Max-Savi Carmel, à Rome
Mi-août 2023, Nairobi. Venus de tout le continent, une cinquantaine de cardinaux, évêques, prêtres et laïcs se bousculent au Kenya. Objectif «harmoniser les priorités, confronter les positions et préparer l’implication active et fructueuse du continent au synode», déclarait le Père Rafael Simbine. Le secrétaire général du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) insistait sur le besoin de «relecture du document synodal africain et de l’Instrumentum Laboris». Cette rencontre a été l’occasion pour de nombreux présidents de Conférences épiscopales nationales de constater que le synode «n’a pas suffisamment intégré les préoccupations africaines» à cause du déphasage entre le Nord et le Sud.
Dès son arrivée à Rome début octobre, face à l’impression que l’Afrique risque de ne pas être suffisamment écoutée, le président de la Conférence des évêques du Kenya a planté le décor. «Nous devons faire écouter la voix de l’Afrique» a lancé Mgr Martin Kivuva Musonde. De nombreux prélats craignent en effet «que les conflits théologiques des Eglises occidentales n’empêchent les délégations africaines de défendre l’essentiel».
Pour la religieuse sénégalaise Anne-Béatrice Faye, docteure en philosophie, «il faut que l’assemblée générale du synode prenne à cœur toutes les préoccupations» sans négliger aucune région. Membre de l’Association des théologiens africains (Ata), elle insiste sur les préoccupations du continent notamment «la résolution des conflits, la lutte contre le colonialisme économique et l’exploitation illégale des ressources, la promotion de la bonne gouvernance, ou encore l’inculturation».
Des thèmes bien éloignés des sujets qui préoccupent les Eglises européennes et nord-américaines. Ces dernières cristallisent une large part du débat autour du mariage homosexuel, du remariage des divorcés, de l’ordination des femmes…»Ces conflits idéologiques vont nous perdre du temps», déplore un délégué de la République démocratique du Congo, le pays le plus catholique du continent. «Nous faisons face aux guerres, au néocolonialisme, à l’émigration», des urgences qui, selon lui, «ne préoccupent guère les autres».
Un sentiment partagé par Mgr Antony Muheria. Pour l’évêque du diocèse de Nyeri (centre du Kenya), «les fidèles nous demandent de nous pencher sur la polygamie» rappelle-t-il. Experte synodale, Sœur Anne-Béatrice rallonge la liste, par «la situation des femmes, la protection de l’enfance, la pauvreté…», des thématiques que les délégués africains tentent d’imposer, vaille-que-vaille.
Face au pessimisme de tout un continent quant à l’issue du synode, le très influent cardinal congolais Fridolin Ambongo tempère. Il a fait remarquer aux délégués du continent que l’Afrique n’a jamais été autant bien représentée dans un synode et exprime au pape »une forte gratitude.
Sur 464 participants, l’Afrique en compte 67 dont 5 cardinaux, 48 évêques, 12 prêtres et religieuses et 2 laïcs, «c’est à eux de porter dignement notre voix» a martelé le cardinal réputé proche du pape François.
«Nous aurions pu avoir des synodes pour chaque continent avant une rencontre de synthèse à Rome» observe un jésuite ivoirien, étudiant en Italie qui préconise qu’après les débats et d’ici octobre 2024, «le pape ne se penche sur des préoccupations par zone géographique». Car, craint-il, «ce synode ne doit pas donner l’impression de privilégier l’Europe et l’Amérique». A la suite de deux synodes consacrés à l’Afrique notamment en 1994 par Jean Paul II et 2009 par Benoît XVI, le jésuite pense que les «synodes régionaux sont plus efficaces et plus fructueux». Un avis largement partagé par la plupart des présidents de conférences épiscopales nationales présents actuellement à Rome.
Une première surprise a eu lieu dès l’ouverture du synode, selon diverses indiscrétions, les délégués africains «ont exprimé une certaine souplesse sur la question de l’accès à la communion» pour les divorcés-remariés. «Une manière de faire des concessions afin d’obtenir l’opposition totale au remariage sacramentel», prédit un évêque africain. A en croire ce président de la conférence épiscopale de son pays, «la radicalité sur les questions éthiques risque d’isoler les délégués du continent». «Mieux vaut faire des concessions afin de faire passer notre position sur l’essentiel».
L’essentiel pour ce prélat,déjà présent aux deux synodes sur la famille (2014 et 2015), «c’est la clarification du synode sur les sujets spécifiques aux Eglises d’Afrique». Selon lui, la question du mariage homosexuel «n’a même pas sa place en Afrique» d’autant qu’elle «ne nous concerne pas, c’est une affaire occidentale». A peine concède-t-il une possible bénédiction des personnes homosexuels. Quant à l’ordination de femmes, «diacres ou prêtres, il n’en est pas question», tranche ce prélat de l’Afrique centrale pourtant jeune et réputé progressiste.
Malgré les divergences, les délégués africains sont restés discrets, notamment dans les médias. Une posture encouragée par le cardinal Ambongo. Peu avant la Congrégation générale du 13 octobre, l’archevêque de Kinshasa a rappelé la nécessité de rester «ouverts à l’Esprit-Saint» lors d’une messe célébrée à la basilique Saint Pierre et qui a rassemblée les participants africains au Synode.
Malgré les difficultés et craintes, le président du Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar a exhorté les uns et les autres à «combattre courageusement le Malin, en utilisant les armes de la synodalité, qui exigent l’unité».
Unité plus que jamais indispensable d’autant que des effritements sont apparus au sein de la délégation africaine, entre ceux qui ne veulent faire aucune concession et les rares prélats progressistes majoritairement promus par le pape François. Fridolin Ambongo a réitéré avec insistance son espoir de «la nouvelle Pentecôte, qui renouvellera certainement l’Église».
Quant à cet autre expert de l’Afrique australe présent à la messe, »on a l’impression qu’on nous presse», s’agace-t-il, espérant que d’ici la rencontre finale d’octobre 2024, «le pape comprenne que rien n’est urgent et que l’Eglise a toujours su prendre son temps». Ce dernier craint d’ailleurs que l’hégémonie des thèmes qui s’éloignent trop des réalités africaines «ne crée un repli sur soi des Eglises du continent». Une crainte face à laquelle le cardinal Philippe Ouedraogo, archevêque de Ouagadougou, également présent à Rome appelle ceux qu’il rencontre dans la ville éternelle «à la prière». (cath.ch/msc/mp)
Max Savi Carmel
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