Maurice Page, cath.ch, envoyé spécial à Rome
La lettre au peuple de Dieu de l’assemblée synodale met l’accent sur l’expérience inédite de faire asseoir à la même table tous les baptisés.
Felix Gmür: C’est décisif, nous sommes assis les uns en face des autres, autour d’une même table. Nous nous voyons, nous sommes proches, nous nous écoutons sans jugement. C’est très différent des autres séances du synode des évêques dans une aula où chacun montait au pupitre pour un discours de trois ou quatre minutes.
«On ne dit pas quelque chose pour se faire bien voir de tel ou tel. La parole des évêques ne domine pas.»
Claire Jonard
Claire Jonard: Mon rôle de facilitatrice consiste à permette que chacun-e puisse prendre la parole de manière équitable. C’est un service d’écoute et de discernement pour une parole libre. Ce qui me frappe est que tout le monde peut tout dire. On ne dit pas quelque chose pour se faire bien voir de tel ou tel. La parole des évêques ne domine pas.
Pour chaque table, il y a un facilitateur ou une facilitatrice, un secrétaire et un rapporteur élu par le groupe. Cette méthode permet un vrai échange. Pour moi, la fonction de facilitatrice tient un peu de celle d’accompagnatrice spirituelle. Il y a quelque chose que l’on entend, que l’on reçoit que l’on garde, qui grandit, qu’il faut parfois reformuler. Ce qui demande une certaine ascèse pour ne pas orienter le débat.
Le constat principal reste celui de la grande diversité de l’Eglise.
F.Gmür: Pour la durée du synode, nous avons changé quatre fois de table, quatre fois de rapporteur et quatre fois de facilitateur. Donc on peut vraiment parler d’un mélange et d’une grande diversité.
La méthode consiste a d’abord écouter le témoignage de chacun. Ensuite nous constatons les convergences ou les divergences, sans porter de jugement. Par exemple, nous avons voté pour dire que tous étaient d’accord sur le constat des divergences.
A partir de là, nous déterminons les questions qui restent ouvertes, en vue d’élaborer des propositions.
La vision de la salle du synode avec les personnes disposées en cercle autour de 35 tables a été aussi très symbolique.
C. Jonard: Je me plais à reprendre la symbolique de la table, celle sur laquelle on partage la parole, mais aussi le pain de l’eucharistie. Nous avons partagé comment l’Evangile est vécu dans tous les pays du monde. C’est quelque chose de fort.
Un autre aspect, peut-être plus inattendu, est l’importance accordée au silence.
F. Gmür: Chaque personne dispose de trois à quatre minutes pour s’exprimer ou donner son témoignage à partir de sa réalité vécue. Après trois ou quatre prises de paroles, au lieu de répondre ou de contredire, nous prenons un temps de silence de 3 ou 4 minutes pour recevoir, intérioriser et digérer ces témoignages.
Lorsque nous recevons le témoignage d’un pays en guerre ou en conflit, d’un peuple souffrant de la faim, il faut prendre le temps de l’assimiler pour l’aborder à l’aune de la mission de l’Eglise, à savoir le salut en Jésus-Christ. Ce peuple participe à la croix du Christ et les souffrances du monde sont très présentes dans la salle du synode, évidemment avec le conflit entre la Palestine et Israël qui a rebondit au début du synode.
«Le pape François a voulu un synode des évêques ‘élargi’. Personne ne regarde si son interlocuteur est laïc homme ou femme ou un évêque.»
Mgr Félix Gmür
Une des grandes nouveauté est la présence de laïcs, hommes et femmes. Mais dans une assemblée formée de deux tiers d’évêques comment ont-ils pu s’exprimer?
F. Gmür: Le pape François a voulu un synode des évêques ‘élargi’. Personne ne regarde si son interlocuteur est laïc homme ou femme ou un évêque. Je pense que chacun et chacune a pu s’exprimer et être écouté. A mon avis, il devrait y avoir encore plus de femmes.
Lors de la phase préparatoire, les catholiques de Suisse ont présenté des ‘revendications’ portant sur la bénédiction des couples homosexuels, l’ordination sacerdotale des femmes et l’abandon du célibat obligatoire pour les prêtres. Comment ont-elles été portées et entendues?
F. Gmür: Dès le départ, nous savions que cette assemblée n’était pas là pour prendre des décisions, mais plutôt pour discerner les questions ouvertes sur lesquelles le synode devra discuter à l’avenir. Nous avons tout mis sur la table pour se rendre compte s’il s’agissait d’un thème ou non. L’accueil des personnes homosexuelles, la place des femmes et le célibat des prêtres en font partie.
C. Jonard: Nous sommes pas dans la phase finale du synode mais seulement dans sa première mi-temps. Le chemin reste à faire. Ce n’est pas un point final, mais une étape. Nous n’avons pas eu du tout deux blocs antagonistes qui se sont affrontés. Nous sommes toujours restés capables d’admettre les désaccords et même d’en rire ensemble. Je pense que cela nous a tous transformés.
Aux yeux de certains, le synode risque bien de s’égarer en route?
F. Gmür: Je n’ai pas du tout cette impression. Mais de temps en temps, il faut se garer pour se ressourcer.
A votre retour en Suisse, qu’allez vous dire aux personnes qui attendent des réponses concrètes et rapides à leurs demandes?
F.Gmür: Cela reste à déterminer. Nous allons d’abord partager l’expérience vécue et travailler au niveau local.
Une des solutions envisagée serait la décentralisation de l’Eglise, par continent, régions ou conférence épiscopale.
F. Gmür: Je l’ai déjà suggéré. L’analyse a toujours été ancrée dans des situations concrètes régionales et nous avons constaté un grand degré de diversité. La question est de gérer cette diversité tout en préservant l’unité. Mais l’expérience vécue me rassure et m’édifie.
Pour certains commentateurs, la lettre au peuple de Dieu rédigée par l’assemblée du synode est un geste d’autonomie, voire de défiance envers le pape François.
C.Jonard: Non pas du tout, d’ailleurs le pape était présent lors de la discussion et des votes, et il a signé la lettre au peuple de Dieu. Pour moi, cette lettre est précisément un signe de la synodalité que nous recherchons. (cath.ch/mp)
Malade, la troisième déléguée suisse, Helena Jeppesen-Spuhler n’a pas pu participer à l’entretien avec cath.ch. Elle avait répondu la veille, avec Mgr Gmür, aux questions de kath.ch. En voici quelques extraits:
Annalena Müller, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Quelle est l’ambiance au synode?
Helena Jeppesen-Spuhler: L’ambiance est bonne. Même s’il y a bien sûr aussi des phases de tension. Car sur certains sujets, les positions sont très différentes. Mais l’ambiance est toujours multiculturelle. Et c’est agréable. (…)
Quelle est l’importance de la ligne de démarcation – les laïcs d’un côté, les évêques de l’autre ?
Cette ligne de démarcation n’existe pas. Les positions divergentes ne se basent pas sur les laïcs et les évêques. Ce sont plutôt des aspects culturels qui jouent un rôle. Nous avons tous le même temps de parole. Même si certains évêques n’y sont pas habitués. Il leur arrive de parler sept minutes au lieu de quatre…
Le document final sera avant tout un résumé des discussions et des points de vue. Le synode se déroule-t-il aussi harmonieusement parce qu’on ne doit rien décider cette année?
Oui. Je m’attends néanmoins à des moments difficiles. Par exemple, si l’un des thèmes centraux – comme le rôle des femmes dans l’Église – devait faire l’objet d’un vote bizarre. C’est déjà un sujet clé ici. Et je pense que le document final mettra les Églises locales face à leurs responsabilités. (…)
L’ouverture à la diversité est une chose qui distingue le pape François. Ce pluralisme d’opinion est-il un pas radical du point de vue de la politique ecclésiale?
C’est peut-être difficile à imaginer pour beaucoup de jeunes, mais c’est déjà une petite révolution en termes de politique ecclésiale. Il n’y a pas de sujets tabous. Cela n’a pas toujours été le cas. Sous Jean Paul II (1978-2005), l’admission des femmes aux ministères ordonnés était un sujet qui ne pouvait pas être discuté. (…)
Nous parlons beaucoup ici de la mission de l’Église. (…) Le message libérateur de paix, de justice et de réconciliation de Jésus de Nazareth est nécessaire de toute urgence! Nous devons pouvoir le transmettre de manière crédible. Et pour cela, nous devons entreprendre des réformes. MP
Maurice Page
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