Lucienne Bittar
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