Cécile Lemoine, Jérusalem, pour cath.ch
Il porte une kippa, un gros bouquet de fleurs et des lettres d’excuses signées par plus de 10’000 juifs. C’est ainsi chargé que Yair Fink, un homme politique et activiste issu de la gauche israélienne, s’est rendu dans trois églises de Jérusalem le 5 octobre. «L’humiliation et les crachats ne sont pas notre judaïsme», s’est excusé Yair Fink auprès des frères franciscains du couvent de la Flagellation, sur la Via Dolorosa de Jérusalem, en référence aux incivilités visant le couvent et les groupes de pèlerins qui se sont multipliées ces derniers jours.
Une vidéo montrant un groupe de juifs ultra-orthodoxes crachant aux pieds de pèlerins asiatiques en plein chemin de croix, dans la vieille ville de Jérusalem le 1er octobre, a suscité un tollé international, d’autant que l’acte n’est pas resté isolé: les crachats ont été filmés et documentés de manière quotidienne, alors que des dizaines de milliers de juifs étaient en visite à Jérusalem à l’occasion de Souccot.
Également appelée fête des Tabernacles ou des Tentes, Souccot est l’une des trois fêtes juives qui impliquaient un pèlerinage à l’époque du Second Temple. Elle attire un flot de personnes, parfois étrangères à la mixité religieuse de Jérusalem. Un manque de connaissance qui n’est pas sans remettre une pièce dans la machine de l’intolérance à l’encontre de ce qui n’est pas juif dans la Ville sainte.
S’ils ne sont pas un phénomène nouveau, les crachats sont devenus l’expression la plus courante d’un mépris dont une minorité juive radicale ne se cache plus, et que les réseaux sociaux étalent désormais au grand jour. «Cracher près des prêtres ou des églises est une ancienne coutume juive», a justifié sur X Elisha Yered, figure de proue des colons israéliens et accusé du meurtre d’un Palestinien. Il complète sa pensée dans un autre post: «Tendre l’autre joue à une religion qui a massacré notre peuple, ce n’est pas notre philosophie.»
Face au radicalisme de ces déclarations, les condamnations israéliennes sont tombées en cascade: «De tels phénomènes sont injustifiés et ne devraient certainement pas être attribués à la loi juive», a dénoncé le grand rabbin ashkénaze David Lau, suivi par plusieurs autres rabbins, ainsi que par le bureau du Premier ministre. «Les comportements déviants à l’égard des fidèles constituent un sacrilège et sont tout simplement inacceptables. Toute forme d’hostilité à l’égard de personnes pratiquant leur religion ne sera pas tolérée», a-t-il affirmé en anglais sur X, sans faire explicitement référence aux chrétiens.
Israël «maintiendra la liberté de religion et la liberté de culte pour les membres de toutes les religions»
Eli Cohen, ministre israélien des Affaires étrangères
Le jour suivant, le ministre israélien des Affaires étrangères Eli Cohen s’est entretenu avec son homologue au Saint-Siège, Mgr Paul Richard Gallagher. Lors de leur conversation téléphonique, le chef de la diplomatie israélienne a voulu affirmer sa «ferme condamnation des attaques honteuses contre les chrétiens, perpétrées par une minorité de la population israélienne», et a indiqué qu’Israël «maintiendrait la liberté de religion et la liberté de culte pour les membres de toutes les religions». Les deux hommes ont convenu que Mgr Gallagher se rendrait à Jérusalem le mois prochain.
Alors que les effectifs de la police ont été renforcés à Jérusalem à l’occasion des fêtes juives, c’est seulement après trois jours de critiques et de controverses que la police s’est emparée du sujet des crachats, en annonçant, le 4 octobre, qu’elle avait arrêté cinq personnes, dont un mineur.
Le commandant du district de Jérusalem a ordonné la mise en place d’une équipe d’enquête spéciale et a ajouté: «Étant donné que la grande majorité des cas de crachats à l’encontre de chrétiens ne sont pas signalés, nous devons commencer à identifier et à traiter ces cas et utiliser des caméras de surveillance, des agents sur le terrain, et tous les moyens disponibles pour une surveillance en temps réel ou rétrospective.»
Les lettres initiées par Yair Fink ont été signées par plus de 10’543 personnes. Elles affirment que «l’extrémisme ne représente pas le judaïsme, dont les principes sont enracinés dans la grâce et l’engagement pour la paix.» Sur les vidéos qui ont immortalisé le passage de l’activiste, les frères franciscains apparaissent touchés par l’attention et soulignent le soutien apporté par plusieurs juifs israéliens ces derniers mois.
Des sanctions telles que des amendes administratives vont être envisagées pour lutter contre ces actes de mépris, mais la question de leur efficacité face à une éducation ouvertement suprémaciste dans certains milieux juifs ultra-orthodoxes reste entière. «Le phénomène des crachats est hors de contrôle. Il ne s’agit plus seulement d’une minorité, s’inquiète Robby Berman, un guide juif israélien qui fait partie de ceux qui élèvent la voix contre ces actes de mépris. C’est un virus qui s’installe dans le contexte favorable créé par le gouvernement, celui d’un sentiment croissant de pouvoir et de souveraineté sur les espaces.»
Côté chrétien, on attend beaucoup de la nomination du Patriarche latin de Jérusalem au collège des cardinaux, le 30 septembre dernier. Mgr Pierbattista Pizzaballa a confié à la presse en amont du Consistoire qu’il avait conscience de la responsabilité qu’impliquait désormais sa position de cardinal: celle d’être une voix au Vatican de la communauté chrétienne et de Jérusalem. (cath.ch/cl/lb)
Rédaction
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