La deuxième édition de l’Université de la solidarité et de la diaconie va se dérouler à Lausanne. En quoi diffère-t-elle de la première édition de 2019?
Marie-Antoinette Lorwich: Lors de la première édition (à Fribourg, en 2019, ndlr) nous voulions organiser une rencontre entre des gens en précarité et des personnes «autorité» telles que des étudiants, les agents pastoraux, des séminaristes. Ceux qui lisent dans les livres et qui apprennent et ceux qui vivent ce que les premiers lisent dans les livres. Le but était de donner la parole aux «sans-voix» comme on les appelle. On parle d’eux, on écrit sur eux, mais rarement on les écoute. Ce sont donc les gens qui vivent la précarité qui ont travaillé le thème de cette université à partir de leur vie.
Pourquoi le terme «Université»?
Parce que à l’université, on va pour apprendre. On apprend avec les livres, mais le fait d’intituler cet événement «Université de la solidarité et de la diaconie», signifie que des personnes qui ne peuvent pas avoir accès à l’université, ont aussi un savoir. Nous avons voulu placer les deux catégories de personnes ensemble: celles qui apprennent avec des livres sans se rendre compte de la réalité du terrain et celles qui vivent cette réalité. Il s’agit de permettre de pouvoir faire vivre des mots qui sont dans des livres de les incarner avec ces personnes en précarité. L’université ne doit pas seulement être liée à des diplômes. Elle doit être liée à du savoir.
«Le fait d’intituler cet événement ‘Université de la solidarité et de la diaconie’, signifie que des personnes qui ne peuvent pas avoir accès à l’université, ont aussi un savoir.»
Qui est impliqué dans l’organisation de cette université 2023?
En 2021, un an avant de commencer le travail sur cette deuxième université, nous avons créé un groupe de travail composé d’une douzaine de personnes en précarité: des personnes toxicomanes, des gens qui ont vécu dans la rue ou encore qui sont passées par la prison. Il y avait une personne âgée en difficultés et une autre handicapée et des Roms. Ils venaient de divers cantons. Certains ont assisté à plusieurs réunions, d’autres sont venus une fois. Cette première étape a duré à peu près un an, à travers une dizaine de réunions.
Quel était l’objectif de ces rencontres?
Il s’agissait de donner le choix du thème de la future université aux personnes en précarité. Nous nous sommes réunis la première fois à Lausanne. J’ai dit aux gens qui étaient présents: «On va faire une université. Je ne sais absolument pas quel thème on va choisir. Nous allons avancer ensemble et on verra». Nous avons pris beaucoup de temps pour nous présenter les uns aux autres, bien au-delà du simple «Je m’appelle untel et j’habite Lausanne». Rapidement, on est allé beaucoup plus loin dans nos récits de vie. Avec Martine Floret (responsable du Pôle entraides du Service solidarités de l’Eglise fribourgeoise, ndlr), nous avons écouté les gens qui se sont racontés très vite.
Comment s’est déroulé le processus?
Nous n’avons pas posé de ligne directrice. J’ai utilisé l’aspect méditatif avec un texte biblique. Nous avons eu l’idée de travailler avec des mots tirés de leurs récits de vie. Des mots percutants. La liste s’est allongée. Nous avons noté tous les mots qui venaient sur un tableau: positifs comme négatifs: «violence», «abus», «injustice» qui correspondaient à leur histoire de vie. On a décidé de réduire la liste au plus important, à ce qui leur correspondait le mieux. Nous sommes ainsi arrivés à une «short list»: Lumière, communion, abus, injustice et violence.
Des mots comme «abus», «injustice» et «violence», c’est dur pour une université.
Nous avons entendu beaucoup de témoignages durs. Je n’imaginais pas qu’on arriverait à quelque chose de lumineux. Je penchais pour «injustice» ou «abus». Je me voyais déjà annoncer aux professionnels qu’on allait travailler sur le mot «abus» comme thème de l’Université de la solidarité et de la diaconie… Au fur et à mesure, les discussions ont pris une tournure fraternelle. Les personnes étaient très heureuses de se retrouver et après nos séances de travail, nous partagions un repas. Je peux dire que nous avons créé une fraternité. En fait nous avons vécu des rencontres synodales.
«Nous avons entendu beaucoup de témoignages durs. Je n’imaginais pas qu’on arriverait à quelque chose de lumineux.»
Un chemin synodal? En quoi?
Le fait de s’écouter permet de se connaître tout de suite. Dès qu’on s’écoute, on est différent, on est bousculé. Tout change, on lâche nos a priori et on se laisse porter. On a chaque fois prié, même si ces gens n’étaient pas croyants. On a invoqué l’Esprit-Saint pour nous guider, pour que ce thème soit utile ou nécessaire. Tout le monde a eu la parole, rien n’a été imposé. En fait, le thème s’est imposé au groupe de travail, non l’inverse.
Le travail s’est poursuivi…
Les participants ont commencé à réduire cette «short list» pour finalement choisir le mot «communion». Parce que l’un d’entre eux a dit: «Finalement, seul le fait d’être ensemble peut nous sortir de nos galères». L’une des personnes s’est opposée à ce mot, arguant que la communion engendrait aussi l’exclusion: «Oui, vous êtes l’Eglise, vous êtes en communautés, en communion, vous êtes entre vous et nous, dehors, nous ne sommes pas accueillis». Le mot a tout de même été gardé.
Vous êtes passés à la deuxième phase de préparation
Nous avons ensuite travaillé avec des professionnels: les responsable de la formation du CCRFE, notamment le diacre Philippe Hugo et Nicolas Blanc, qui portent en grande partie le projet. Ils ont collaboré avec les responsables de la diaconie de tous les cantons romands et avec quelques personnes en précarité. On a redéployé le fonctionnement de ce qu’on a vécu tout au long de l’année et on a retravaillé ensemble sur ce mot «communion».
Quand vous dites «redéployer», c’est une manière de concrétiser tout ce qui a été thématisé pour organiser cette université?
C’était aussi une manière d’impliquer les professionnels. Les bénéficiaires ne pouvaient pas décider de tout, tout seuls. Il fallait à nouveau avancer ensemble dans ce grand groupe. Nous avons redéployé la réflexion beaucoup plus rapidement pour arriver à un thème. Et il a fallu trouver le lieu. Après plusieurs recherches, la Haute Ecole du Travail Sociale (HETS), à Lausanne, nous a ouvert ses portes avec joie. Il y avait aussi ce désir d’impliquer les paroisses, de ne pas créer un événement en périphérie. A côté de la HETS, la paroisse de St Etienne accueillera les participants pour les repas et l’aspect festif de cette université. (cath.ch/bh)
Deux jours de rencontres
Répartie sur deux jours, les 18 et 19 novembre, l’Université de la solidarité et de la diaconie proposera divers ateliers. Le samedi, les participants seront répartis en groupes de discussion animés par une personne en précarité et une autorité ecclésiale qui se raconteront à partir de mots choisis préalablement. Des ateliers théâtre, peinture, dessin, chorale seront ouverts à tous. Le dimanche clown Gabidou proposera notamment un atelier qui sera suivi d’un repas «Journée mondiale des pauvres». Programme complet. BH
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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