Anita Winter, fondation Garamaal
Une des dernières survivantes de l’Holocauste en Suisse s’en est allée. Nina Weil est décédée le 9 novembre 2023 dans le canton de Zurich, précisément le jour du 85e anniversaire de la nuit de Cristal qui a vu la mort de milliers de juifs en Allemagne.
Nina Weil n’a pas seulement témoigné de sa douloureuse histoire, elle a surtout touché les cœurs de milliers de personnes en la racontant. Depuis de nombreuses années, celle qui avait vécu l’horreur des camps racontait les atrocités du national-socialisme à des élèves de tous âges, de l’école primaire jusqu’à l’université. L’histoire de sa vie est immortalisée dans l’exposition permanente du Musée national à Zurich.
Nina Weil a longtemps gardé le silence sur les souffrances inimaginables qu’elle a subies. Ce n’est qu’à l’âge de 30 ans qu’elle a raconté pour la première fois à son mari comment les chars allemands étaient entrés dans Prague. C’est là qu’elle vivait à l’époque; elle était née en 1932 à Klattau, dans l’actuelle République tchèque.
Nina Weil a expliqué la persécution des Juifs a suivi son cours et sa déportation avec sa mère en 1942 dans un camp de concentration. Elle avait douze ans lorsqu’elle s’est fait tatouer le numéro 71 978 sur le bras à Auschwitz.
Dans une interview, elle a raconté cette expérience traumatisante: «J’ai beaucoup pleuré. Pas à cause de la douleur, mais parce que je n’avais désormais plus de nom, je n’étais plus qu’un numéro. Ma mère m’a promis que dès que nous serions libres, je recevrais un large bracelet pour que personne ne puisse plus voir mon numéro. J’aurais aussi droit à des cours de danse. Je n’ai reçu ni bracelet ni cours de danse. Et je porte encore ce numéro aujourd’hui».
L’histoire de sa vie, Nina Weil l’a racontée encore et encore au cours des dernières années. Devant des élèves, du personnel enseignant et des étudiants. Elle a expliqué la mort d’épuisement de sa mère à Auschwitz, comment elle avait réalisé à ce moment-là qu’elle était désormais livrée à elle-même pour toujours. Elle a aussi tenté d’expliquer la couleur particulière de la fumée des fours crématoires.
Elle a décrit avec une profonde indignation la cruauté des gardiens qui lâchaient leurs chiens sur les gens, qui leur tiraient dessus. Elle a décrit la manière dont elle avait été humiliée et privée de ses droits. Et elle a raconté comment elle avait survécu à une sélection par le médecin du camp de concentration Josef Mengele et comment elle avait survécu à la marche de la mort.
«Et c’est ainsi que nous avons marché et marché encore», décrit Nina Weil en évoquant les jours précédant la libération. «C’était en janvier. Nous n’avions pas de nourriture. Ceux qui avaient de la chance trouvaient un peu d’herbe au bord du chemin. La neige était notre eau. Nous sommes arrivés dans une grande exploitation agricole et nous avons pu dormir dans l’étable».
Nina Weil répétait que l’antisémitisme et toute forme de haine n’avaient pas leur place. La haine et l’indifférence ont scellé le destin de millions de Juifs en Europe. Un crime contre l’humanité à peine imaginable jusqu’à aujourd’hui.
A la fin de la guerre, Nina Weil avait treize ans A peu près le même âge que nombre des enfants à qui elle devait raconter son histoire plus tard, en Suisse et dans le monde entier. Elle leur a également raconté comment elle avait grandi dans un orphelinat, sa rencontre avec son futur mari à l’internat et comment, sa formation, puis son métier de laborantine à la polyclinique de Prague.
Lorsque les Russes ont envahi la Tchécoslovaquie en 1968, Nina et son mari passaient par hasard, quelques jours de vacances chez des amis à Uster. Après la répression du Printemps de Prague, ils ont obtenu l’asile en Suisse, où elle a dès lors travaillé comme laborantine à l’hôpital universitaire de Zurich.
Lors de notre dernier entretien, Nina Weil m’a dit, pensive: «Je suis l’une des dernières survivantes de l’Holocauste». Dans les classes, sa présence et son histoire manqueront désormais.
Maurice Page
Issue d’une famille juive hongroise non pratiquante, Magda Hollander-Lafon est déportée avec sa mère et sa petite sœur à Auschwitz-Birkenau en mai 1944. Elle a 16 ans. À l’arrivée du convoi, une déportée lui souffle: «Dis que tu as 18 ans.» Elle échappe ainsi à la chambre à gaz. Sa mère et sa sœur sont gazées dès leur arrivée. La jeune Magda est détenue à Auschwitz, puis dans les camps de Ravensbruck, Zillerthal, Morgenstern, Nordhausen.
Après le bombardement de Nordhausen par l’aviation alliée, les SS organisent un convoi pour Bischofferode (Allemagne), situé à environ 30 km. Contrainte de se déplacer à pied, Magda parvient à s’extraire des rangs et à se cacher dans un bois, avec quatre autres Hongroises. Le 12 avril 1945, elle est libérée par les Américains.
D’abord accueillie en Belgique, Magda y poursuit ses études. Elle choisit de devenir psychologue pour enfants. « Ma souffrance m’a aidée à comprendre les enfants », disait-elle. Elle décide ensuite de vivre en France et s’installe à Rennes.
Après la libération des camps et sa rencontre avec le Christ, commence un long chemin de pacification qui la conduit à choisir la lumière en elle, rappelle l’hebdomadaire La Vie qui relate son décès. Et à témoigner, notamment auprès des jeunes. À 93 ans, cette survivante de la Shoah, lumineuse de joie, a publié une vigoureuse ode à la vie dont le titre contient en lui seul le cœur de sa foi : Demain au creux de nos mains (Bayard).
En 40 ans, Magda Hollander-Lafon aura rencontré plus de 50’000 jeunes. «J’ai commencé à témoigner parce que, en 1978, Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux questions juives du gouvernement de Vichy, a dit qu’à Auschwitz, n’avaient été gazés que des poux ! Ça veut dire que vous et moi, nous ne sommes que des poux. Si un être humain est un pou, alors l’univers est un pou», confiait-elle en 2021. (cath.ch/mp)
Lien vers la fondation Gamaraal
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