Lusia Markos Shammas Asmaroo avait été, en 2017, la première femme aumônier catholique militaire de Suisse. Une tâche où la capitaine aumônière s’est apparemment fait remarquer en bien puisqu’elle a accédé, six ans plus tard, à la présidence de la Société des aumôniers de l’Armée. Interview.
Quels sont vos sentiments suite à cette élection?
Lusia Shammas: Je suis profondément touchée par la confiance que mes camarades m’ont accordée en m’élisant présidente. C’est une grande charge au regard d’une si vénérable société fondée en 1894. Je me sens remplie d’humilité face à cette tâche, et en même temps motivée et soutenue par mes pairs. J’espère pouvoir bénéficier de la guidance du Saint-Esprit et je prie pour que le Seigneur nous accompagne tous dans cette mission.
En tant que femme, pensez-vous pouvoir apporter quelque chose de particulier dans cette fonction?
Ce n’est pas parce que je suis une femme que j’apporterai une particularité dans mon travail. Il y a déjà longtemps que toute personne apte ou compétente peut prendre toute responsabilité au sein de l’Armée suisse, indépendamment de son sexe.
«Je ressens profondément que notre Société, portée par une longue histoire, a du sens et des raisons d’être»
Cependant, le fait qu’une femme prenne la présidence de la Société est une grande nouveauté dans son histoire, et chaque nouveauté nécessite un chemin d’adaptation qui implique des défis, dont je suis pleinement consciente.
Le fait d’être une femme dans un univers plutôt masculin, voire «machiste», est-il un de ces défis?
L’armée reflète le tissu social. Dans la société, cette mentalité machiste existe, et elle est donc aussi présente dans l’armée. Mais je dirais que cela ne se situe pas au niveau du système, car comme je l’ai dit, l’Armée offre à présent une égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Elle encourage même l’engagement féminin. Il peut y avoir des comportements de la part de militaires tendant à faire comprendre qu’une femme ne peut pas faire ceci ou cela. Mais à vrai dire, j’y ai été personnellement très peu confrontée.
Quelles orientations voulez-vous donner à l’aumônerie militaire?
Je ressens profondément que notre Société, portée par une longue histoire, a du sens et des raisons d’être, aujourd’hui encore plus qu’hier. Notamment pour continuer à faire vivre nos valeurs fondamentales, qui sont d’être au service du bien-être spirituel des militaires, de constituer un espace de dialogue, d’écoute et de confiance, qui est bénéfique aussi bien pour les soldats que pour l’Armée elle-même.
«Pas n’importe qui peut devenir aumônier de l’Armée»
A mon poste, je compte fournir encore davantage aux aumôniers des occasions de se connaître entre eux, de se former, de se concerter amicalement. La cohésion entre les aumôniers en dehors du service et la collaboration avec l’Office de l’aumônerie de l’Armée sont pour moi des priorités. Je veux aussi encourager les initiatives et les projets qui viennent des aumôniers eux-mêmes, dans la mesure où ils correspondent aux lignes directrices définies par le Service de l’aumônerie.
L’aumônerie de l’Armée cherche à augmenter ses effectifs et à diversifier son service. Où cela en est-il?
Effectivement, l’Armée veut engager 41% d’aumôniers supplémentaires. La diversification du service est aussi à l’ordre du jour. Actuellement, nous avons environ 180 aumôniers de milice, dont 15 femmes. Il y a un aumônier d’arrière-fond musulman et deux issus du judaïsme.
Comment cela se passe-t-il avec ces derniers?
Cela se passe très bien. Je n’ai pas énormément de contacts avec l’aumônier d’arrière-fond musulman et les deux d’arrière-fond juifs, car ils travaillent en Suisse alémanique. Mais, j’ai eu des échos très positifs. Il s’agit de personnes très ouvertes d’esprit et des aumôniers capables et fiables.
Comment se déroule le processus de recrutement?
Il y a des critères très précis et un processus de sélection strict. Pas n’importe qui peut devenir aumônier de l’Armée. Je fais pleinement confiance au discernement de l’Office de l’aumônerie en la matière. Le critère fondamental est bien sûr que la personne se reconnaisse dans les valeurs de la société suisse et celles de l’armée.
Quelles sont ces valeurs?
Principalement l’ouverture, le respect de l’autre, de son point de vue, la volonté de vivre ensemble avec cohésion, paix et solidarité. Je pense que quelqu’un qui ne partagerait pas cela n’aurait aucune chance de devenir aumônier dans l’Armée.
L’aumônerie s’ouvrira-t-elle encore à d’autres religions?
Je pense que chaque nouvelle demande est prise en considération de la part de l’office de l’aumônerie de l’armée. Comme j’ai dit, il y a des critères et des processus très précis. On peut dire que chaque demande aurait toutes ses chances d’intégrer le service dans la mesure où elle répondait aux exigences dont j’ai parlé.
Le fait que vous soyez originaire d’un pays du Moyen-Orient, en l’occurrence l’Irak, facilite-t-il la relation avec les recrues musulmanes?
Certainement. Et aussi le fait que je parle arabe. Lors d’une récente journée portes-ouvertes, j’ai abordé la mère d’une recrue d’un pays arabe. Elle a été enchantée que je parle sa langue maternelle, elle ne connaissait pas le service d’aumônerie. La semaine suivante, son fils m’a contactée.
«Les exercices ou rites religieux sont autorisés tant que la marche du service le permet»
Il y a aussi un avantage culturel. Une recrue musulmane est venue une fois me raconter un problème avec ses parents. Il voulait me parler à moi parce que je venais du Moyen-Orient et que je pouvais comprendre ce genre de choses, contrairement à une personne issue de la culture occidentale. Pour moi, c’est plus qu’un avantage, c’est une richesse.
Une photo montrant des recrues musulmanes en prière lors d’un exercice militaire a récemment fait polémique sur les réseaux sociaux. Qu’en pensez-vous?
Je ne connais pas les détails de cette affaire. L’armée essaie de répondre aux besoins religieux ou spirituels des militaires, si la marche du service le permet. Selon mes informations, cette demande des soldats de l’Armée suisse a été présentée et on a pu la réaliser comme on le fait également pour toutes les célébrations ou cérémonies chrétiennes. Rien ne peut se faire, de toute façon, sans l’autorisation du commandant. Tout a été fait dans l’ordre.
Quelles sont les critères pour autoriser une manifestation religieuse?
Les exercices ou rites religieux sont autorisés tant que la marche du service le permet. Lorsqu’une demande de prière ou de célébration me parvient, j’examine toujours ce qu’il est possible de faire, suivant la situation.
Nous avons eu notamment quelques demandes en rapport au Ramadan. Il est difficile, suivant les activités, de se priver d’eau ou de nourriture pendant une partie de la journée. Lors des cas où nous avons eu cette demande, nous avons tenté de trouver des solutions avec la personne. La plupart du temps, il s’est agi de reporter la réalisation du jeûne à un moment plus favorable, comme il est permis dans l’islam. (cath.ch/rz)
Lusia Shammas est arrivée en Suisse à l’âge de 24 ans pour étudier la théologie à l’Université de Fribourg, où elle a obtenu une licence en Sciences de la Bible. Devenue citoyenne suisse, elle vit actuellement à Seiry, dans le canton de Fribourg. Outre son engagement à l’armée, Lusia Shammas est engagée dans le département des adultes et comme accompagnatrice de toutes les personnes en discernement et en 1ère année de ministère dans l’Eglise catholique du canton de Vaud. Elle est l’épouse de Naseem Asmaroo, prêtre lui aussi originaire d’Irak, qui exerce son ministère dans les rites à la fois chaldéen et latin dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). RZ
Raphaël Zbinden
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