La remise en cause du pouvoir exclusif de l’évêque au profit d’une «coresponsabilité» du gouvernement ecclésial avec les laïcs, une plus large ouverture pour donner des responsabilités aux femmes, mais dont le statut reste à définir, pas de bénédiction pour les couples homosexuels et un report à long terme de la question du célibat sacerdotal obligatoire pour les prêtres. Ce sont les principales propositions du rapport de synthèse de la première étape du synode sur l’avenir de l’Église, qui a été présenté samedi soir à Rome.
Lors d’une conférence de presse organisée peu après la diffusion du rapport en italien, le cardinal Jean-Claude Hollerich, rapporteur du Synode, a insisté sur le fait que la totalité des 273 paragraphes ont été votés à la majorité des deux tiers par les 344 membres du Synode présents dans la salle, dont des laïcs hommes et femmes.
C’est la question qui aura sans doute été la plus débattue par les pères et mères synodaux. Près de 20% d’entre eux (69 sur 277) se sont par exemple opposés à l’article mentionnant des «positions diverses concernant l’accès des femmes au ministère diaconal». Au fil du document, l’assemblée se demande comment l’Église pourrait «insérer plus de femmes dans les rôles et les ministères existants», et, «s’il faut de nouveaux ministères, à qui revient le discernement, à quel niveau et selon quelles modalités?».
Conscients qu’il s’agit là d’un des grands enjeux de ce synode qui a fait remonter les préoccupations de fidèles du monde entier, les membres souhaitent «garantir que les femmes puissent participer aux processus décisionnels et assumer des rôles de responsabilité dans la pastorale et dans le ministère». Quitte à «adapter le droit canon en conséquence», écrivent-ils.
Sur le sujet brûlant du diaconat féminin, l’assemblée est partagée entre ceux qui considèrent que ce serait «inacceptable car en discontinuité avec la Tradition», ceux qui estiment que cela «rétablirait une pratique de l’Église des origines», ou encore ceux qui y voient «une réponse appropriée et nécessaire aux signes des temps». D’autres enfin craignent «une dangereuse confusion anthropologique, où l’Église s’aliénerait à l’esprit du temps».
Parmi les propositions concrètes, le document souhaite que «l’on poursuive la recherche théologique» sur cette question, en s’appuyant notamment sur les résultats des commissions instituées par le pape en 2016 puis 2020, ainsi que des recherches théologiques, historiques et exégétiques déjà réalisées. Ils souhaitent que les résultats soient présentés à la prochaine session de l’assemblée, laissant entendre que ce chantier pourrait donc avancer.
Enfin, d’autres demandes en faveur des femmes sont soulevées: mettre fin aux «rémunérations iniques» en particulier imposées aux consacrées, l’utilisation d’un langage qui souligne l’égalité entre hommes et femmes dans les textes liturgiques et les documents de l’Église, la participation de femmes comme «juges dans tous les procès canoniques» ou encore la présence des femmes formatrices dans les séminaristes.
Les membres du Synode étaient attendus sur la question sensible de l’accompagnement des personnes homosexuelles notamment. Selon nos informations, le terme «LGBTQ+» faisait partie de la première mouture, mais n’a pas été retenu dans le rapport final.
Les membres ont parlé plus généralement des «personnes qui se sentent marginalisées ou exclues de l’Église en raison de leur situation matrimoniale, de leur identité et de leur sexualité [et qui] demandent également à être entendues et accompagnées, et à ce que leur dignité soit défendue».
Ils assurent que «l’écoute requiert un accueil inconditionnel», mais précisent immédiatement que cela ne signifie pas renoncer à la «clarté dans la présentation du message de Salut de l’Évangile, ni approuver une opinion ou une position».
Les pères et mères synodaux proposent «d’instituer un ministère de l’écoute et de l’accompagnement fondé sur le baptême, adapté aux différents contextes». Le document ne fait aucune mention de possibilité de bénédictions pour les couples de même sexe, une demande qui avait été portée par le chemin synodal allemand notamment.
La question de «l’obligation disciplinaire» du célibat des prêtres est soulevée, surtout concernant les régions où «les contextes ecclésiaux et culturels la rendent plus difficile». Ce thème «demande d’être ultérieurement repris», est-il indiqué. Avec 55 votes contre, cette question a été l’une des moins consensuelles parmi les participants au Synode.
Le rapport souligne toutefois «la valeur chargée de prophétie et le témoignage de conformation au Christ» apporté par le célibat sacerdotal. Il exprime la «gratitude» des participants au Synode à l’égard des diacres et des prêtres, «qui peuvent expérimenter solitude et isolement». Il est demandé aux communautés chrétiennes de les soutenir par «la prière, l’amitié, la collaboration». Au sujet des diacres, les membres invitent à faire une évaluation sur la mise en œuvre de ce ministère après le Concile Vatican II.
Le document insiste sur l’importance de la lutte contre le «cléricalisme», fruit d’un «malentendu» conduisant à vivre le sacerdoce comme «un privilège» plus que comme un «service». La formation du clergé doit donc «éviter les risques du formalisme et de l’idéologie qui amènent à des attitudes autoritaires et empêchent une vraie croissance vocationnelle».
Actuellement, deux conseils de l’évêque sont obligatoires, celui pour les affaires économiques, sociales et juridiques et le conseil presbytéral qui représente l’ensemble des prêtres du diocèse. Le Synode souhaite aussi rendre obligatoires le «conseil épiscopal», composé des vicaires généraux et des vicaires épiscopaux, ainsi que le «conseil pastoral» censé représenter tout le diocèse en mêlant clercs, religieux et laïcs.
De même, il réclame que «des structures et des processus» puissent être mis en place pour la vérification régulière du travail de l’évêque, en ce qui concerne le style de son autorité, l’administration financière des biens du diocèse, le fonctionnement des organes participatifs et la protection contre tout type d’abus.
«Une culture de la responsabilité fait partie intégrante d’une Église synodale qui promeut la coresponsabilité et constitue une garantie possible contre les abus», insistent-ils.
En expliquant que l’évêque vit «une surcharge d’engagements administratifs et juridiques» et doit affronter «une crise de son autorité» dans les sociétés sécularisées, le rapport rappelle que «la question délicate de la gestion des abus pose de nombreux évêques face à la difficulté de concilier le rôle de père et celui de juge». Le texte invite à «évaluer l’opportunité de confier la responsabilité judiciaire à une autre instance, à préciser canoniquement».
«L’Assemblée appelle à une révision des critères de sélection des candidats à l’épiscopat, en équilibrant l’autorité du nonce apostolique et la participation de la conférence épiscopale», écrivent les membres du Synode, alors que le travail des «ambassadeurs du pape» dans le monde est jugé parfois trop opaque.
Le Synode plaide pour une consultation plus large pour le choix des évêques, «en écoutant un plus grand nombre de laïcs, hommes et femmes, consacrés et non consacrés, et en veillant à éviter les pressions inappropriées».
Par ailleurs, une courte proposition pourrait impliquer un vaste changement de culture au sein de la diplomatie vaticane si la mesure voyait le jour. Les membres jugent «opportun de prévoir des formes d’évaluation du travail des représentants pontificaux par les Églises locales des pays où ils accomplissent leur mission, afin de faciliter et de perfectionner leur service ». Actuellement, les nonces apostoliques ne rendent de comptes qu’à Rome.
Reprenant un thème abordé par le pape François dès le début de son pontificat, le rapport appelle à un «approfondissement de la nature doctrinale et juridique des conférences épiscopales, en reconnaissant la possibilité d’une action collégiale aussi par rapport à des questions de doctrine qui émergent au niveau local».
Certains sujets pourraient être pris en charge au niveau continental. Un exemple concret d’attribution thématique concerne le Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), invité à «promouvoir un discernement théologique et pastoral sur le thème de la polygamie et sur l’accompagnement des personnes en unions polygames qui se rapprochent de la foi». Cette question très spécifique et complexe a suscité 43 oppositions.
Le Synode plaide pour «une plus grande créativité dans l’institution de ministères sur la base des exigences locales». Il suggère d’élargir les charges du ministère de lecteur – que le pape François a ouvert aux femmes en janvier 2021 –, qui pourrait devenir «un véritable ministère de la Parole de Dieu» pouvant inclure «la prédication». À lire le rapport de synthèse, des laïcs pourraient peut-être un jour prêcher l’homélie, réservée jusqu’à présent aux clercs.
En outre, les pères et mères synodaux envisagent un nouveau ministère dont les couples mariés pourraient être investis, afin de «soutenir la vie familiale» et «accompagner les personnes qui se préparent au sacrement du mariage».
Le rapport de synthèse rappelle que «la célébration de l’eucharistie, surtout le dimanche, est la première et fondamentale forme avec laquelle le Saint Peuple de Dieu se réunit et se rencontre». Cette expérience relie plusieurs dimensions: «unité de l’Église et multiplicité des communautés chrétiennes; unité du mystère sacramentel et variété des traditions liturgiques; unité de la célébration et diversité des vocations, des charismes et des ministères».
Dans la lignée du Synode de 2019 sur l’Amazonie est rappelée l’importance de «rendre le langage liturgique plus accessible aux fidèles et plus incarné dans la diversité des cultures», en donnant plus de responsabilités aux conférences épiscopales pour proposer des adaptations locales, sans pour autant «mettre en discussion la continuité avec la tradition». Le rapport souligne aussi la valeur des simples célébrations de la Parole et de la piété populaire, notamment la dévotion mariale.
Le rapport se penche sur les différents modèles d’assemblée expérimentés ces dernières années, mentionnant notamment «la première Assemblée ecclésiale d’Amérique latine et des Caraïbes», «les organismes du Peuple de Dieu au Brésil», ou encore «le Concile plénier australien», mais aucune mention n’est faite du Chemin synodal allemand.
Le rapport soulève par ailleurs la nécessité d’une «configuration canonique» des assemblées continentales afin d’intégrer «la variété du peuple fidèle de Dieu». Les organismes de coordination entre évêques de différents pays sont également encouragés, avec par exemple la création de provinces ecclésiastiques internationales.
Plusieurs propositions sont élaborées aussi dans le domaine œcuménique. L’assemblée a ainsi exprimé un «vif désir» de parvenir à trouver une date commune pour la fête de Pâques, afin que toutes les confessions chrétiennes célèbrent la résurrection du Christ le même jour. Pour l’heure, les catholiques suivent le calendrier grégorien, et les orthodoxes le calendrier Julien.
Autres propositions œcuméniques: impliquer des chrétiens d’autres confessions dans le Synode, mais aussi convoquer un «Synode œcuménique sur la mission commune dans le monde contemporain», et constituer un martyrologe œcuménique. Un pas a déjà été fait en ce sens par le pape qui a annoncé en mai dernier l’ajout des martyrs coptes de Libye dans le martyrologe catholique.
En vue de la seconde session prévue en octobre 2024, le Synode – dont la composition devrait être la même – propose l’institution d’une «commission intercontinentale de théologiens et de canonistes» afin d’éclaircir «les implications de la synodalité» en termes de droit canonique.
Il est aussi souhaité de poursuivre un discernement communautaire sur «les questions doctrinales, pastorales et éthiques qui sont controversées». Un programme chargé pour les 11 mois à venir, que les organisateurs du Synode comptent bien tenir, car «la perspective synodale représente l’avenir de l’Église», affirme la synthèse. (cath.ch/imedia/ak/cv/hl/bh)
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