Je donne actuellement un cours public à l’Université de Genève sur l’éthique du soin. Lors de la première séance, j’y évoquais le rapport à la maladie et à la vulnérabilité que nous pouvons développer. Il y a la position qui a été longtemps celle de la société et celle de l’Église, que j’appellerai position haute ou position du surplomb. C’est la position du médecin paternaliste à son apogée dans les années 1960 pour qui le malade n’a pas la possibilité de savoir ce qui est bon pour lui et doit s’en remettre au médecin.
Dans le domaine des soins, la tendance s’est heureusement orientée (partiellement du moins) vers plus de participation, et de co-décisions. Les soins palliatifs ont dans ce sens été novateurs. Les soignants qui y travaillent ne peuvent éviter d’être confrontés à leur propre mortalité. C’est dans ce domaine qu’on peut le mieux observer ce changement de position. Le médecin perd sa toute-puissance, les savoirs deviennent partagés, les soignants rejoignent les soignés, ils passent du surplomb à l’immersion. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des compétences multiples et diverses que certains peuvent accentuer par des formations de l’acquisition d’habiletés techniques.
«L’Eglise sait qu’elle doit co-évoluer avec tous ses membres»
Le pape François exprime également ce mouvement dans sa dernière adresse lors de la journée mondiale des malades. Le «nous» qu’il emploie dans son texte est majoritairement un nous immersif. L’Église n’est plus là en surplomb, mais elle descend parmi les malades. Elle sait qu’elle partage leur condition et qu’elle doit co-évoluer avec tous ses membres: «C’est précisément à travers l’expérience de la fragilité et de la maladie que nous pouvons apprendre à marcher ensemble selon le style de Dieu, qui est proximité, compassion et tendresse.»
Ce mouvement de la position haute à la position basse ne serait-il pas alors une inspiration et même plus, une condition pour effectuer ce changement culturel nécessaire à l’Église catholique? Sortir d’une position de surplomb avec une classe sacerdotale épiscopale qui «entend les plaintes» et qui les ayant entendu dit: «Laissez nous faire on va arranger ça» … et rien ne se passe.
La dernière déclaration de Félix Gmür, évêque de Bâle rapportée par la NZZ am Sontag est intéressante et semble (restons prudents) marquer un déplacement de l’évêque vers une position plus immersive. Il y déclare n’avoir «aucun problème à imaginer des prêtres mariés» et être «pour l’ordination des femmes». Discours surprenant qui tranche avec l’argument habituel de l’appareil ecclésial et avec la position d’un terrible surplomb de Jean Paul II affirmant que l’affaire était définitivement tranchée et qu’il était désormais interdit de revenir là-dessus.
«Il est assez interpellant que nos communautés ecclésiales aient tant de retard à casser les pyramides»
Les évêques membres de la communauté doivent co-évoluer avec les autres membres du peuple de Dieu, ce qui ne signifie pas qu’ils abandonnent leur charisme et le ministère qui leur a été confiés. Non pas capter les problèmes pour les résoudre seuls, mais savoir être les catalyseurs d’une communauté où tout le bouquet de charismes et de ministères que l’Esprit fait éclore co-opère à sa croissance vers sa bonté et son excellence en tant que communauté.
En santé publique et en politique des soins on a beaucoup thématisé ces dernières années la notion de ‘caring communities’, des communautés où le prendre soin est l’affaire de tous, où une multitude de compétences et de savoirs informels sont mobilisés et non uniquement ceux de professionnels.
Il est assez interpellant pour nous chrétiens, qu’en dépit du message que nous proposons au monde, nos communautés ecclésiales aient tant de retard à casser les pyramides et à se penser et s’organiser comme des ‘caring communities’, des communautés soignantes et guérissantes.
Thierry Collaud
27 septembre 2023
Portail catholique suisse