«En Eglise, il faut qu’une oreille écoute les gens en précarité»

Ancien détenu repenti, Laurent aujourd’hui père de trois enfants est l’un des protagonistes de l’Université de la solidarité et de la diaconie et qui se déroulera les 18 et 19 novembre à Lausanne. Non-croyant et pas baptisé, il a cependant accepté de s’impliquer dans la démarche. Il explique à cath.ch comment a émergé la thématique de la «communion», fil rouge de cette rencontre.

Laurent, d’origine française, est arrivé à l’âge de 11 ans en Suisse. Aujourd’hui père de trois enfants, il a travaillé 25 ans. Un événement dramatique lui vaut une longue incarcération suivie de séjours en milieu fermé durant 7 ans. Grâce au service de la probation vaudoise, il rencontre Marie-Antoinette Lorwich, responsable de la diaconie de l’Eglise fribourgeoise, en 2019 au centre d’accueil «Le Roseau», qu’elle a ouvert en 2014 à Moudon (VD). Elle lui propose de participer au projet de l’Université de la diaconie.

Vous n’êtes pas baptisé.
Laurent: Je suis athée, je suis non-croyant par éducation. Mes parents ont suivi leur scolarité chez les jésuites et les religieuses et ont quitté l’Eglise, qu’ils ont assimilée à une secte. Apparemment, ça s’est mal passé pour eux. Donc je ne devais pas me faire baptiser ni entrer dans une Eglise. Je n’éprouvais pas de haine pour l’Eglise, simplement qu’elle n’existait pas pour moi.

Comment voyez-vous l’Eglise?
L’Eglise, je l’ai toujours vue à travers ces hommes en robe, avec des ‘toques’ et des bagues qui prennent la parole. Je les ai sentis un peu hors sol. En Eglise, il faut qu’une petite oreille écoute les gens en précarité, peut-être que cela n’a pas été souvent le cas. Je suis d’accord pour que des gens dont c’est le métier «tiennent la baraque», c’est quand même des gens qui ont étudié et c’est leur travail. Mais je pense que le 90% de l’Eglise, c’est le peuple, or si l’on n’écoute pas le peuple, il y a un souci. Je n’en fais pas une affaire personnelle sur l’air du «on ne m’a pas écouté, j’ai été un enfant maltraité, j’ai fait de la prison, etc…». Entre temps, j’ai eu une vie de père de famille. J’ai travaillé. J’ai eu ma part de belle vie. J’ai trouvé que ce projet d’université de la diaconie valait vraiment la peine de s’engager.

Pensez-vous que cette Université de la diaconie peut servir l’Eglise?
Cette Université de la diaconie a du sens si l’Eglise veut se faire entendre avec un vrai discours. J’ai l’impression qu’il y a des décennies qu’on n’écoute plus l’Eglise. Pourquoi est-elle devenue inaudible? Peut-être parce que son discours ne correspond plus à ce qu’on vit au quotidien. Même pour un non croyant comme moi – et ce n’est pas parce que je ne suis ni croyant ni pratiquant que je ne l’écoute pas et que je ne la respecte pas.

«Cette Université de la diaconie a du sens si l’Eglise veut se faire entendre avec un vrai discours.»

Et le fait que cette démarche vienne de l’Eglise, cela vous a-t-il surpris ?
Ce n’est pas l’Eglise qui est venue me chercher. Je pense que je ne serais pas venu. C’est la justice à travers la probation vaudoise et la proposition, dans le cadre d’un projet de vie, de rencontrer Marie-Antoinette qui m’a amené à ce projet. J’ai été mis en contact avec le centre d’accueil Le Roseau où j’ai rencontré Marie-Antoinette. A travers des discussions, j’ai découvert ce fameux esprit de communion dont je ne connaissais que le mot. Je n’avais jamais expérimenté cette sensation de communion, de pouvoir rencontrer des gens simples en précarité et vivre en communion avec eux. La précarité, que ce soit la prison, ce que j’ai vécu dans mon enfance et mon adolescence, je la vivais seul. Je m’en sortais seul. Le fait de rencontrer d’autres personnes venant d’univers différents avec des histoires différentes et de pouvoir être écouté et écouter sans jugement, c’était apaisant et de fil en aiguille, j’ai eu un déclic: c’est tellement plus évident et logique que ça se passe ainsi. Dans mon logiciel, à 47 ou 48 ans, j’ai découvert cette façon de communier. Alors qu’avant je communiais… seul!

Qui a participé aux réunions?
Lorsqu’on m’a dit «précarité», ne venant pas du milieu de la rue, j’ai pensé qu’’il y aurait des SDF et des mendiants. J’ai compris ensuite qu’il s’agissait de gens qui avaient traversé des déserts pour se retrouver là. Il y avait un homme en chaise roulante, des toxicomanes avec des vies cabossées, des migrants, des SDF, des Roms. Un curé qui était proche de nous a participé aux réunions. Et quand j’ai compris que «précarisés» était une mosaïque de ces situations, j’y ai vu une force. Je me suis retrouvé avec des gens qui avaient des histoires d’une richesse incroyable à raconter!

Malgré toutes les différences, nous n’avons pas eu de désaccords. La plus belle chose, que je ne m’explique pas: nous n’étions pas catholiques et nous avons pourtant réussi à choisir le mot «communion»! Au début de la réflexion, nous nous étions pourtant dit que nous n’allions pas choisir un mot «bigot». On avait un peu peur que l’équipe nous force à mettre un mot ecclésiastique, mais ce ne fut pas le cas. Nous avons bossé, mais nous n’avons pas transpiré parce que nos réflexions sont sorties du cœur. On n’a pas eu l’impression de réfléchir, cela s’est passé à travers des discussions et le témoignage de notre vécu. A plusieurs, nous avons eu l’impression que nos parcours de vie se rejoignaient, malgré de grandes différences.

«La plus belle chose, que je ne m’explique pas: nous n’étions pas catholiques et nous avons pourtant réussi à choisir le mot «communion»!»

Comment avez-vous procédé?
A partir de nos récits de vie, nous sommes partis avec une cinquantaine de mots parmi lesquels «souffrance», «enfance», «traumatisme», «lumière», «abus», etc. Nous avons abouti au mot «communion».
C’est le plus beau résultat de nos réflexions. Et on a réussi à remettre ce mot en cause: lorsqu’on a expliqué que le mot «communion», qui n’est pas si «angélique» que ça, qu’il signifiait aussi exclusion. Nous, les gens en précarité, on vit la communion comme une exclusion. Nous ne sommes pas toujours acceptés dans la communion, mais on a tout de même choisi ce mot parce que nous nous sommes dit, en prenant du recul, en faisant preuve de réflexion et d’introspection, que seule la communion nous sauvera de nos galères. Même si parfois, au quotidien je me sens exclus, je ne désespère pas. Il n’y a que dans ce milieu-là que j’ai vécu une telle expérience de partage. Je n’ai pas ressenti de telles sensations dans le monde professionnel ou celui des copains.

«S’il n’y a pas de communion, le reste ne peut pas aller.»

Le mot communion a-t-il été choisi à l’unanimité?
Lors de la dernière réunion, il y a eu un consensus autour de ce mot qui «résolvait» tous les autres. «Abus», «injustice», «lumière», etc. S’il n’y a pas de communion, le reste ne peut pas aller. Nous ne voyons pas la communion comme les gens «normaux». On a rarement été en communion dans nos vies. Quand tu es en prison, en fondation fermée, quand tu vis à l’hôtel, chacun chez soi, quand tu vis seul, on ne parle pas de la communion. Plus de communion dans la société résoudrait beaucoup de problèmes: la solitude, l’injustice sociale, l’indifférence. On ne pense pas à la communion comme vous qui êtes en Eglise. Cette définition de la communion prend un tout autre sens parmi les personnes en précarité. Nous devons favoriser la rencontre car l’Eglise ne peut pas tout faire non plus. Elle ne peut pas faire se parler les voisins entre eux.

Y a-t-il eu des moments forts lors de cette expérience?
On a partagé un repas à l’évêché avec Mgr Charles Morerod. C’était un grand moment! Il nous a écouté attentivement. Cela faisait partie de la finalité de la démarche: lui présenter le projet. Je m’attendais à quelqu’un d’austère, pas marrant. Pas du tout! Il nous a écoutés, il a accepté les critiques et les remarques qu’on lui a faites sur l›Eglise. Non seulement il a eu une écoute sur le moment, mais aussi il a traduit cette écoute lors du discours de la Fête-Dieu (Mgr Morerod a prononcé son homélie sur ce qui s’est dit au cours de ce repas à l’évêché, ndlr). Je me suis dit: «chapeau!». Il a repris quelque chose de très important de nos discussions en disant à ses chers paroissiens: «Vous venez le dimanche à la messe, mais sachez que pour certaines personnes, le mot ‘communion’ peut vouloir dire ‘exclusion’».

«On vient de nulle part, on nous a donné la chance de prendre la parole avec nos mots. C’est une bénédiction.»

Cette rencontre avec Mgr Morerod vous a-t-elle fait changer d’avis sur l’Eglise?
Je me suis dit: «Il y a des gens très haut placés qui écoutent et qui vont peut-être accepter d’évoluer». Comme ces personnes braquées contre l’Eglise qui ont participé à nos réunions et qui ont fait du chemin. Je sais que Mgr Morerod cite encore ce repas. On vient de nulle part, on nous a donné la chance de prendre la parole avec nos mots. C’est une bénédiction. Ce n’est pas donné à tout le monde. Je sortais de prison, j’étais au fond du trou. Après tout, peut-être qu’en Eglise, vous avez besoin de nous. Après on sait que ça va bouger de 1%, mais ce n’est pas grave. Cela avance pierre après pierre, ça prendra deux siècles pour évoluer, mais je suis super fier d’avoir eu la chance de faire cette démarche avec les autres. (cath.ch/bh)

Deux jours d’ateliers et de dialogue
Répartie sur deux jours, les 18 et 19 novembre, à la Haute école de travail social de Lausanne, l’Université de la solidarité et de la diaconie proposera divers ateliers. Le samedi, les participants seront répartis en groupes de discussion animés par une personne en précarité et une autorité ecclésiale qui se raconteront à partir de mots choisis préalablement. Des ateliers théâtre, peinture, dessin, chorale seront ouverts à tous. Le dimanche clown Gabidou proposera notamment un atelier qui sera suivi d’un repas «Journée mondiale des pauvres». Programme complet. BH

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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