Propos recueillis par Cyprien Viet/I.Media
Après deux mois et demi de guerre entre Israël et la Bande de Gaza, et dans le contexte de Noël, le cardinal italien revient sur les enjeux de la présence de l’Ordre du Saint-Sépulcre sur cette terre tourmentée. Il a célébré sur place la Journée mondiale de la Paix le 1er janvier.
Comment se développent les activités de l’Ordre pour soutenir la présence des communautés chrétiennes en Terre sainte, dans ce contexte tragique de la guerre?
Fernando Filoni: La Terre sainte représente pour nous le fondement de notre activité. L’Ordre équestre du Saint-Sépulcre est né au XIXe siècle (voir encadré) car le bienheureux pape Pie IX voulait restaurer cet antique ordre de chevalerie pour soutenir la Terre sainte, où le Patriarcat latin venait d’être reconstitué. Des hommes et des femmes ont ainsi offert leur disponibilité pour soutenir l’Église latine de Jérusalem.
Le pape la voyait comme une Église mère d’où sont nées toutes les autres Églises, et qui mérite donc un amour spécial, une affection spéciale. Les membres de l’Ordre du Saint-Sépulcre, répartis dans le monde entier, ce qui représente une belle image d’universalité, contribuent chaque année à soutenir les activités pastorales, sociales, éducatives, humanitaires de l’Église en Terre Sainte.
L’Ordre diffuse aussi une spiritualité liée à la Passion et la Mort du Seigneur. Le lieu où le Seigneur a été déposé, concluant ainsi sa vie terrestre mais débutant aussi son autre vie, le Saint-Sépulcre, est pour nous le lieu de cette richesse spirituelle.
Comment vit la petite communauté catholique de Gaza?
Nous ne sommes pas directement impliqués avec la paroisse latine de Gaza, mais c’est une paroisse située sous la juridiction du patriarcat latin. Ces chrétiens vivent la même situation dramatique que tout le peuple de Gaza, avec cette forme de quasi-génocide, cette façon de tuer des hommes et des femmes sans défense, dans les kibboutz en Israël d’une façon impressionnante. Et ce que nous voyons à Gaza est tout aussi impressionnant.
Après le 7 octobre, les activités des institutions que l’Ordre du Saint-Sépulcre soutient ont-elles pu se poursuivre?
Nous sommes revenus dans une situation paradoxale, qui nous donne l’impression d’être revenus au temps du Covid, quand toutes les activités étaient paralysées. Les activités éducatives et sociales continuent, mais il manque la présence des pèlerins et des groupes, qui contribuaient à l’activité du Patriarcat.
Dans ce contexte, nous ne pouvons pas nous mettre en retrait, car le soutien aux familles qui vivent à travers ce travail social et éducatif ne doit pas diminuer. Nous devons trouver les ressources pour les aider, pour maintenir les institutions qui sont affectées par cette situation explosive.
«Les activités éducatives et sociales continuent, mais il manque la présence des pèlerins et des groupes.»
La cohabitation entre chrétiens, juifs et musulmans est-elle encore assurée dans les institutions soutenues par l’Ordre?
Oui bien sûr, nos écoles, nos centres de santé ne sont pas seulement réservés aux chrétiens, ils sont ouverts à tous. Il y a aussi d’autres expressions religieuses, qui peuvent poursuivre leurs activités. Il est certainement difficile pour ces jeunes de faire face à cette situation dramatique, mais il est important de pouvoir se regarder dans les yeux quand, de l’autre côté, il y a de la violence.
Cela fait partie de l’aspect le plus beau des écoles soutenues par l’Ordre du Saint-Sépulcre, que perdure la possibilité de se parler, malgré tout. Mais il est difficile de travailler en ce sens car l’atmosphère est envenimée par la violence et par la haine.
Comment compenser les pertes liées à l’annulation des pèlerinages?
La priorité définie par le Patriarcat latin, c’est d’apporter un soutien social à la population. Il lui revient de gérer cette situation avec ses compétences administratives, quels programmes peuvent être redimensionnés, réduits ou augmentés au contraire. Le Patriarcat dispose d’une administration très agile en ce sens, et nous leur faisons pleinement confiance pour orienter les aides. Avec notre soutien et toute la générosité internationale qui se manifeste, nous espérons qu’ils pourront continuer à gérer la situation.
«La priorité définie par le Patriarcat latin, c’est d’apporter un soutien social à la population.»
Certaines interventions du pape François au sujet de cette guerre ont suscité la perplexité et des incompréhensions, notamment en Israël. Comment faire comprendre la ligne du Saint-Siège aux populations directement concernées par ce conflit?
Il faut comprendre si l’on veut faire la paix ou si on cherche uniquement la paix pour une partie, en favorisant l’une mais en défavorisant l’autre. Il ne s’agit pas de promouvoir la paix de l’un contre l’autre, mais de comprendre que cette Terre appartient à tous ceux qui l’habitent. Il y a des juifs, des chrétiens, des musulmans: c’est comme un trépied, un siège avec trois pieds. Si on en retire un, le siège ne tient plus.
Nous devons apprendre à trouver cette stabilité: si nous comprenons que nous avons besoin les uns des autres, alors la coexistence pacifique est possible. Mais si au contraire, la revendication du passé ou des problèmes actuels, des raisons des uns contre celles des autres, cela laissera toujours une situation difficile, et même dramatique.
Quelles sont vos espérances pour la Terre sainte en ce temps de Noël? Peut-on encore parler de paix et de pardon?
Si l’on n’avait pas l’espérance, nous ne serions pas chrétiens. C’est l’une des trois vertus théologales: la foi, la charité, l’espérance. Là aussi, c’est comme un trépied: si l’on perd l’espérance, on perd aussi les autres vertus. C’est pour cela que nous célébrons Noël: nous nous souvenons de la façon dont Dieu est entré dans l’histoire en nous promettant de ne pas nous abandonner.
Dieu nous aide, Dieu nous accompagne. Mais il a confié à l’intelligence humaine la capacité de dialoguer, de se comprendre, et il exhorte l’humanité à utiliser ses capacités. Il ne va pas aller contre lui-même et nous retirer ces capacités en disant: «Maintenant, je fais les choses moi-même, puisque vous, vous vous disputez tout le temps». Non, il ne nous retire pas ces capacités, elles restent. Il faut donc en appeler à cette intelligence que Dieu nous a donnée pour servir ces réalités sociales et spirituelles qui sont fondamentales en Terre sainte.
«Si l’on perd l’espérance, on perd aussi les autres vertus.»
Parler de paix, de pardon, implique de le vouloir concrètement. Dans la doctrine chrétienne, il n’y a pas de pardon sans un réel désir de s’amender, de changer. Il faut pousser pour que les hommes cherchent concrètement la paix et le pardon. (cath.ch/imedia/cv/bh)
Un Ordre équestre pontifical
Les origines historiques exactes de l’Ordre demeurent obscures, même si une tradition les situent à la Première Croisade. En fait les premiers documents évoquant une investiture de Chevaliers dénommés du Saint-Sépulcre sont datés de 1336. Depuis, les papes ont progressivement et régulièrement manifesté leur volonté de rattacher juridiquement son organisation au Saint-Siège.
Le 24 janvier 1868, dans le contexte du Kulturkampf et de tendances centralisatrices dans l’Église romaine, le Pape Pie IX a constitué un Ordre équestre pontifical structuré hiérarchiquement d’après des règles claires. Il reçut le nom de «Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem», en latin Ordo Equestris Sancti Sepulcri Hierosolymitani, abrégé OESSH.
Le Pape Léon XIII a confirmé en 1888 par une lettre apostolique la possibilité pour des Dames de devenir membre de l’Ordre, avec les mêmes droits, devoirs et positions que les Chevaliers. Il s’agit du seul Ordre auquel appartiennent avec égalité de droits des femmes et des hommes, des clercs et des laïcs.
En 1932 Pie XI approuva les nouveaux statuts et permit aux Chevaliers et Dames d’être investis dans leurs lieux d’appartenance, donc non plus seulement à Jérusalem. Depuis Pie XII, un cardinal est nommé comme Grand Maître de l’Ordre. Depuis, le Grand Maître est toujours un cardinal de l’Église catholique-romaine, il symbolise un lien spécialement étroit avec le Saint-Siège. Le siège de l’Ordre est à Rome; son drapeau est la croix de Jérusalem rouge. OESSH
Rédaction
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