Vivre sa foi dans un camp de réfugiés (ou ne plus y arriver)

Reportage dans le camp pour réfugiés centrafricains de Gado-Badzéré, à l’est du Cameroun, à la rencontre de chrétiens centrafricains en situation de déplacement forcé.

Salomon Albert Ntap (Yaoundé) / Protestinfo

Gado-Badzeré, à l’est du Cameroun, accueille depuis 2014 les réfugiés centrafricains qui ont fui le conflit opposant les rebelles de la Seleka (coalition ethnique à coloration religieuse musulmane, ndlr) à l’armée de François Bozizé, alors président de la République de Centrafrique. En marge des autres secteurs du camp à forte concentration musulmane, le secteur 12 est le bastion des réfugiés chrétiens, arrivés ici depuis plusieurs années avec leur famille pour la majorité. Mais comment ces déplacés forcés au Cameroun parviennent-ils à vivre leur foi? Rencontres.

«Une vie chrétienne normale»

Kadjija Limberi a 40 ans. Cela fait deux ans qu’elle est arrivée à Gado-Badzéré. Avant la crise, la jeune femme était une fervente fidèle dans une église appartenant au mouvement pentecôtiste à Bangui, capitale de la République centrafricaine (RCA). A plus de 613 km de sa ville natale, elle vit «sa foi sans aucun détour malgré tout», affirme-t-elle. «Aucune de nos assemblées n’est présente ici, mais je vais dans une église protestante non loin du camp chaque dimanche.»

Victime d’un viol pendant le conflit, Kadjija assure avoir «trouvé la paix» grâce à sa «persévérance à l’église» et «sa relation avec le Seigneur», qui lui «a permis de me remettre de cette période sombre». Pour intensifier cette communion, chaque mois, elle «observe un programme de jeûne et de prières de trois jours», rapporte-t-elle. «Je donne également mes offrandes et rends mes dîmes puisque je fais un petit commerce dans le camp» révèle-t-elle.

Le camp de réfugiés de Gado-Badzéré (Cameroun) couvre 55 hectares | © Salomon Albert Ntap (Yaoundé) / Protestinfo

Le secteur 12 du camp des réfugiés de Gado-Badzéré met aussi en lumière la foi commune de certaines familles, ainsi que la vocation de certains laïcs qui exercent ici. A l’instar d’Emmanuel Totoni, originaire de Bocaranda, à proximité de la frontière entre la RCA et le Tchad. Ce diacre de l’Eglise évangélique centrafricaine a perdu sa femme et vit avec ses cinq enfants.

Religion en famille

Avec sa famille, il a rejoint une petite communauté chrétienne créée dans le camp, dont ils sont membres depuis plusieurs années. «C’est ici que ma famille et moi avions renouvelé notre alliance avec le Seigneur», confie-t-il. «Depuis, nous vivons notre foi comme toute famille chrétienne normale, avec des réunions de prières familiales et l’étude de la parole de Dieu au quotidien à la maison», souligne-t-il. Une vie de foi également marquée par des fonctions que ses enfants et lui occupent au sein de la communauté locale: «Je prends soin de la conservation du matériel de notre assemblée et mes enfants gèrent la chorale», explique-t-il.

Au milieu d’interminables maisons faites en bâches du sigle du Haut Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés (HCR), une bâtisse entièrement en paille tissée attire l’attention: c’est l’église «Capirene». A sa tête se trouve Frère Sosthène Wigande, un missionnaire évangélique et laïc. Réfugié centrafricain au même titre que les fidèles, il est «le berger du peuple de Dieu en déportation ici», lance-t-il en souriant.

«Même prier ou lire la Bible sont devenus difficile depuis que je suis dans ce camp»

Emmanuel Sanga

L’objectif de cette communauté chrétienne est «d’accompagner nos bien-aimés à vivre et à persévérer dans leur foi», précise-t-il. «Un programme en bonne et due forme a été mis au point à cet effet», déclare le missionnaire. Ainsi «le dimanche, c’est le culte d’actions de grâce , chaque lundi une prière matinale, le vendredi un culte de délivrance et de guérisons», renseigne-t-il. Une «atmosphère nécessaire» et «indispensable» pour permettre aux «fidèles de vivre concrètement leur foi et la communion fraternelle», indique le berger de la communauté, qui compte 84 membres et espère encore s’agrandir. «Chaque samedi, nous nous retrouvons pour annoncer Jésus-Christ dans tout le secteur 12 du camp», confie-t-il.

Naufragés de la foi

Si plusieurs réfugiés affirment «continuer de vivre leur foi», pour d’autres, les années passées au milieu des 55 hectares de ce camp ont eu raison de leur foi. Ils étaient pourtant, pour certains pasteur, ancien, diacre ou chrétiens engagés dans une Eglise dans leur pays d’origine. A l’instar d’Emmanuel Sanga, qui était encore il y a trois ans proposé pasteur de l’Eglise évangélique des frères dans son Baoro natal, à l’ouest de la Centrafrique.

La guerre et son transfert au camp de Gado-Badzéré ont chamboulé beaucoup des choses dans sa vie et surtout dans sa foi. «En dehors du fait que je ne me suis pas  reconnu dans ce que prêchent certaines Eglises ici, il y a aussi les difficultés du quotidien qui ont eu raison de ma foi», regrette-il. «Je préfère rester à la maison. Même prier ou lire la Bible sont devenus difficile depuis que je suis dans ce camp», se désole-t-il.

95% des réfugiés dans le camp de Gado-Badzéré (Cameroun) sont de confession musulmane | © Salomon Albert Ntap (Yaoundé) / Protestinfo

«Si me rendre à l’église ne m’intéresse déjà plus, à quoi bon devenir pasteur?», s’interroge-t-il un peu désabusé. Certains chrétiens centrafricains dans le camp ont essayé de l’aider à «rallumer la flamme de sa foi», mais «cela n’a pas marché», avoue-t-il. Depuis lors, le divorce a été prononcé entre l’ancien proposé pasteur et sa foi. D’ailleurs Emmanuel Sanga, âgé aujourd’hui de 45 ans, se voit plus «homme d’affaires que toutes autres choses», affirme-t-il, même si cela brise le cœur de son épouse qui «rêvait tant d’épouser un pasteur».

Retour en Centrafrique

Angèle Korongu et son mari Moïse tournent interminablement l’album photo de leur consécration respectivement comme ancienne et diacre au sein de leur Église en Centrafrique. «Un autre malheur s’est abattu sur nous après celui de la guerre», confie Angèle. «Depuis notre arrivée ici, nous avons petit à petit perdu le goût de la chose de Dieu, et notre foi en a pris un sérieux coup», reconnaît-elle.

La faute à «la barrière de la langue», d’après son mari. Dans toutes les Eglises ici, «on ne parle que le gbaya (langue locale)», s’indigne- t-il. «Comment allons-nous faire? Prier à la maison tous les deux, c’est bien peu suffisant pour conserver notre foi comme lorsque nous étions au pays», estime-t-il. Pour essayer de résoudre ce problème, Moïse Korongu dit avoir entrepris avec d’autres réfugiés une démarche auprès du HCR pour «obtenir l’autorisation de faire venir au sein du camp un pasteur de leur Église qui exercerait à Garoua Boulaï», arrondissement dans lequel est situé le camp des réfugiés de Gado Badzeré. La réponse de l’organisation onusienne a été sans appel: «Nous sommes laïcs et ne souhaitons pas nous occuper de ce domaine», rapporte Moïse Korongu. Une information confirmée à par le superviseur du camp, Ferdinand Laban.

Dans la famille de Moïse et Angèle Korongu, cette situation a même été à l’origine du retour de leur fils en Centrafrique: «Il ne supportait plus de ne pas vivre sa foi alors qu’il voulait servir Dieu», argue-t-elle. «Il a préféré rentrer de peur de se refroidir comme nous.» (cath.ch/protestinfo/san/rz)

Le camp de Gado Badzeré un modèle de cohabitation?
Selon les chiffres 2023 du HCR, il ressort que 95% de la population du camp est d’obédience musulmane contre seulement 5% de chrétiens. Une disparité «sans conséquences véritables» dans le quotidien des réfugiés, selon notre accompagnateur. Les deux groupes «se côtoient» et «vivent librement leur foi».
Les deux communautés se sont d’ailleurs organisées autour d’un comité de sages. «Il veille au bon fonctionnement des relations», souligne Berinda Yougada, secrétaire général dudit comité. «L’accent est mis sur l’acceptation de l’autre et le respect des convictions religieuses de chaque groupe», poursuit-il. «A l’occasion des fêtes chrétiennes ou musulmanes, nous nous retrouvons souvent pour partager les repas. Cela renforce nos liens: au-delà de la différence de religions nous sommes d’abord tous centrafricains.»
Il arrive qu’il y ait quelques frictions entre réfugiés chrétiens et musulmans. «Cela concerne beaucoup plus les jeunes de nos deux communautés», explique Adalbert Gabete, l’un des représentants des chrétiens au sein du comité des sages. L’intervention de l’imam de la mosquée du camp et de certains fidèles chrétiens a pu empêcher que la situation ne dégénère. Quant à l’organisation onusienne, elle met un point d’honneur à ce qu’il y ait «une bonne cohabitation entre réfugiés chrétiens et musulmans», martèle Ferdinand Laban, superviseur du site. Si les deux communautés sont installées dans des secteurs diversifiés, «elles prennent ensemble une part active à la vie du camp. Elles partagent notamment les différents points de ventes, d’accès à l’eau et même des soins.» SAN

Rédaction

Portail catholique suisse

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