Maurice Page, de retour de Rome
Que retenez-vous comme message principal du Synode sur la synodalité qui s’est réuni à Rome du 4 au 29 octobre 2023, avec plus de 460 participants?
Dom Mauro-Giuseppe Lepori: Pendant ce mois, nous avons fait l’exercice de la synodalité. C’est la chose la plus importante que nous devons ramener dans tous les coins de l’Église durant l’année qui nous sépare de la prochaine session. Pour moi le fruit et le résultat sont là. Que toute l’Église devienne plus synodale, pas seulement en théorie, mais dans sa vie quotidienne. Cela passe notamment par la formation pour tous les états de vie.
Je crois que tout le monde est désormais convaincu que c’est la bonne méthode. Ce n’est pas un schéma ou une technique, mais une manière d’être. Le synode n’était pas là pour produire des papiers ou prendre de décisions, mais pour permettre à tous de se sentir unis dans le mystère de l’Église que l’Esprit-Saint guide.
Depuis saint Benoît et sa Règle rédigée au VIe siècle, les moines et les moniales ont une très longue expérience de la synodalité.
Comme Abbé d’Hauterive (entre 1994 et 2010, NDLR) j’ai beaucoup insisté sur ce partage structuré et soigné de manière à ce que les frères puissent vraiment se connaître, s’écouter. Nous avons appris à vivre les conflits dans la communion et le dialogue, c’est-à-dire des divergences d’opinions, jamais de personnes.
«Saint Benoît recommande que les forts ne soient pas freinés dans leur élan et que les faibles ne soient pas découragés par la course des autres»
Je l’ai vécu ensuite au niveau de tout l’Ordre cistercien comme Abbé général depuis 2010. C’est plus grand et moins facile, car toutes les communautés n’ont pas fait ce chemin. La Règle de saint Benoît demande à l’abbé de veiller à ce que tout le troupeau avance ensemble, que les forts ne soient pas freinés dans leur élan et que les faibles ne soient pas découragés par la course des autres.
La tradition cistercienne a neuf siècles. Ce sont les cisterciens qui ont inventé le chapitre général qui réunit les supérieurs de tous les monastères chaque année pour vivre un synode, s’écouter, se corriger, se convertir. On peut encore remonter jusqu’aux Actes de apôtres et aux premiers temps de l’Église qui sont pleins de synodalité. Pour moi, cette méthode fait partie de l’ADN de l’Église.
«Marcher ensemble n’efface rien de chaque fonction, de chaque ministère. L’évêque reste l’évêque, le pape reste le pape»
Certains craignent un risque de dérive qui pourrait remettre en cause l’autorité des évêques dans l’Eglise.
Si on comprend mal cette méthode, dans un sens seulement ‘démocratique’, elle ne respecte pas la nature apostolique de l’Église avec la primauté de Pierre. Mais j’ai fait l’expérience que lorsque l’on favorise une vraie écoute, un vrai échange, une vraie synodalité, l’autorité du pasteur est toujours soutenue et affirmée. Il ne s’agit plus de commander des choses, mais de mettre en œuvre et accompagner les choix mûris en communauté.
Marcher ensemble n’efface rien de chaque fonction, de chaque ministère. L’évêque reste l’évêque, le pape reste le pape. Mystère de communion, l’Église est un corps avec ses différents membres, comme l’illustre l’apôtre Paul.
Une des thématiques importantes durant le synode a été la place et le rôle des femmes.
Une autre chose vécue au niveau des cisterciens est la synodalité entre hommes et femmes. Depuis que les abbesses participent avec nous au chapitre général ou dans les divers conseils, leur apport se révèle essentiel. La complémentarité masculin-féminin, surtout quand elle n’est pas effacée ou nivelée, permet de prendre soin de la vocation et de la mission de l’Église d’une manière beaucoup plus intégrale et efficace.
Lorsque, par exemple, j’effectue une visite canonique dans un monastère avec une abbesse, la fécondité en est bien plus grande. Cela enrichit la vie de l’Ordre.
Je crois que l’Église doit encore mieux le comprendre. Ce n’est pas la question d’accéder à certains ministères, mais que les femmes participent, soient présentes et écoutées. Cela ne nécessite pas forcement des changements de structures. Je ne vois pas pourquoi, elles ne pourraient pas être encore davantage présentes au Saint-Siège ou dans les institutions ecclésiastiques.
«Je ressens une certaine méfiance face à des idées et des opinions qui tendent à s’imposer comme dans un parlement, alors qu’elles restent superficielles»
Pour la première fois, des laïcs, hommes et femmes, ont participé au synode avec le droit de vote. Qu’ont-elles apporté de spécifique?
Chaque participant au Synode a siégé autour de quatre tables différentes. Sur deux de ces tables j’ai eu une facilitatrice. C’était très positif. Il y a un charisme féminin que j’ai aussi constaté dans les interventions. Je ne pense pas que l’on puisse revenir en arrière sur ce mode de fonctionnement. Le synode des évêques peut rester un synode des évêques aussi avec la présence de non-évêques et de laïcs hommes et femmes.
L’évêque a le rôle de pasteur et de responsable, mais cela ne veut pas dire qu’il doit se réunir uniquement avec ses confrères. L’Église n’y est pas encore habituée, il y a aussi une question de culture. Dans bien des endroits, la femme a peu de droit de parole et de pouvoir de décision. Mais je n’ai pas senti de résistance face à cette évolution.
Vous admettez aussi que le changement peut susciter des peurs.
Moi aussi je partage certaines peurs. Ou plutôt une certaine méfiance face à des idées et des opinions qui tendent à s’imposer comme dans un parlement, alors qu’elles restent superficielles et peu approfondies au plan théologique.
Ces thèmes importants, mais aussi difficiles, ne peuvent pas être tranchés par la voie de la majorité. En outre, le synode n’est pas le lieu pour le faire, il faudrait un concile. Si l’on avance par slogans ou sous l’influence des médias ou de la mentalité du monde, on risque de s’écarter de l’universalité de l’Église.
Nous ne pouvons pas considérer que la conscience de certains thèmes que nous avons en Europe est la bonne simplement parce que nous sommes Européens. Elle est peut être très différente ailleurs.
«On entend dire que les jeunes ne comprennent pas le célibat des prêtres. Certes, mais est-ce que les jeunes ont vraiment ce problème?»
En Suisse, la phase préliminaire du synode a fait émerger des revendications sur la bénédiction des couples homosexuels, l’ordination des femmes et la fin de l’obligation du célibat des prêtres. Or le rapport n’en parle pas ou peu et aucune décision n’a été prise. Les catholiques risquent d’être frustrés et déçus.
Il faut aussi avoir peut-être l’humilité de faire un pas en arrière et de se demander pourquoi de telles attentes. Par exemple, on entend dire que les jeunes ne comprennent pas le célibat des prêtres. Certes, mais est-ce que les jeunes ont vraiment ce problème? Ne faudrait-il pas d’abord leur donner le Christ ? Leur donner le sens de la vie? Les aider à discerner leur humanité?
Le non-mariage des prêtres dans le rite latin est-il vraiment le problème de l’Église et de l’humanité? Pas mal d’Africains ressentent cela comme du néo-colonialisme. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en parler, mais en rester aux polémiques ne conduit pas à grand chose. L’Église est mater et magistra (mère et maîtresse) elle doit prendre le temps d’aller en profondeur, de respecter sa tradition.
Le synode a pourtant insisté sur la possibilité de parler de tout.
Oui, mais pourquoi? Le premier rôle de l’Église est d’accomplir sa vocation, selon le décret conciliaire Lumen Gentium §1, d’être «le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain». Cela a été maintes fois répété dans assemblée synodale. C’est à partir de là que nous devons tout discerner. L’abolition du célibat obligatoire des prêtres peut-elle aider à cette mission? Si oui, fort bien faisons-le ! Si l’Église accomplit ce discernement, elle pourra être ensuite en paix avec elle-même, parce qu’elle a agi non pas pour suivre une mode ou une obligation, mais pour répondre à la mission que son Seigneur lui confie.
«Avec les migrations, les télécommunications, internet ou les réseaux sociaux, il n’y a plus dans l’Église de milieux ‘étanches’.
Une des idées suggérées pour trouver des solutions est celle d’une décentralisation de l’Eglise, avec plus de pouvoirs donnés aux continents, aux régions et aux conférences épiscopales.
Ce thème a été beaucoup discuté. La question est que l’Église ne perde pas sa catholicité, tout en admettant une certaine diversité. C’est la grande richesse de l’Église et la grande découverte du Concile Vatican II que nous n’avons peut-être pas assez approfondie.
Avec les migrations, les télécommunications, internet ou les réseaux sociaux, il n’y a plus dans l’Église de milieux ‘étanches’. Nos églises sont remplies d’Africains, d’Asiatiques, nous sommes désormais des ‘métis’. Le grand risque est de combattre pour des causes en ‘se mettant à part’. On gagne un ou des ‘droits’ mais on perd la communion avec l’Église universelle. On devient comme un couple âgé qui se retire dans son petit monde où les enfants qui dérangent ne sont plus les bienvenus.
Le synode a aussi été marqué par la crise des abus sexuels commis par des prêtres.
Je me permets de partager un petit témoignage. A la sortie du synode, j’ai été abordé par une dame qui a demandé poliment à me parler. C’est une Allemande qui avait subi des abus et des violences psychologiques. Elle avait décidé de venir à Rome pour accompagner le synode à sa façon. Elle avait écrit une lettre qu’elle m’a remise. Nous avons parlé à plusieurs reprises et nous sommes ainsi devenus un peu amis. J’ai pensé à la veuve importune de l’évangile. Mais elle insistait avec douceur, et m’a ainsi rejoint et m’a aidé à écouter en elle tant de détresses sans voix qui s’élèvent de l’humanité.
Cela pour dire que les plaintes et les détresses, même silencieuses, sont bien arrivées jusqu’au synode. Nous avons entendu le cri des victimes d’abus et celui des peuples palestinien, israélien, ukrainien et tant d’autres. (cath.ch/mp)
Mauro-Giuseppe Lepori est né en 1959 à Lugano, dans le canton du Tessin en Suisse. Moine cistercien, il a été 59e Père-Abbé de l’abbaye d’Hauterive de 1994 à 2010. Il est 12e Abbé général de l’ordre cistercien de la commune observance depuis 2010.
Maurice Page
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