L’histoire du cardinal Schiner enluminée

«Est-il encore prince-évêque, celui qui mange à la table des prélats romains, qui sirote des liqueurs et qui couche dans de belles étoffes?» Telle est la question que se posent les partisans valaisans vindicatifs, qui bloquent la route de l’évêque Schiner sur le pont de Naters en 1510. Sur cette image débute Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance. L’album illustré suit le parcours de Marguerite, une lingère déterminée à venger ses parents massacrés sur l’ordre du prince-évêque de Sion.

Le cardinal Mathieu Schiner, prince-évêque de Sion de 1498 à 1522, a marqué aussi bien le destin du Valais que de l’Europe. L’album illustré Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance, de Geneviève et Alexandre Levine, réunit les styles modernes et anciens pour raconter son histoire aussi passionnante que mouvementée.

Mathieu Schiner a failli être le premier pape suisse. Il manqua finalement de s’assoir sur le Trône de Pierre à cause de l’antipathie que lui portaient les cardinaux français. Une déconvenue de plus dans une «carrière» à la fois ecclésiastique et politique parsemée d’échecs et pas forcément marquée par la sainteté.

La ville de Sion au 16e siècle/ illustration de l’album «Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance» (Editions Favre-2023) | © Alexandre Levine

Le prince-évêque originaire du village alpin d’Ernen dans le Haut-Valais a eu, malgré cela, une influence notable sur la politique de son époque et sur l’établissement des frontières en Europe occidentale. Les époux Geneviève (texte) et Alexandre Levine (illustrations) ont produit l’album afin d’éclairer cette plage d’histoire quelque peu méconnue. cath.ch s’est entretenu avec l’autrice.

Comment vous est venue l’idée du livre?
Geneviève Levine: Il s’agit en fait du troisième ouvrage issu de la collaboration avec mon mari. Dans ces projets, l’image a préexisté au texte. Alexandre, qui est un illustrateur professionnel, a toujours été fasciné par la reproduction de scènes historiques, surtout médiévales. Comme nous sommes tous les deux passionnés d’histoire, nous avons eu envie, il y a un certain nombre d’années, d’illustrer l’histoire du Valais. Le premier ouvrage a été consacré à la Bataille de la Planta, à Sion, en 1475.

Mais pourquoi vous êtes-vous intéressé à Mathieu Schiner?
Au fil de nos recherches, il nous est apparu que ce personnage était plutôt méconnu, en dépit de son importance historique. Nous n’avons pas trouvé d’ouvrage didactique sur lui, il y a très peu de traces le commémorant à Sion. Il nous semblait donc important d’apporter un éclairage encore inédit sur cette figure.

Le prince-évêque était en outre quelqu’un d’intéressant, qui possédait de multiples facettes. C’était tout d’abord un homme incroyablement intelligent et brillant, qui maîtrisait de nombreuses langues et une expertise dans des domaines très divers. C’était également un très fin stratège politique.

Détail d’une illustration de l’album «Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance» (Editions Favre-2023) | © Alexandre Levine

Le livre donne la vision d’un homme impitoyable, mais néanmoins complexe.
Oui. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été un tyran. Il n’a pas hésité à envoyer au combat des centaines d’hommes, parfois très jeunes et à faire torturer des gens, dont son principal opposant, Georges Supersaxo, de manière très cruelle. Mais il pouvait aussi faire preuve de charité et de générosité.

Alexandre a insisté pour que l’on inclue une scène historique où Schiner se rend à Berne pour donner un coffret rempli d’argent à une femme qui l’avait hébergé dans son enfance. Sur le moment, je ne trouvais pas cela utile, mais finalement je pense que cela aide à prendre un peu de recul sur le personnage. Dans tout homme, il peut certainement avoir du bon et du mauvais.

Schiner partageait, d’autre part, des idéaux humanistes, il connaissait Erasme et avait de bons rapports avec Zwingli. Il pensait que l’Eglise devait être réformée de l’intérieur. Mais, pour des raisons probablement politiques, il resta fidèle à la papauté et se tourna contre la Réformation. En 1521, il fut l’un des opposants les plus influents à Luther et l’un des rédacteurs de l’édit de Worms, qui condamna le prêtre allemand comme schismatique.

COMMENTAIRE
Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance donne l’image d’un immense travail de fond. Par le biais d’une intéressante histoire fictive, l’ouvrage offre une plongée historique passionnante dans le Valais du 16e siècle. Une impression d’immersion soutenue par un dessin réaliste parfaitement maîtrisé et finement détaillé. Les explications sont claires, permettant de bien comprendre les faits historiques inclus dans le scénario.
Une oeuvre artistico-pédagogique qui vaut certainement la peine d’être lue, en ce qu’elle apporte autant un voyage hors de notre temps, qu’un enrichissement intellectuel et contemplatif. RZ

Le cardinal n’était pas populaire non plus dans le Valais du 16e siècle…
Il avait certes ses partisans, mais son côté extrêmement autoritaire ne plaisait pas. Il était également mal vu parce qu’il recrutait des hommes pour ses guerres, et qu’il lui arrivait de ne pas payer les soldes.

A quel point l’album est-il historiquement fidèle?
Il est en tout point conforme aux données historiques que nous avons pu recueillir. Nous avons juste introduit deux personnages fictifs, la lingère Marguerite et le garde du corps Anselme, qui servent d’appui au récit. Mais nous réalisons toujours pour nos albums un important travail de documentation. Nous lisons beaucoup, notamment des archives et des livres d’histoire et nous nous déplaçons dans les endroits en question. Nous pouvons compter sur un réseau de personnes férues d’histoire, que nous avons constitué petit à petit depuis notre premier album. La Bourgeoisie de Sion nous a aussi beaucoup aidés.

On a l’impression que le dessin est aussi très réaliste…
Oui, mon mari a un extrême souci du détail. Je lui reproche même parfois d’en faire un peu trop. Il n’hésite pas à aller voir des spécialistes de beaucoup de disciplines pour savoir comment étaient faites les tuiles ou les charpentes des maisons, les habits, les objets… Mais pour lui, ce travail de recherche est aussi un plaisir.

Au niveau de l’illustration, il y a un parti pris de reproduire un style médiéval…
Oui, il y a surtout de larges cases, ornées d’enluminures. Tout est très coloré, avec aussi une inspiration d’art déco. Le texte prend par contre une forme didactique plus moderne, aérée, avec des encadrés explicatifs. Le but est en premier lieu de pouvoir faire comprendre facilement des faits historiques à tous les publics, de 7 à 77 ans.

Les châteaux du Vidomnat et de la Majorie, à Sion, au 16e siècle/ illustration de l’album «Le cardinal Schiner, objet de ma vengeance» (Editions Favre-2023) | © Alexandre Levine

Au final, que retenez-vous du personnage de Mathieu Schiner?
Sa place dans l’histoire, du Valais, de la Suisse et de l’Europe est peut-être sous-estimée. Son parcours est extraordinaire. Né comme simple fils de paysan, il a fini par jouer un rôle décisif dans la politique européenne.

Certes, il n’est pas parvenu à ses fins dans de nombreux domaines. Son désir de voir la destruction du Royaume de France ne s’est pas concrétisé. Il a tout de même maintenu le pouvoir contesté des prince-évêques, eu une influence importante sur le tracé des frontières, qui restent encore aujourd’hui, notamment sur le fait que le Tessin ait rejoint l’alliance des confédérés. Il a également joué un grand rôle dans la constitution de la Garde pontificale.

Il reste quoiqu’il en soit un personnage controversé. Au regard de nos valeurs actuelles, il est un tyran sanguinaire. Mais il pensait certainement aussi réaliser le bien, de son point de vue, et dans le contexte où il se trouvait. Il est toujours important de considérer les personnes selon l’époque et la mentalité où elles ont vécu. (cath.ch/rz)

Geneviève Levine a grandi à Sion puis suivi des études littéraires à l’Université de Neuchâtel. A côté de son activité de formatrice d’adulte, elle aime créer des textes rassemblant un public passionné: le récit historique, ou des créations destinées au chant choral.
Alexandre Levine a étudié très jeune la peinture, le dessin, le graphisme et la calligraphie, en Russie. En Valais, il s’est spécialisé en dessin thérapeutique et réalise des décorations murales pour les hôpitaux de plus de douze pays d’Europe.
Les époux ont déjà publié ensemble plusieurs albums illustrés : La Bataille de la Planta, Sion 1475 et Derrière la bannière aux chiens, Guerres de Rarogne en Valais, XVe siècle. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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