La libération des otages: une obligation pour Israël?

«Le rachat des captifs au sein du judaïsme est une prescription religieuse», a expliqué sur RTS La 1ère Fabien Hünenberger, directeur de Cath-Info. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou tient-il compte de cette donnée, alors que près de 200 personnes, civiles et militaires, ont été données comme détenues par le Hamas le 16 octobre 2023?

Le porte-parole de Tsahal Daniel Hagari l’a annoncé: selon un dernier décompte, le nombre de détenus israéliens par le Hamas s’élèverait aujourd’hui à 199. Aucun canal de négociation pour libérer les otages n’a été évoqué par Israël, rapporte le journal La Croix. Le chef du Conseil de sécurité national Tzachi Hanegbi a ainsi déclaré le 14 octobre qu’il n’y avait «aucun moyen pour l’instant d’avoir une négociation avec le Hamas».

Une situation de prise d’otages inédite

Ces propos, associés au bombardement massifs de la population de la bande de Gaza et aux assauts terrestres promis contre le Hamas, font craindre le pire pour les otages. La situation actuelle est inédite, tant par l’ampleur de la prise d’otages civils que par son traitement par les autorités politiques et militaires israéliennes.

La position de Benyamin Netanyahou n’a en rien rassuré leurs proches. Le Premier ministre a certes affirmé que la libération des captifs était l’un des buts de la guerre, mais il n’a pas donné de précision sur l’ordre de ses priorités, précise La Croix. Ni pris le temps de rencontrer les représentants des familles des otages. Celles-ci se sont rassemblées en un «Forum des familles d’otages et de disparus» afin de faire pression sur le gouvernement.

Le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, après les bombardements israéliens, 16 octobre 2023 | © Keystone/AP Photo/Hatem Moussa

Sauver les otages, une prescription religieuse

Israël pourtant a une tradition historique et religieuse qui fait du sauvetage de ses citoyens captifs, militaires ou civils, une mission quasi sacrée, même si le prix à payer est fort. Une mission avalisée tant par la population que par les gouvernements successifs. Cette prescription a été mise en pratique plus d’une fois par l’État hébreu.

En trente ans, Israël a libéré près de 7000 prisonniers pour obtenir en échange la libération de 19 Israéliens et pour récupérer les corps de huit autres. En 1996, Israël a ainsi libéré 1050 Palestiniens contre deux soldats. En 2004, ce sont 400 prisonniers palestiniens et un soldat capturé par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) qui ont été échangés. Et dans le cas de Gilad Shalit, sergent israélien kidnappé en 2006 près de Gaza et libéré en 2011, le gouvernement Netanyahou a mis dans la balance 1027 prisonniers palestiniens.

«Le rachat des captifs au sein du judaïsme n’est pas qu’une question humanitaire. C’est d’abord une prescription religieuse» qui repose sur la Torah elle-même, a rappelé Fabien Hünenberger pour RTSreligion.

C’est ainsi qu’au 12e siècle le rabbin Maïmonide, «l’un des plus grands codificateurs du judaïsme», en a fait dans sa Mishné Torah le premier des mitzvot (prescriptions), c’est-à-dire le premier devoir du croyant: «Il n’y a pas de commandement plus grand que le rachat des prisonniers (…) Celui qui n’accomplit pas ce commandement transgresse sept commandements de la Torah.»

«Une expérience centrale d’appartenance»

«La pratique du rachat entre coreligionnaires s’est manifestée comme une expérience centrale d’appartenance à la communauté juive dès l’Antiquité, agissant comme un véhicule de solidarité et de reconnaissance mutuelle», détaille pour sa part Étienne Dignat dans la revue géostratégique française Le Grand continent.

Auteur de La Rançon de la terreur (PUF, 2023) et enseignant à Sciences Po Paris, il rappelle que la loi rabbinique a justifié cette pratique au 4e et 5e siècles déjà. Maïmonide, au 12e siècle, a ensuite assorti deux limites à l’évaluation de la rançon. La première est la nécessité de préserver l’équilibre des forces en présence, pour ne pas renforcer l’ennemi de façon excessive. La seconde «est d’observer ce que les non-juifs font en pareille circonstance, pour ne pas transformer les juifs en cibles privilégiées», résume Fabien Hünenberger.

«La pratique du rachat entre coreligionnaires s’est manifestée comme une expérience centrale d’appartenance à la communauté juive dès l’Antiquité»

Étienne Dignat

Des lignes d’interprétation plus fluides

Ces termes très vagues laissent le champ libre à différentes interprétations quant aux lignes rouges à ne pas dépasser. Les partisans de l’adoption d’une politique ferme face au chantage ont déjà tenté de les renforcer. L’État hébreu a ainsi mis en place en 2010 une commission «Shamgar» pour étudier la question, mais peu de choses ont filtré quant à ses propositions pour résoudre ce dilemme à la fois politique, moral et religieux, qui oblige Israël à négocier avec des organisations qu’elle taxe de terroristes.

« Le plus probable reste pour l’instant l’adoption par l’État hébreu d’une approche qui mélange un recours ponctuel à la force et des tentatives de négociations», résume Étienne Dignat. (cath.ch/rts/cx/gc/lb)

Lucienne Bittar

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