En premier lieu il faut prendre la Bible au sérieux. Le professeur Philippe Lefebvre, qui a mené un long combat contre les abus, nous a alertés plusieurs fois sur la gravité des faits commis dans l’Eglise. Dans son livre Comment tuer Jésus, il nous indiquait que la Bible est un livre qui réveille et qui permet de mettre des mots sur les pires réalités. Il souhaitait un «grand coup de Bible» dans l’Eglise. La Bible ne nous parle pas des réalités d’hier mais d’aujourd’hui. En relisant les paroles de Matthieu, «mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer (Matthieu 18,6)», je me disais que notre Eglise n’a pas su écouter ce texte. Elle proposait aux abuseurs dans les années 1980-2000 des retraites dans des abbayes ou des mutations dans un autre diocèse, mais jamais de véritable sanction ni de réparation pour les victimes.
Le second enseignement est qu’il ne faut pas confondre les abus sur les enfants avec des péchés de chair «ordinaires». L’Eglise n’a pas vu la perversité profonde des abus envers les petits et le caractère particulier des abuseurs, qui sont souvent dans le déni de leurs fautes ou au moins de leur gravité. Raisonnant selon ses réflexions internes éthiques et théologiques, elle n’a pas compris le caractère particulier de ces crimes. Pour en mesurer la gravité, elle aurait dû s’ouvrir à des expertises externes (criminologues, psychologues) et confier ces abuseurs aux justices civile et pénale. C’est ce qu’elle fait aujourd’hui. Mais entretemps des dégâts considérables ont été faits sur les victimes.
«Il nous faut accepter nos propres vulnérabilités et celles de notre Eglise»
Enfin, notre Eglise suisse n’a pas intégré, dans les années 1980-2000, que si elle n’est pas du monde, elle est dans le monde et qu’elle en partage les vicissitudes. Elle n’avait pas compris toutes les implications du Concile, en particulier celles de la constitution Gaudium et Spes sur l’Eglise dans le monde de ce temps qui écrit: «La communauté des chrétiens se reconnait donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire» (Gaudium et Spes, paragraphe 1). Cette solidarité avec le genre humain vaut pour le meilleur mais aussi pour le pire. Or notre Eglise se croyait à l’abri des turpitudes individuelles et collectives du monde civil. En ce sens elle était très suisse car nous souhaitons toujours une attitude neutre, à l’abri du monde qui nous entoure. La réalité a rattrapé notre Eglise. Elle a manqué d’humilité en se croyant protégée des graves maux de notre monde.
Je me souviens d’une entrevue que j’avais eue avec un évêque en raison de mes fonctions à l’Université. C’était au début des années 2000 et il venait d’apprendre les abus pratiqués par quelques membres de son clergé. Il était sidéré et sans entrer dans les détails, il m’a dit qu’il n’aurait jamais imaginé de telles situations de la part de collaborateurs de son Eglise. Il était encore figé dans l’image d’une Eglise pure et sans tache, d’une Eglise hors du monde. La crise actuelle nous oblige à sortir de cette vision idéale et à faire preuve d’humilité. Il nous faut accepter nos propres vulnérabilités et celles de notre Eglise. Seule cette acceptation nous permet de rencontrer nos frères et sœurs en vérité. En ce sens la traversée du désert provoquée par ce séisme nous apportera une foi plus profonde et plus joyeuse. Elle est source d’espérance.
Jean-Jacques Friboulet
1er novembre 2023
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