L’enfer est pavé de machines à café et de caisses automatiques

«L’enfer c’est les autres». Souvent on répète cette phrase d’un personnage de Sartre dans sa pièce Huis-Clos, sans y réfléchir, comme si c’était une évidence. Alors on se protège des autres. On plante des haies de thuyas d’une hauteur phénoménale pour être sûrs de ne pas être vus par les voisins. Tout cela pour finir par se rendre compte que l’enfer c’est au contraire quand il n’y a pas d’autres.

Des études en psychologie sociales nous montrent l’importance de ce que l’on appelle les interactions faibles ou banales. Ce sont ces micro-rencontres qui jalonnent nos journées. Un regard, un sourire, «Bonjour», «Après-vous», «Comment ça va?» «Bonne journée!» …. On n’y accorde en général pas d’importance, certains diront même que ces formules spontanées sont hypocrites. Et pourtant, quand elles ne sont pas là il nous manque quelque chose.

Les chercheurs le confirment en montrant que le sentiment d’avoir passé une bonne journée dépend de cette multitude d’échanges informels. Pourquoi? Il me semble que c’est parce que nous avons rencontré des humains, et que dans la réciprocité d’un regard et d’une parole échangée, fut-elle banale, nous nous sommes confirmés mutuellement notre humanité.

«Les interactions sont ces petits fils à peine visibles mais indispensables avec lesquels se tisse une humanité fraternelle»

Il y a quelques temps, dans l’établissement où je travaille, on a transformé une petite cafétéria où nous aimions nous retrouver plusieurs fois par jour. On y était accueillis chaleureusement par des personnes humaines, nous saluions des collègues et des étudiants et ces petits échanges enrichissaient notre journée. L’administration a jugé plus économique de remplacer les humains par des machines à café. Ce sont leurs grincements qui remplissent ce lieu qui a désormais perdu sa vie. On voit le même mouvement dans les commerces, les gares où les administrations. Des automates prennent la place des humains qui les peuplaient. Au départ certains vont trouver ce mode de faire plus pratique, mais au fur et à mesure que les visages sont remplacés par des lecteurs de QR codes nous commençons, malheureusement souvent trop tard, à nous rendre compte que sans les autres c’est l’enfer.

Les interactions banales ne le sont pas tant que ça. Elles sont ces petits fils à peine visibles mais indispensables avec lesquels se tisse une humanité fraternelle. «Jolie pause!» disait la dame de la cafeteria. On doit certainement pouvoir programmer une machine à café pour dire la même chose, peut-être même avec la même voix. Mais il faut nous rendre compte avant qu’il ne soit trop tard que les situations ne sont pas équivalentes. Dans un cas nous tricotons notre humanité et dans l’autre, nous la laissons se défaire.

Thierry Collaud

15 novembre 2023

Portail catholique suisse

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