Cécile Lemoine, à Bethléem, pour cath.ch
Au milieu des tôles tordues, d’un amas de gravats et de barbelés, Joseph entoure de ses bras une Vierge Marie qui porte à bout de bras l’enfant Jésus emmailloté de blanc. «À la manière des mères des martyrs», explique Tariq Salsa, l’artiste palestinien à l’origine de cette crèche installée devant la basilique de la Nativité à Bethléem. Dans cette «Nativité sous les décombres», le sculpteur a voulu illustrer la «souffrance de la Sainte Famille», qu’il qualifie de «première famille de réfugiés palestiniens» en faisant référence à sa fuite vers l’Egypte après la naissance de Jésus.
Le ton de ce Noël est donné: «Si Jesus devait naître aujourd’hui, ça serait au milieu des ruines de Gaza, en solidarité avec les opprimés», lance Munther Isaac, prêtre luthérien palestinien face à la petite foule de caméras réunie devant la crèche, qu’il désigne d’un geste: «Ces statues sont un message envoyé au monde : voilà ce à quoi ressemble Noël dans la ville de naissance du Christ».
Aucun cœur n’est à la fête dans cette ville de Cisjordanie occupée. Mi-novembre, les autorités locales, en concertation avec les Églises de Jérusalem ont décidé d’annuler les animations et traditions populaires qui entourent les célébrations religieuses de Noël. Une manière, «en tant que chrétiens, d’être solidaires de tous ceux qui souffrent de la guerre», justifient les Églises dans un communiqué. La place de la Mangeoire, large esplanade qui grouille habituellement de pèlerins, a gardé son fade visage de parking : pas de sapin, pas de décoration, pas de visiteurs, ni de marché de Noël.
Le joyeux défilé des troupes scoutes qui précède habituellement l’entrée du Patriarche latin de Jérusalem a donc cette année laissé place à une escorte sobre et silencieuse, faite d’une série de banderoles écrites en arabe et en anglais: «Gaza au coeur», «On veut la vie pas de la mort», «Paix sur Gaza et son peuple», «Arrêtez la guerre maintenant».
Les scouts de Bethléem ont aussi tenu à glisser un keffieh palestinien autour du cou du patriarche, Mgr Pierbattista Pizzaballa, avant qu’il n’entame sa remontée de la rue de l’Etoile vers la basilique de la Nativité sous protection policière et militaire largement renforcée. «Ils font de Noël un événement politique, alors que c’est loin d’être le sens de cette fête», regrette frère Sandro Tomašević, un des prêtres franciscains de la paroisse de Bethléem, dans le cortège qui suit le patriarche.
Il n’y a pas foule pour accueillir le cardinal. La pluie a chassé les badauds. A moins que ça ne soit la polémique de la veille. Le 21 décembre, les chefs des Eglises de Jérusalem ont rencontré le président israélien, comme tous les ans au moment de Noël. La photo, où ils posent tous autour d’Isaac Herzog, a suscité un tollé chez les Palestiniens. «Ils ont fait une erreur», estime Tony Bero, responsable de projet pour SOS Village d’enfants à Gaza, à la fin de la messe de Noël à la paroisse syriaque catholique Saint Joseph. «Je comprends que ce genre de rencontres soient nécessaires, mais pas la photo… Ça envoie le mauvais message.» Face aux critiques, les chefs des Églises se sont vus obligés de publier des éclaircissements: «La réunion n’avait pas pour but d’échanger des salutations, mais de transmettre la position de l’Eglise internationale, à savoir la fin du bain de sang à Gaza et en Cisjordanie.»
Pris dans l’amas compact de journalistes et de photographes, le Patriarche parvient enfin sur la place de la Mangeoire aux alentours de 13 heures, où il se lance dans un discours aussi inhabituel qu’improvisé face aux caméras du monde entier: «Le message de Noël n’est pas celui de la violence, mais de la paix. Nous demandons un cessez-le-feu immédiat.» Un amuse bouche avant l’homélie de la messe de minuit.
Anticipant ce Noël douloureux, politique et médiatisé, les chefs religieux ont invité leurs fidèles à «se concentrer sur le sens profond» de cette fête. Les messes de Noël débordent. Par tradition autant que par esprit de corps: Gaza, Gaza… L’enclave, qui vit sous un tapis de bombes depuis le 7 octobre, est dans tous les cœurs. La sobriété solidaire des espaces publics a gagné les foyers chrétiens. Anouar, une des paroissiennes de l’église syriaque catholique, n’a pas installé de sapin. Elle a prévenu ses trois garçons: «Il n’y aura pas de cadeaux cette année.» Ce n’est pas une punition, dit-elle, mais un enseignement: «On ne peut pas faire la fête alors que les chrétiens de Gaza vont passer Noël dans le noir et la peur.»
Au milieu de la nuit, un feu brûle pourtant, celui allumé par les Syriaques catholiques sur le parvis de leur église après la lecture de l’Evangile sur le parvis de leur église. Une manière d’incarner concrètement la naissance de Jésus, «Prince de la Paix et lumière du monde». Tout un symbole dans le contexte actuel, et un terreau fertile pour les prêtres qui se doivent de maintenir leur communauté dans l’espérance. «Qu’est ce que ça signifie, concrètement?», interroge rhétoriquement le Père Frédéric Masson, à la tête de la petite communauté syriaque orthodoxe de Bethléem, avant de se lancer: «Saint Paul nous dit: ‘Lorsque le péché abonde la grâce surbabonde’. Même dans les ténèbres, il y a des moments de grâce. Garder l’espérance, c’est rester ouvert à ces moments.»
La messe de minuit, célébrée en grande pompe par les franciscains de la Custodie de Terre à la basilique de la Nativité, a quant à elle, été ouverte à tous. Une première quand un système de tickets, distribués aux pèlerins, régit habituellement les entrées. C’est donc face à une assemblée largement composée de la communauté chrétienne locale, et en présence du représentant de l’Autorité Palestinienne Ramzi Khouru, que le cardinal Pierbattista commence son homélie par une bonne nouvelle: «Grâce à l’aide de la Jordanie, nous avons pu approvisionner aujourd’hui notre paroisse de Gaza.» Les applaudissements sont nourris. Soulagés.
Puis, avec des mots, soigneusement pesés, le patriarche s’adresse autant aux habitants de la Terre Sainte qu’au reste du monde: «Mes pensées vont à tous, sans distinction, Palestiniens et Israéliens, à tous ceux qui sont touchés par cette guerre, à tous ceux qui sont en deuil, qui pleurent et qui attendent un signe de proximité et de chaleur. (…) Il me semble qu’aujourd’hui, tout le monde est enfermé dans son chagrin. La haine, le ressentiment et l’esprit de vengeance occupent tout l’espace du cœur et ne laissent pas de place à la présence de l’autre. Pourtant, l’autre nous est nécessaire. Car Noël, c’est justement cela, c’est Dieu qui se rend humainement présent et qui ouvre nos cœurs à un nouveau regard sur le monde», lance Mgr Pizzaballa avant d’appeler à «créer une ‘mentalité du oui’ contre la ‘stratégie du non’»: «Dire oui au bien, oui à la paix, oui au dialogue, oui à l’autre ne doit pas être une simple rhétorique mais un engagement responsable, une volonté de faire de l’espace et non de l’occuper, de trouver une place pour l’autre et non de la nier. Noël a été rendu possible par l’espace que Marie et Joseph ont offert à Dieu et à l’enfant qui venait de Lui. Il n’y aura pas de justice, pas de paix sans l’espace ouvert par notre ‘oui’ volontaire et généreux.»
À la fin de l’homélie, le patriarche demande à se faire traduire vers l’arabe, pour s’adresser à la communauté de Gaza, qu’il connaît bien grâce à des visites annuelles : «Nous ne vous abandonnons pas. Vous êtes dans nos cœurs et nous vous embrassons.» Les applaudissements crépitent à nouveau, emprunts d’émotions. La voix du patriarche se fait plus forte alors qu’il lâche ses notes pour une tirade plus politique: «Il est temps de mettre fin à ce non-sens. Nous voulons une fin des hostilités ainsi qu’une solution politique qui permettra d’apporter la paix et la sécurité autant aux Israéliens qu’aux Palestiniens.» Et reprenant le rôle de pasteur de sa communauté, sa voix se fait plus chaleureuse: «Noël, c’est la lumière de Dieu qui est venue à nous. Alors rejoignez vos maisons avec le sourire aux lèvres et la vie au cœur, car Jésus est parmi nous et il est notre joie!» (cath.ch/cl/mp)
Bethléem, cette nuit
Depuis de nombreuses années Mgr Pierre Bürcher, ancien évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg, passe plusieurs mois par an en Terre Sainte. En 2023, avec la guerre entre le Hamas et Israël, la situation n’est pas aux réjouissances, mais pour lui espérance demeure. Il a adressé à ses amis, une lettre pour la nuit de Noël qu’il a célébrée à Bethléem.
+ Pierre Bürcher
Bethléem est dans la nuit! Je viens de pouvoir passer le seul check-point ouvert en ces temps de guerre. Les rues sont vides. Cette année, elles ne sont pas décorées. En arrivant sur la Place de la Mangeoire, je ne vois pas le grand sapin habituellement décoré et illuminé. C’est triste! Je ne suis qu’à 70 kilomètres à vol d’oiseau de Gaza. C’est une nuit de guerre! Et dire que ce matin, c’est Noël!
J’entre dans la Basilique de la Nativité. Je ne vois ni pèlerins ni touristes. Les habitants, eux ont pu venir ! C’est la nuit pour eux. Et ils sont venus chercher un peu de lumière. «Non, me dis-je, ils sont venus chercher LA Lumière!». Ils savent que c’est Lui, Jésus, leur Sauveur né en cette nuit de Noël, à Bethléem.
Le Patriarche est venu de Jérusalem. Il est accompagné par le Cardinal Aumônier du Pape François qui voulait ainsi être proche de tous ceux qui sont dans la nuit de la guerre et de ses atrocités. Malgré «la position universelle de l’Église réclamant la fin du bain de sang à Gaza», comme l’ont déclaré hier les autorités chrétiennes de Terre Sainte, la guerre continue même en cette nuit de Noël. Tous ont maintenant tant besoin de chaleur et de lumière.
Je concélèbre la Messe au milieu de ce peuple traumatisé et inquiet pour son avenir. Je le comprends. Non loin de là, les bombardements et les roquettes continuent de sillonner le ciel. Je crois même les entendre. A ce moment-là, j’entends la voix des bergers de Bethléem, témoins d’un nouveau-né déposé dans une crèche, le Sauveur tant attendu : «Le Seigneur nous a suscité un puissant Sauveur!».
«Il est trois heures du matin, encore un check-point à franchir»
Non loin des roquettes et des tirs de canon, la nuit de Bethléem s’illumine d’espérance dans le cœur des croyants: «Gloire à Dieu, au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime!». La Messe de Noël se poursuit ici et dans le monde entier. C’est partout, ce matin, dans notre monde sombre, une oasis de paix et de lumière. «Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière: sur les habitants du pays de l’ombre et de la mort, une lumière a resplendi».
Ici à Bethléem, après la Messe de Minuit, la procession s’avance vers la Crèche. Elle n’est pas vide. Ce Noël est ici plus vrai que jamais! Sans décorations, sans beaucoup de cadeaux, tu rencontres mieux le Sauveur qui nous est né. Mais c’est encore la guerre! Quand prendra-t-elle fin, ici et dans le monde?
Cette nuit de Bethléem annonce déjà la défaite des ténèbres. Elle annonce la victoire de la Lumière. Je peux maintenant rentrer dormir en paix à Jérusalem. Il est trois heures du matin. Mais il y a encore le check point à franchir!
Joyeux Noël et Bonne Année 2024 !
Bethléem Noël 2023
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/guerre-israel-hamas-le-noel-politique-de-bethleem/