Maurice Page, cath.ch, envoyé spécial à Rome
A l’occasion de la clôture de la phase intermédiaire du synode sur l’avenir de l’Eglise à Rome, le cardinal Cristobal Lopez a livré à cath.ch, le 27 octobre 2023, ses impressions sur ce rassemblement inédit pour l’Eglise catholique.
La présence catholique au Maroc et en Afrique du Nord est très ténue.
Mgr Cristobal Lopez: Notre Eglise du Maroc avec ses quelque 30’000 fidèles est ‘insignifiante’ mais significative car elle a un message à faire passer. Le premier est l’appel à vivre la foi dans la minorité. Les Eglises occidentales perdent beaucoup de fidèles et ont tendance à sombrer dans la dépression. Nous vivons cette minorité dans la joie et l’enthousiasme. ‘Etre peu n’est pas le problème’, nous a expliqué le pape François, lors de son voyage dans le pays en 2019. Le problème est que le sel perde sa saveur et que la lumière soit cachée sous le boisseau. Le fait pour la petite Eglise du Maroc de compter plus de 100 nationalités est en outre un signe important de catholicité. Nous montrons que la communion reste possible à travers une grande diversité.
L’Eglise du Maroc, à l’instar de nombreuses autres, vit au sein d’une très large majorité musulmane.
C’est le deuxième message: musulmans et chrétiens peuvent vivre ensemble en fraternité. Beaucoup cherchent la confrontation entre les uns et les autres. Nous sommes les témoins qu’il est possible de vivre ensemble. Je ne dit pas que c’est facile, il faut un effort, il faut avoir de la patience et maintenir l’espérance.
Quand je suis arrivé au Maroc en tant que prêtre, ce fut comme une nouvelle naissance. Je ne connaissais personne, ni la langue française, ni la culture, ni l’histoire, ni le pays, ni le peuple marocain. Cela m’a demandé deux ans de travail, mais finalement je suis chez moi dans ce pays, je cherche a devenir Marocain parmi les Marocains. Je venais du Paraguay, un des pays les plus catholiques d’Amérique latine, où l’Eglise avait absolument tout. Au Maroc elle n’a rien.
Le message de l’Evangile passe alors par le témoignage de la vie.
Cela vaut pour tous et pas seulement au Maroc. Ce n’est pas seulement parce que nous n’avons ni journal, ni radio, ni télévision, ni expression publique de la foi. Le témoignage constitue la fondation du bâtiment. Sans fondement on peut construire beaucoup d’étages mais tout viendra à bas à la première tempête. J’ai le sentiment que certaines Eglises occidentales ont beaucoup d’étages, mais des fondations trop peu profondes. Et que la rencontre personnelle avec le Christ n’est pas centrale.
Prenons l’exemple de la fête de Noël. Au Maroc, nous la vivons sans signes extérieurs, sans guirlandes, sans sapins, sans cadeaux, sans jours fériés. Nous sommes contraints alors d’aller à l’essentiel, sans accessoires, ce qui est d’ailleurs le sens de la naissance de Jésus dans une étable à Bethléem. C’est beaucoup plus authentique que le Noël commercial des pays de tradition chrétienne.
«J’ai le sentiment que certaines Eglises occidentales ont beaucoup d’étages, mais des fondations trop peu profondes.»
La foi des musulmans peut aussi être un témoignage qui interpelle.
C’est un déclic comme cela le fut pour Charles de Foucauld qui a retrouvé sa foi chrétienne en voyant les musulmans prier. Un espace de dialogue existe dans la vie quotidienne sur ce qui nous unit, avant ce qui nous sépare. L’expérience de ce partage de foi est très belle avec des questions comme: ‘Qui sont Jésus et Marie pour toi? (puisque les deux personnes sont cités dans le Coran). Qu’elle est l’importance de la Parole de Dieu? Comment je prie? Ce n’est pas généralisé bien sûr, mais cela existe.
Le dialogue oecuménique et interreligieux dérive de l’être trinitaire de Dieu. C’est une matière obligatoire. L’Eglise se fait ‘conversation’ selon le mot de Paul VI. Cette idée remonte déjà à Vatican II, mais peut-être ne l’a-t’on pas encore assimilée.
L’islam est aussi traversé de courants radicaux extrémistes.
Chaque semaine ou presque, la police marocaine annonce avoir démantelé une cellule de musulmans radicalisés. Mais cela reste très minoritaire. D’ailleurs le radicalisme existe dans toutes les religions.
«La participation des femmes et des laïcs ne passe pas par la sacristie»
Un des thèmes essentiels discutés durant le synode a été la place des femmes et des laïcs dans l’Eglise.
Je suis un ardent défenseur de cette participation. Mais je suis convaincu que cela ne passe pas par la sacristie, mais par le monde. Il s’agit de porter l’Evangile dans la société, dans l’économie, dans les médias etc. Il ne faut pas cléricaliser les laïcs. Nous cherchons des laïcs pour distribuer la communion, faire des lectures, s’occuper de l’entretien de l’église, animer la liturgie, faire la catéchèse, c’est pas mal, mais cela n’est pas la particularité des laïcs. Ils doivent sortir dans le monde.
J’utilise volontiers l’image du vestiaire d’un club sportif: Le match ne se joue pas dans le vestiaire, mais sur le terrain. Ce qui se passe dans le vestiaire avec l’équipement, l’échauffement, le conseil et les consignes de l’entraîneur est important, mais ne sert à rien si l’équipe ne monte pas sur l’aire de jeu. Le pape François dénonce une Eglise ‘auto-référencée’, préoccupée uniquement d’elle même. Il veut une Eglise pour changer le monde.
J’ai choisi comme devise épiscopale Adveniat Regnum Tuum (que Ton Règne vienne). L’Eglise n›est pas le Royaume de Dieu, mais son signe. Comme Jean-Baptiste qui désigne Jésus en disant: «Il faut qu’il grandisse et que moi je diminue». Jésus nous a donné de continuer sa mission de construire le Royaume.
«La diminution du pouvoir, de l’argent de la notoriété publique ne peut que nous ramener à l’essentiel»
Dans la plupart des pays occidentaux, l’Eglise reste forte et puissante à tous les points de vue. La crainte d’être ébranlée par les multiples crises domine.
C’est là que Jésus nous dit: «Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.» Nous ne devons pas avoir peur. Je l’ai vécu personnellement en passant du Paraguay au Maroc. Ce que nous devons changer ce ne sont pas les structures, mais le cœur et la tête. La diminution du pouvoir, de l’argent de la notoriété publique ne peut que nous ramener à l’essentiel.
D’autres craignent de voir l’Eglise se perdre en chemin.
Ils n’ont pas la foi en l’Esprit-Saint! On ne connaît pas le point d’arrivée, mais l’important et de faire le chemin avec le Christ et à sa suite. Le problème serait d’y aller pour notre compte en perdant de vue Jésus, en s’écartant de lui. Ecoutons-nous la voix de l’Esprit-Saint ou la nôtre? Jésus nous dit: «Je suis l’alpha et l’omega, le premier et le dernier, le chemin, la vérité, la vie.» Si tu marches avec Lui, tu n’as rien à craindre.(cath.ch/mp)
L’expérience est nouvelle et inédite pour trois motifs, explique le cardinal Cristobal Lopez. «D’abord la durée avec deux assemblées précédées chacune de consultations sur le terrain. C’est un processus et non pas un événement. Le deuxième aspect est la participation de tous les chrétiens et pas seulement quelques-uns. La troisième est la présence aux côté des évêques de laïcs, hommes et femmes, de religieuses et religieux et de prêtres.
J’y ajoute l’ambiance spirituelle. Nous avons commencé par trois jours de retraite et toute l’assemblée a été accompagnée de temps de silence et de prière. Cela m’a fait beaucoup de bien. Enfin l’organisation circulaire a mis tout le monde sur un pied d’égalité. Dans le même groupe il y avait un cardinal, des évêques, des prêtres, des laïcs hommes et femmes. La parole a été totalement libre.
Sans la présence des journalistes – je l’ai été moi-même – la parole a pu être plus libre car on ne craignait pas de créer la polémique ou la controverse. Devant un journaliste on choisit ses mots. Le jeûne de parole que nous a demandé le pape a été bénéfique.» MP
Cristóbal López Romero est né le 19 mai 1952 à Vélez-Rubio en Espagne. Il entre chez les Salésiens en 1964. Il est ordonné prêtre en 1979. Il est également diplômé en sciences de l’information, section journalisme, à l’université autonome de Barcelone.
Il a occupé divers postes au sein de son ordre et comme curé de paroisse, en Espagne, en Amérique latine et au Maroc. Il a été provincial des Salésiens au Paraguay et en Bolivie.
Il est nommé archevêque de Rabat, au Maroc, le 29 décembre 2017. Il est créé cardinal en octobre 2019. En 2022, il est élu pour un mandat de trois ans à la présidence de la Conférence épiscopale régionale d’Afrique du Nord. C’est à ce titre qu’il participé au synode. MP
Maurice Page
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