La décision de la Cour suprême a été rendue par un panel de deux membres dirigé par le juge en chef Mian Saqib Nisar et le juge Ejazul Ahsan, rapporte l’agence Fides. Cette décision fait suite à une requête déposée par Samuel Payara, président du Forum pour la mise en œuvre des droits des minorités (Implementation of Minorities Rights Forum).
Au Pakistan, les chrétiens sont souvent désignés par le mot ourdou «Esai», dérivé de «Isa», le mot arabe utilisé dans le Coran pour désigner Jésus. Le terme «Masihi», en revanche, qui signifie «peuple du Messie», est bien accepté par les chrétiens pakistanais et ne contient aucun jugement défavorable, ni n’implique aucune humiliation de la personne à laquelle il se réfère.
Utilisé pour la première fois pendant la période coloniale, le terme «Esai» se réfère principalement aux personnes travaillant dans le nettoyage des rues et à d’autres activités exercées par les castes inférieures. Le terme «Churha», qui se traduit officiellement par «balayeur de rue», a la même connotation, exprimant l’hostilité et le dégoût, et désigne une caste de dalits, les «intouchables».
Au fil des ans, ce terme a conservé et renforcé une signification fortement péjorative et est utilisé comme une insulte à l’égard des chrétiens, quelle que soit leur profession: cette violence verbale, qui a un impact émotionnel et psychologique, commence souvent dans les salles de classe pakistanaises, ce qui a de graves conséquences sur le bien-être, la confiance et l’estime de soi des enfants de confession chrétienne. Le terme est lié à une pratique sociale: au Pakistan, on estime que 80 % des travailleurs de la voirie, du personnel de nettoyage des rues et des égouts – des personnes sans éducation, au bas de l’échelle sociale – sont des chrétiens, qui sont encore traités comme des parias ou des «intouchables»: les gens évitent généralement de leur serrer la main, de se faire des amis et même de manger ou de boire avec eux.
L’arrêt de la Cour suprême, qui a reçu l’approbation du Conseil de l’idéologie islamique – un autre aspect important – ouvre une voie pour mettre fin à cette discrimination: la Commission électorale du Pakistan a déjà agi rapidement sur la base de la directive en supprimant le mot «Esai» des formulaires d’inscription des électeurs et en le remplaçant par «Masihi», créant ainsi un précédent pour d’autres départements du gouvernement.
Les dirigeants et les sympathisants de la communauté chrétienne ont accueilli ce changement avec enthousiasme et gratitude, y voyant un pas important vers la reconnaissance et le respect de l’identité culturelle et religieuse. La décision de remplacer «Esai» par «Masihi» est considérée comme un effort concret pour éliminer les sentiments de mépris et les idées discriminatoires de la société.
Selon l’ONG «The Edge Foundation», il s’agit d’une étape importante qui peut être progressivement étendue à toutes les institutions publiques, nationales et régionales. C’est un pas vers l’unité», note l’ONG, «car il ne s’agit pas seulement d’un changement de terminologie, mais aussi d’un engagement à changer les mentalités, en respectant les différentes identités qui composent la riche mosaïque de cultures et de croyances du Pakistan. Il s’agit d’une mesure qui renforce la compréhension religieuse et l’unité du peuple pakistanais».
Au Pakistan, où plus de 90 % de la population s’identifie comme musulmane pratiquante, le recensement de 2017 a estimé à 2,6 millions le nombre de chrétiens, soit environ 1,27 % de la population totale. Bien que le Pakistan ait été fondé en 1947 avec l’intention de créer un pays tolérant et égalitaire, les chrétiens pakistanais ont enduré des conditions de vie inférieures et une discrimination religieuse rampante dans la société.
Selon l’ONG «Center for Social Justice» (CSJ), basée à Lahore, les administrations publiques publient également des annonces qui confirment des pratiques discriminatoires profondément enracinées; les emplois les plus subalternes dans le secteur de l’assainissement, comme le nettoyage des stations d’épuration, sont réservés aux citoyens de confession chrétienne (une obligation). En 2022, le Centre a publié une archive de près de 300 offres d’emploi discriminatoires, publiées dans des journaux pakistanais entre 2010 et 2021. Ces offres d’emploi invitaient spécifiquement les seuls «non-musulmans» à postuler à des emplois de nettoyeurs dans des organisations du secteur public.
En décembre 2021, le gouvernement du Pendjab a interdit l’utilisation du terme «Churha» pour désigner le personnel de nettoyage, en imposant des sanctions à ceux qui ne respectent pas cette interdiction. En janvier 2022, la Haute Cour d’Islamabad a envoyé des avis à divers ministères et départements gouvernementaux pour qu’ils cessent de publier des offres d’emploi de balayeurs réservées aux «non-musulmans».
Ces abus, expliquent les ONG CSJ et CLJ, trouvent leurs racines dans le système des castes du sous-continent indien. Lorsque les missionnaires chrétiens sont arrivés en Inde dans la seconde moitié du XIXe siècle, bien avant la partition de 1947, de nombreuses castes inférieures ou parias, les «intouchables», ont été attirées par le message de dignité, de justice, de rédemption et de rachat apporté par le christianisme, et s’y sont converties.
Dès 1870, au Pendjab, un mouvement de conversion au christianisme s’est largement répandu parmi les dalits chuhras. Les Chuhras constituaient la plus importante caste inférieure du Pendjab et exerçaient des professions subalternes, telles que le nettoyage des rues et des égouts. En 1947, après la partition de l’Inde et du Pakistan, les Chuhras du Pendjab, presque tous chrétiens, n’ont plus reçu d’éducation et ont été confinés à des emplois subalternes dans le secteur de l’assainissement.
Ce stigmate social est resté intact au fil des décennies, même après la naissance du Pakistan. Le taux d’alphabétisation des chrétiens au Pakistan reflète l’impact de cette discrimination structurelle. Un rapport de 2001 de la Commission Justice et Paix des évêques catholiques du Pakistan (NCJP) – la dernière analyse complète – a révélé que le taux d’alphabétisation moyen des chrétiens était, il y a vingt ans, de 34%, contre 47% pour la moyenne nationale de l’époque.
Des données plus récentes, publiées par l’ONG «Minority Voices», montrent qu’à Lahore, une ville de la province du Punjab où vivent environ 700’000 chrétiens, le taux d’alphabétisation des chrétiens est de 69,80 %, si l’on considère les écoles primaires, mais il tombe à 28,7 %, si l’on considère le cycle scolaire suivant. La proportion de chrétiens titulaires d’un diplôme (9%), d’une maîtrise (3%) ou d’un doctorat (0,38%) montre le fossé profond qui existe dans le domaine de l’éducation pour les jeunes chrétiens.
Le travail dans le domaine de l’alphabétisation, réalisé par les Églises chrétiennes de toutes les confessions, et l’augmentation du niveau général d’éducation – sur lequel il y a encore beaucoup à faire, même avec des investissements ciblés – restent cruciaux pour le statut social et civil des fidèles chrétiens au Pakistan et pour surmonter l’ancienne mentalité discriminatoire. (cath.ch/fides/bh)
Rédaction
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