La crèche vivante de l'Armée du Salut peut se faire en famille

Sur la place du Molard, à Genève, abrités sous un toit en bois, Marie, Joseph et le petit Jésus accueillent avec le sourire bergers et mages, ainsi que badauds et acheteurs de cadeaux de dernière minute qui s’arrêtent pour les saluer. Bienvenue à la traditionnelle crèche vivante de l’Armée du Salut!

Samedi matin, deux jours avant Noël: les rues basses genevoises grouillent de consommateurs attirés par les vitrines richement décorées des commerces et les traditionnelles illuminations de l’Avent.

Sur les pavés de basalte noir de la place centrale du Molard, jouxtant sa fameuse fontaine, la Sainte Famille a trouvé refuge dans une crèche de paille, le temps d’une journée. Elle tente d’accrocher les regards des passants pour les détourner quelques instants de leurs emplettes.

Les animaux de la crèche, une valeur attractive sûre | © Lucienne Bittar

«Cela fait plus de vingt ans que nous montons une crèche vivante sur cette place, juste avant Noël», commente Pierre-Alain Volet, responsable à Genève de l’œuvre pastorale de l’Armée du Salut (AS). «Le but est de rappeler le vrai sens de Noël: Jésus est venu parmi nous pour nous dire l’amour de Dieu. Nous en avons tous besoin!»

La marque d’une présence

Une lectrice relate l’histoire de la naissance de Jésus | © Lucienne Bittar

Toutes les heures, des Marie, des Joseph et autres personnages bibliques se relayent dans la grande crèche de 25 mètres carrés, montée et interprétée par des bénévoles de l’AS. À leurs côtés, un poney et un âne, à défaut de bœuf et de moutons, broutent avec passion les meules de foin et attirent de suite les regards des enfants.

La première crèche vivante fut inventée il y a 800 ans par saint François d’Assise, avec la permission du pape Honoré III, dans une grotte du village de Greccio en Ombrie (Italie) où la nativité fut jouée. Ici, cependant, «les bénévoles ne font pas du théâtre. Mais ils ne sont pas non plus des statues», relève Pierre-Alain Volet, l’organisateur et coordinateur de l’événement. «Ils sont juste là, présents», et échangent avec plaisir avec les «visiteurs» de passage.

À chaque relève, un lecteur ou une lectrice relate pendant cinq minutes l’histoire de la naissance de Jésus à partir des évangiles de Luc et Matthieu. Ils expliquent le contexte historique du départ de Joseph et Marie pour Bethléem, en vue du recensement obligatoire demandé par l’empereur Auguste, et racontent l’enfantement de Marie dans une crèche, les bergers et l’arrivée des rois mages.

Une histoire de famille

À l’heure du passage de cath.ch, la crèche vivante de l’AS est occupée par Amel, une Tunisienne qui joue Marie, et une petite famille «pour de vrai». Il y a le grand-père, Michel, rattaché à aucune Église et qui se définit plus volontiers comme philosophe, et la grand-mère, Monica, son épouse, de l’Église évangélique du Réveil, venus tous deux de Vevey. Ils représentent des mages. Lesquels? Ce n’est pas important aux yeux de Michel. L’essentiel est qu’ils venaient de différentes contrées, symbolisant ainsi l’ensemble de l’humanité. Autour des grands-parents se tiennent leurs quatre petits-enfants. Timéo, 13 ans, l’aîné, jeune soldat de l’Armée du Salut, interprète avec sérieux Joseph, tandis que les plus petits habillés en bergers caressent les bêtes et grimpent sur les meules de paille.

Tout ce petit monde ne paraît pas le moins du monde perturbé par les allées et venues des spectateurs autour d’eux. C’est la cinquième année que je viens», explique Noan, qui passe un bras protecteur autour de Nino, le benjamin de deux ans. Il est vrai que leurs parents ne sont autres que Pierre-Alain et Gabrielle Volet.

«C’est précieux pour une famille de vivre sa foi en communauté, témoigne Gabrielle, officière à l’AS. Cela nous permet à tous de nous arrêter, de prendre du temps pour le partage. Les enfants y ont des amis et apprennent aussi à servir ensemble» et à venir en aide aux autres. L’apostolat social est d’ailleurs la raison d’être de cette Église portée par la devise Soup, soap, salvation (Soupe, savon, salut).

Lecture, soupe et musique

Devant la crèche, une «tirelire marmite» invite les passants aux dons, pour un «vrai Noël» de partage, tandis que monte aux narines le fumet d’une soupe réconfortante, préparée et gracieusement servie par des bénévoles, juste un peu plus loin sur la place.

Préparation d’une soupe de partage par les bénévoles de l’Armée du Salut| © Lucienne Bittar

La période de Noël est un moment fort pour l’Armée du Salut. «C’est là où se fait la grande récolte de fonds qui nous permet de pérenniser nos œuvres en faveur des démunis, notamment les sans-abris», précise Pierre-Alain Volet. Il est difficile de se faire une idée du succès ou pas de la quête du jour, car «les temps sont durs pour beaucoup de monde», constate pour sa part Michel.

De l’autre côté des voies du tram, un «brass band» de l’Armée du Salut enclenche des chants de Noël, tandis que Nathaelle et Wyatt, deux jeunes anglophones envoyés à Genève par le centre Jeunesse et Mission de Burtigny pour prêter main forte à l’AS, distribuent aux piétons un peu d’information sur le mouvement. Toute la place du Molard semble s’être mise aux couleurs d’un Noël solidaire.

Un emplacement de paradoxes

Difficile, pour un mouvement issu de la Réformation, de trouver pour ce faire un lieu plus symbolique et plus paradoxal à Genève! Ancien port, le Molard fut au 16e siècle le centre économique de la ville et il reste aujourd’hui encore un de ses poumons marchands. Voilà pour le Noël commercial. Mais c’est aussi là que fut prêchée pour la première fois la loi réformée, le 1er janvier 1533, par Antoine Froment, vicaire de la paroisse de la Madeleine. Fêter Noël à l’instar des «papistes» sera ensuite interdit par Jean Calvin, pour qui «aucun jour n’est meilleur que l’autre» pour célébrer Dieu, et cette interdiction sévira durant près de deux siècles.

Nathaelle et Wyatt, de Jeunesse et Mission, devant les cuivres de l’Armée du Salut | © Lucienne Bittar

Mais en ce 23 décembre 2023, tout cela semble fort lointain. Autour des bénévoles de la crèche vivante, de la fanfare et du partage festif de la soupe, préoccupations et joies terrestres semblent gagnés, pour quelques heures, par l’appel spirituel à aller à la rencontre de l’autre. (cath.ch/lb)

Une présence en Suisse de 140 ans
L’Armée du Salut (AS) a été fondée à Londres en 1878 par le pasteur méthodiste William Booth pour répondre aux besoins matériels et spirituels des plus démunis. Celui-ci l’organise sur le modèle militaire afin de le rendre plus efficace. Sa fille, Catherine Booth, introduit le mouvement en France, d’où il gagnera ensuite Genève, en 1882, puis Neuchâtel et Zurich. Invité à trancher sur son cas, le Tribunal fédéral accordera à l’AS le statut  d’association religieuse en 1989.
Aujourd’hui l’Armée du Salut est implantée dans tous les cantons romands, sauf celui de Fribourg. Les 140 ans de son arrivée en Suisse ont donné lieu à Genève, en novembre 2023, à des célébrations «hautes en couleur». Le pont du Mont-Blanc a été pavoisé de drapeaux blancs ornés du célèbre Redshield, et le jet d’eau s’est paré de blanc et de rouge, comme autant de marques de reconnaissance de la Ville de Genève à l’égard de l’AS pour son travail caritatif, en particulier auprès des sans-abris. LB

Pierre-Alain et Gabrielle Volet, officiers de l’Armée du Salut à Genève | © Lucienne Bittar

Lucienne Bittar

Portail catholique suisse

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