Eduardo Campos Lima, Protestinfo
La victoire du social-démocrate Bernardo Arévalo à l’élection présidentielle du 20 août avait été accueillie comme une petite révolution au Guatemala, un pays gouverné par les conservateurs depuis quarante ans. Fils de l’ancien président Juan José Arévalo – le premier élu démocratiquement après la révolution de 1944 qui a gouverné la nation centraméricaine entre 1945 et 1951 –, Bernardo Arévalo a fait campagne avec la promesse de lutter contre la corruption et de développer l’économie.
Or, plus d’un mois après les élections, certains semblent toujours peu disposés à lui céder le pouvoir. Son parti et l’autorité électorale sont devenus les cibles de quelques procureurs, au point que Bernardo Arévalo a dénoncé à plusieurs reprises une tentative de coup d’Etat. Les Guatémaltèques qui le soutiennent, ou qui sont attachés à la démocratie, se mobilisent fortement. Jeudi, des manifestants, pour la plupart indigènes, ont bloqué pour la quatrième journée consécutive une trentaine de routes stratégiques menant aux frontières du Mexique, du Salvador et du Honduras. De son côté, Bernardo Arévalo était de retour de Washington où il avait dénoncé «un coup d’Etat au ralenti». Le risque qu’il soit empêché d’accéder à la présidence est bien réel, selon les analystes.
Les évangéliques sont en première ligne de la contestation contre le président élu, notamment ceux qui sont liés aux méga-Eglises du pays. Ils ont du poids: aujourd’hui, 43% des Guatémaltèques sont évangéliques et 41% catholiques, selon un récent sondage Gallup.
«Avant le premier tour, de nombreuses Eglises soutenaient ouvertement la candidate du centre droit Sandra Torres», qui s’est prononcée contre l’avortement et le mariage homosexuel au cours de la campagne, explique l’anthropologue guatémaltèque Claudia Dary, spécialiste du rapport au religieux. «Les pasteurs ne s’attendaient cependant pas à ce que les citoyens partagent les vidéos de leurs sermons politisés sur les réseaux sociaux», relève-t-elle.
«La plupart des Eglises protestantes historiques, luthériennes et presbytériennes, se montrent préoccupées par un éventuel coup d’Etat»
Le mélange des genres entre prédication religieuse et campagne électorale est interdit par la loi au Guatemala. Or, en six mois, une plateforme destinée aux doléances envers des dirigeants religieux qui feraient campagne au prêchoir a reçu des centaines de plaintes. «Les méga-Eglises se sont fortement impliquées dans la promotion de certains candidats. Elles ont aussi fait circuler de fausses informations contre Bernardo Arévalo sur les thèmes de l’idéologie du genre et de l’avortement», explique Jennyfer Aquino, directrice de cette plateforme.
De nombreux évangéliques perçoivent Bernardo Arévalo comme le défenseur de causes immorales, bien que ce progressiste n’ait pas défendu la décriminalisation de l’avortement durant sa campagne. «Bernardo Arévalo est complètement dissocié des recommandations chrétiennes. Il s’aligne sur l’agenda socialiste et LGBT et n’est pas en accord avec nos valeurs. Il était même présent au mariage de sa fille lesbienne!», commente le pasteur Cesar Ayala, président de l’Alliance évangélique du Guatemala. Ce dernier craint même une «persécution indirecte» des évangéliques, par la voie des impôts ou l’ouverture d’enquêtes, de la part du gouvernement de Bernardo Arévalo. «Nous prions intensément» pour que le président élu ne puisse pas prendre le pouvoir en janvier 2024, confie-t-il. Si les dirigeants évangéliques se sont abstenus de manifester ou de publier des vidéos contestataires par crainte de représailles, ils utilisent leur position dans les Eglises pour critiquer Bernardo Arévalo.
L’Eglise catholique a, au contraire, défendu les résultats des élections. Le 30 septembre, la conférence épiscopale a publié une note critiquant les actions des procureurs contre le tribunal électoral et demandant aux autorités d’œuvrer pour la démocratie et la légalité. La plupart des Eglises protestantes historiques, luthériennes et presbytériennes, se montrent préoccupées par un éventuel coup d’Etat.
Selon le sociologue espagnol Santiago Otero, c’est l’oligarchie guatémaltèque – propriétaires fonciers, grands hommes d’affaires, forces armées, représentants politiques qui entretiennent des liens de longue date avec certaines Eglises – qui serait derrière cette tentative de coup d’Etat. Des «pactes entre corrompus», selon le sociologue Santiago Otero. Il estime que pour la présidence de Bernardo Arévalo, le danger est bien là, dans ces tentatives répétées de coup d’Etat, même si «ces élections ont été très propres et transparentes. Même l’oligarchie le sait», déplore-t-il. (cath.ch/protestinfo/ecl/rz)
Rédaction
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