Protéger les plus vulnérables, victimes comme innocents

Le reportage de Mise au point sur l’Abbaye de Saint Maurice m’a choqué, ayant côtoyé de près les personnes accusées. Une semaine plus tard, me reste un sentiment d’injustice, mais sans doute pas celui attendu. Je demande par avance à mon lecteur sa bienveillance pour bien comprendre mon propos.

Par Stève Bobillier, éthicien et professeur de philosophie

En plus de l’horreur réelle des abus évoqués, le manque de nuance de l’émission m’interpelle. On y dit que 9 chanoines sont impliqués, à savoir un tiers de l’Abbaye actuelle. Or, la plupart des cas remontent à plus de 60 ans, les coupables ayant été condamnés. Et le reportage en mélangeant différentes affaires, donne à penser qu’il ne s’agit que de pédophilie, ce qui est faux.

Il ne faut pas être candide. Le nombre de témoignage montre qu’il y a eu des manquements graves à l’abbaye. D’ailleurs des coupables ont été jugés et arrêtés. Cela dit, pour les cas où il n’y a pour l’instant que des accusations, ne sommes-nous pas trop prompts à les juger? Que fait-on de la présomption d’innocence car jusqu’à preuve du contraire, toutes les personnes accusées sont innocentes. Avons-nous toutes les connaissances pour les juger? Et surtout est-ce à nous de le faire, ou à la justice?

Je suis choqué surtout du manque de respect de la protection de la vie privée. Comment peut-on citer les noms de certains chanoines alors que la justice n’a à ce jour rien contre eux? Imaginons qu’ils s’avèrent innocents. (L’Illustré s’est par exemple trompé en mettant la photo d’un homonyme à la place d’un chanoine incriminé). Pourtant le dégât d’image est là, ils ne pourront sans doute plus enseigner ou être prêtre sans que des personnes jugent qu’ils ont réussi à s’en sortir. Comment réagirions-nous si nous étions dans la même situation?

De plus, le reportage de Mise au point expose certains faits réels, mais tissent des liens entre eux, sans en apporter la preuve. Or, corrélation n’est pas causalité. On dit ainsi que personne de l’Eglise n’a répondu aux questions, preuve selon le journaliste de l’omerta. Au contraire, il s’agit d’un principe essentiel pour protéger les victimes: on ne communique pas dans une enquête en cours.

Ou encore, selon le journaliste, le départ du chanoine Jacquenoud pour le Kazakhstan ne peut être qu’une punition, puisqu’il s’agit «d’un pays au charme discutable». Je lui laisse ses opinions personnelles. En l’occurrence, le chanoine Jacquenoud était le seul missionnaire à parler couramment russe et qui avait les compétences théologiques pour partir en mission dans ce pays.

«Le principe selon moi est de protéger toutes les victimes: celles des abus, mais peut-être aussi celles de notre jugement trop prompt»

J’ai été l’élève de Roland Jacquenoud durant la période des faits cités. Il me donnait aussi des cours de chant et nous nous retrouvions chaque semaine à l’Abbaye, seuls tous les deux. Non seulement, il n’y a jamais eu d’ambiguïté, mais surtout il était d’un respect inouï. À l’époque, entre étudiants, nous avions entendu des rumeurs à propos d’un rapport consenti avec un novice. Nous nous étions dit que cela ne nous concernait pas. Seul importait le fait qu’il était un excellent professeur, respectueux de tous ses élèves, au point qu’il m’a donné envie d’être aussi enseignant.

Le reportage de Mise au point en présentant dans le même temps des affaires pédophiles et ce rapport avec un novice, a fait penser à certains qu’il s’agirait d’un mineur. Ce n’est pas le cas. Il affirme de plus, par personne interposée, que ce rapport était non-consenti. D’autres médias, ainsi que le principal intéressé, affirment le contraire. Si ce point peut être discuté, les faits sont que le novice n’a porté plainte ni à l’époque, ni à ce jour et que la justice valaisanne n’a aucun reproche pénal contre Roland Jacquenoud. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à nous d’en juger et la présomption d’innocence subsiste à ce jour pour lui comme pour les autres chanoines accusés.

Je sais que ces lignes risquent d’être mal comprises. Je souligne qu’il ne faut pas minimiser les abus! Il ne faut pas pour autant ajouter de l’injustice au malheur du monde, en jugeant de façon prématurée ou en manque de connaissance. Le principe selon moi est de protéger toutes les victimes: celles des abus, mais peut-être aussi celles de notre jugement trop prompt à vouloir mettre les accusés sur le même banc que les coupables.

Ainsi, je prie pour les victimes d’abus, leur souhaitant de trouver la paix; pour que justice soit faite; pour une presse objective; pour les gens de bonne volonté, proches de l’Eglise ou de Saint Maurice, qui souffrent de cette situation; pour que l’Eglise éradique tout abus en son sein; pour tous les accusés, qu’ils aient le courage de supporter cette épreuve s’ils sont innocents et d’affronter la justice s’ils sont coupables; et pour nous tous enfin, que nous soyons moins prompts à juger et plus à faire le bien autour de nous.

Stève Bobillier

1er décembre 2023

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