Plus de 250 personnes se sont rendues le 2 octobre 2023 à Genève à la rencontre des Anges gardiens, si loin – si proches. Ou plutôt de Margherite Kardos, spécialiste des langues orientales anciennes, dont le sumérien, et des Dialogues avec l’ange (voir encadré), et de Thomas Römer, professeur titulaire de la chaire «Milieux bibliques» au Collège de France. Cette conférence à deux voix a été organisée le jour de la fête des anges gardiens par l’Église catholique romaine (ECR), en présence de plusieurs de ses responsables, notamment Fabienne Gigon, représentante de l’évêque à Genève.
«Nous avons tous, selon la tradition de l’Église, un ange qui nous protège et nous fait comprendre les choses»… «L’Ange est la porte quotidienne vers la transcendance, vers la rencontre avec le Père.» Ces déclarations du pape, datant de 2014 et 2018, pourraient bien être le fil rouge reliant les deux visions, fort différentes, présentées par les conférenciers.
«On dit de notre monde qu’il est désenchanté. Pourtant, on est souvent témoin de petits miracles»
«On dit de notre monde qu’il est désenchanté. Pourtant, on est souvent témoin de petits miracles, attribués par la culture populaire aux anges gardiens», lance en introduction le journaliste Emmanuel Tagnard, animateur de la soirée. Plus largement, la présence des anges est «attestée» dans de nombreux écrits religieux très anciens. Les trois religions du livre, bien sûr, mais aussi en Égypte et Grèce antique, à Babylone et en Assyrie ou encore chez les Tibétains, soulignent de concert les deux orateurs.
Comment déceler leur présence? Pour Margherite Kardos, ce n’est que dans la faille que les anges se manifestent, quand la personne se trouve en phase de désolation ou est en crise personnelle et qu’elle est prête à s’ouvrir à une autre dimension. «Ce n’est pas un objet qu’on peut définir, c’est le sujet le plus intime, le maître intérieur», déclare-t-elle. L’arrivée de l’ange est toujours inattendue et débouche pour son visiteur sur la découverte de la force intérieure qui l’habite, sur une «bienveillance infinie». L’ange ouvre la voie.
«Les anges se manifestent quand la personne se trouve en phase de crise»
La thérapeute hongroise appuiera tout le long de la soirée sa démonstration, très habitée, sur l’expérience de Gitta Mallasz, l’auteure de Dialogues avec l’ange, dont elle a été l’amie durant de longues années. Pour elle, les anges sont envoyés par l’Esprit saint pour rallumer le feu dans le cœur ensablé de l’Homme. Pour l’amener à prendre conscience de sa grandeur, de sa verticalité infinie. Pour l’aider à transmuter l’énergie destructrice lovée en lui en force de vie et d’amour (message 29 de Dialogues avec l’ange). «On est vivant quand on a pu naître une deuxième fois.»
L’approche du bibliste Thomas Römer, très différente, a été concentrée sur ce que l’Ancien et le Nouveau Testaments disent des anges. «Le mot ange, a t-il expliqué, vient d’un mot hébreux, Mal’ak, un envoyé. On ne peut pas savoir si c’est un humain, un être entre les Dieux et les hommes. La première fois qu’on le trouve dans la Bible, c’est lors de son apparition à Agar, la servante de Sarah (Genèse).»
«Les personnages bibliques ne savent pas tout de suite qu’ils sont face à des messagers de Dieux»
Les anges viennent à nous par surprise. Du reste, les personnages bibliques qui les rencontrent ne les identifient pas de suite comme tels. «Ils prennent conscience qu’ils sont face à des messagers de Dieux grâce aux mots que ceux-ci prononcent», explique le professeur.
«Parfois, on ne sait pas si c’est Dieu ou un intermédiaire qui parle. Comme dans l’histoire du buisson ardent. Au début, le texte dit que c’est l’ange du Seigneur qui parle à Moïse du milieu du feu. Puis il signale la présence du Seigneur dans le feu. L’ange se confond avec la voix divine.»
De fait, la fonction des anges prend différentes formes dans la Bible. Ils ne sont pas tous des anges protecteurs! Certains sont même très dangereux!
Thomas Römer évoque tout au long de la soirée, tour à tour: les chérubins, ces gardiens qui protègent le jardin et l’arbre de la connaissance avec une épée ou le trône du Seigneur; les anges exterminateurs de Sodome et Gomorrhe qui accomplissent le jugement prononcé par Dieu; les anges médiateurs entre le Ciel et la Terre, qui montent et descendent le long de l’échelle de Jacob ou, comme dans l’évangile de Jean, du corps de Jésus, le Nouveau Temple qui fait le lien entre le Ciel et la Terre; les anges combattants du côté de la Lumière et la louant (déjà évoqués dans les manuscrits de Qumrân), comme avec l’armée céleste qui entoure la naissance de Jésus et loue le Seigneur; les anges qui servent Jésus après sa tentation dans le désert… Impossible de tous les citer ici!
La fonction protectrice des anges gardiens est, quant à elle, évoquée dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, en particulier en Matthieu 18. Les anges y intercèdent en faveur des «petits». «Ce mot, souvent interprété comme «les enfants», désigne les chrétiens menacés par Rome. «On y trouve une expression curieuse, «les anges de la face». Cela renvoie au langage de la cour pour désigner quelqu’un qui avait accès directement au roi. Ici, évidemment, il s’agit de la face de Dieu.»
À quel moment est-on passé dans le christianisme de cette vision de l’ange messager ou de l’ange «signe» divin – surgissant là où on ne l’attend pas – à une figure que l’on peut invoquer ou prier, en particulier à cet ange gardien que l’on personnifie et dont on fait un accompagnateur personnel?
«Rendre un culte aux anges n’est pas très bien vu dans les Évangiles»
«Apparemment, il y avait déjà dans l’Ancien Testament cette idée de rendre un culte aux anges, idée qui n’est pas très bien vue dans les Évangiles. L’épitre aux Hébreux met en garde à ne pas confondre Jésus avec les anges. Jésus est le médiateur par excellence, mais déjà au premier siècle de l’ère chrétienne on cherche à trouver d’autres médiateurs entre un Dieu transcendant, très éloigné, et nous. Si bien que les anges se sont retrouvés associés au culte des saints.» Anges, saints… Cela conduira à une des grandes questions théologiques débattues par les Réformateurs à la suite de Luther. (cath.ch/lb)
Dialogues avec l’ange
Le livre est une transcription de 88 entretiens spirituels avec un ange, ou plutôt plusieurs anges ou «Maîtres intérieurs», recueillis par quatre amis hongrois (trois femmes et un homme), sur 17 mois, en pleine Seconde Guerre mondiale. L’ange s’exprime via l’une des protagonistes, Hanna Dallos, qui déclare au début des entretiens :«Attention! Ce n’est plus moi qui parle.» Les paroles des anges sont retranscrits alors par Lili Strausz et Gitta Mallasz.
Seule survivante des quatre (les trois autres, juifs, périront en déportation), réfugiée en France, Gitta Mallasz traduira ces entretiens en français. «Jamais Hanna n’a été en transe, ni dans un état particulier, ni même les yeux fermés pendant les entretiens», précisera-t-elle.
Les entretiens répondent à des questions formulées par les amis et évoluent avec les événements qui secouent la Hongrie. L’écriture est poétique, dense, ésotérique. Publié en 1976, Dialogues avec l’ange a été un grand succès de librairie et a été réédité depuis en français en 1990 et traduit en 21 langues. LB
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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