Avec Sacerdoce, le réalisateur français Damien Boyer réhabilite l’image des prêtres malmenée par les révélations d’abus sexuels dans l’Église. Cinq prêtres français, aux profils bigarrés, racontent avec franchise leur trajectoire personnelle, leurs motivations, leurs doutes et leur foi.
Il faut un certain courage pour se lancer dans la prêtrise aujourd’hui. Les jeunes prêtres ne bénéficient plus du respect intrinsèque lié à leur fonction dévolu à leurs aînés. La sécularisation, puis la crise des abus sexuels et spirituels dans l’Église, souvent associée à un célibat obligatoire mal compris, se sont chargées de décrédibiliser le sacerdoce.
Les chiffres sont éloquents. Il y avait 2188 prêtres diocésains en Suisse en 1990, contre 1415 en 2016. Et on comptait 29’000 prêtres environ en France en 1995, mais plus que 12’000 en 2020, dont plus de la moitié ont plus de 75 ans. Alors, la prêtrise, un métier en voie de disparition?
C’est à un retournement de regard que nous convie Damien Boyer, un scénariste français non catholique, mais qui aime à réaliser des films et reportages sur des faits de société correspondant aux valeurs qui l’animent. Malgré les nombreux écueils qui les attendent, n’y a-t-il pas toujours des jeunes catholiques prêts à se lancer dans l’aventure du sacerdoce? Qu’est-ce qui les motive?
«J’avais pour ma part une image plutôt positive des quelques prêtres que j’avais rencontrés, même si ça restait pour moi un vrai mystère: ce célibat, ce système hiérarchique… Mais qui sont ces gens? Superhéros ou hommes ordinaires?» se demande le cinéaste dans un entretien présenté par Saje Distribution, une société spécialisée dans la diffusion de films d’inspiration chrétienne.
«Souvent présents dans les moments cruciaux de la vie des croyants, comme les baptêmes, les mariages ou les enterrements, l’intimité des prêtres est pourtant méconnue», poursuit-il. «Si proches et pourtant inaccessibles. Ce film veut donner accès à leur affectivité, à leur vécu, et au quotidien insolite de ces hommes à part. Bref, pour une fois, les faire parler en »je» et non au nom de l’Église.»
Pari réussi. Devant la caméra qui les accompagne un bout sur leur route, cinq prêtres français se livrent en confiance. Il y a le Père Paul, 36 ans alors, diplômé en ingénierie, curé d’une paroisse rurale du Loiret comptant 26 clochers, qui se prépare au championnat de France de cyclisme du clergé (qu’il a remporté depuis le tournage du film). Le Père Antoine, un peu plus âgé, qui a choisi de pratiquer sa vocation en sillonnant les villages reculé d’Ariège au bord de sa caravane. Il s’installe quelques jours dans un village, frappe aux portes pour se présenter, avec le risque, assumé, de se faire vertement éconduire.
Il y a ensuite le Père Gaspard, accompagnateur en moyenne montagne, qui emmène des groupes de jeunes à la conquête de sommets alpins et d’eux-mêmes, et à la rencontre avec Dieu. Puis le Père François, le doyen, prêtre parisien et ancien officier de marine, qui a décidé d’arrêter de percer les blindages des navires pour «percer les blindages du cœur» et qui a accompagné des centaines de couples dans la préparation au mariage. Enfin le Père Matthieu, qui vit aux Philippines et parcourt les rues de Manille pour venir en aide aux enfants des rues dans le cadre de la Fondation Anak-Tnk.
La caméra nous entraîne tour à tour sur les routes des campagnes françaises verdoyantes, sur les sommets enneigés des Alpes ou dans les rues désolées des bidonvilles de Manille, à la rencontre de ces cinq hommes mais aussi de ceux qu’ils sont appelés à croiser: paysans indifférents ou attachés à l’Église, victimes d’abus de prêtres, adolescents se questionnant à propos de la pornographie, enfants maltraités…
Sans tabou, avec sincérité mais pudeur, les cinq Pères font tomber l’habit. Ils racontent les joies et les difficultés découlant de leur sacerdoce, de ce célibat certes choisi, mais qui fausse par moments leurs relations avec les femmes, les éloigne de la joie du plaisir sexuel voulue par Dieu et de la tendresse partagée. Une fidélité à leurs vœux qu’ils vivent parfois dans le tourment ou qui engendre des blessures affectives.
Ils disent aussi le plaisir que leur procure le sport, la musique ou la nature. Ils évoquent la sécularisation, la «concurrence» d’autres voies spirituelles telle le chamanisme, plus «sexy». Et bien sûr leur désolation face aux scandales des abus qui «font tomber les gens dans leur foi».
On se dit alors que le réalisateur a opté pour un casting de prêtres aux parcours originaux et à la liberté de ton plutôt rare dans l’Église pour rendre son documentaire plus accrocheur et pour renvoyer une image de la prêtrise plus contemporaine.
Mais peu à peu, d’autres idées s’imposent. Chaque vie de prêtre n’est-elle pas unique? C’est là du reste l’une des réussites du film: amener le téléspectateur à toucher du doigt l’homme derrière la fonction. Et cette juxtaposition de destins «originaux» ne dessine-t-elle pas le visage de cette Église des marges que le pape François appelle régulièrement de ses vœux? Là encore Sacerdoce amène le spectateur à décentrer son regard.
«La vie classique d’un prêtre en paroisse pour moi n’était pas suffisante», témoigne le Père Antoine. «Je me sentais plus comme un dispensateur de sacrements… Il a fallu que je me mette dans des situations où je sois moi-même, et pas en train de jouer à un ministre de l’Église.»
«Quand je suis à pied dans un village, je ne sais pas ce qui va se passer, je ne peux pas me cacher derrière mon col», raconte encore le prêtre baroudeur qui s’empresse d’ouvrir une église fermée. «Ça sent le renfermé!» s’exclame-t-il. «C’est la peur qui fait qu’on ferme les églises. Mais tant pis si on nous vole ce qu’il y a dedans! On ferme les cœurs à Dieu quand on ferme une église!»
Ce désir d’amener le Christ aux paroissiens ou à tous ceux qu’ils croisent sur leur chemin est finalement ce qui réunit les cinq protagonistes du film. Et les sacrements y occupent une place particulière. «Quand j’étais gamin, il y avait vraiment des adultes qui avaient besoin de leur prêtre. Au sens où ils se nourrissaient de l’eucharistie presque tous les dimanches», relate le Père Paul. «À l’époque j’ai compris que le prêtre, c’est l’homme des sacrements. Et si on a besoin du prêtre, c’est parce qu’il y a des hommes et des femmes qui ont besoin des sacrements.»
Un besoin toujours vivace dans les pays moins sécularisés, comme en témoigne le Père Matthieu présent aux Philippines: «Il est très difficile d’amener les gens au Christ, mais par contre très facile d’amener le Christ aux gens avec les sacrements.» Dans une formule ramassée et efficace, le Versaillais émigré à Manille résume ainsi la mission du prêtre: «C’est de tourner les regards vers le Christ, de tourner les regards vers la croix.» Et le temps n’a pas de prise sur cette mission.
Comme le dit dans le documentaire le doyen de la troupe, le Père François, atteint d’un cancer depuis de nombreuses années, «on réduit trop souvent la religion à un système, à une pensée, une doctrine, une morale. Mais la foi, c’est quelqu’un d’abord. C’est le Christ. C’est le Christ qui me libère, ce n’est pas la religion.»
Tout en haut de la montagne enneigée, au bord d’une vertigineuse falaise, une dizaine de jeunes, entraînés par le Père Gaspard, construisent une grande croix de neige et de glace. «Amen, et bravo les gars!» (cath.ch/com/lb)
Lucienne Bittar
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