Rome: Une plainte déposée contre le cardinal Laghi pour collaboration avec la dictature
Rome, 21 mai 1997 (APIC) Le collectif des «Mères de la Place de Mai», qui poursuit depuis la fin de la dictature militaire argentine les responsables de la disparition de leurs fils ou maris, a déposé une plainte devant la justice italienne contre le cardinal Pio Laghi. Le haut responsable de la curie romaine est accusé de complicité avec le pouvoir militaire argentin à l’époque où il était nonce à Buenos Aires. Le cardinal a aussitôôt réagi, qualifiant ces accusations de «diffamatoires et dénuées de tout contenu ou fondement».
Hebe de Bonafini, la présidente de l’Association des Mères de la Place de Mai, et Marta Badillo, membre de cette association, ainsi que leur avocat Sergio Schoklender, ont rendu public le 20 mai à Rome, dans les locaux de l’agence de presse catholique Adista, la plainte déposée devant la justice italienne contre le cardinal Pio Laghi, préfet de la Congrégation pour l’Education Catholique. Ce dernier, qui fêtait ses 75 ans ce mercredi 21 mai (et qui a donc présenté sa démission au pape), est un homme d’influence, souvent cité comme l’un des «papabile».
«Pio Laghi était à la tête d’une croisade contre les communistes qui a envoyé à la mort des milliers de jeunes», affirme la plainte déposée par l’Association des Mères. «Prêtres, missionnaires, syndicalistes, leaders politiques, tous ont souffert des punitions de l’inquisition qu’il avait décidé de leur imposer.»
Au courant des tortures et des dispaitions?
Le document affirme également que le cardinal était parfaitement au courant des tortures, des meurtres et des rapts subis par les opposants politiques et qu’il aurait même «collaboré étroitement avec les dictateurs». La plainte cite les noms de plusieurs témoins, dont un évêque, plusieurs prêtres et une mère supérieure, qui tous affirment avoir vu le nonce «dans les prisons secrètes du gouvernement et dans les camps de concentration».
Publié dans la soirée du 20 mai, puis le 21 mai dans le bulletin de la salle de presse du Vatican, la réponse cardinal Laghi tient en trois courts paragraphes. Les accusations sont «diffamatoires et privées de tout contenu et fondement» en ce qui concerne tant les faits que les «aspects éthiques et juridiques».
Sauveur ou bourreau ?
Le cardinal ajoute: «Mes actes comme nonce apostolique en Argentine – du 1er juillet 1974 à la fin de décembre 1980 – sont bien documentés tant auprès des évêques argentins qu’à la Secrétairerie d’Etat. Les documents sont tous entre leurs mains.» «J’ai reçu pendant cette période, écrit-il enfin, un nombre incalculable d’attestations écrites de solidarité et de reconnaissance de la part des évêques argentins, des chefs de la communauté juive, des prêtres, des religieux et des fidèles, pour ce que j’ai pu faire pendant cette période en vue de défendre – eux mêmes le reconnaissent -, avec une grande sensibilité et dévouement, toutes les personnes qui souffraient rencontrées pendant ma longue mission au service du Saint-Siège dans de nombreux pays du monde.»
Joint par téléphone, le cardinal Pio Laghi a ajouté que les personnes qui l’accusent n’ont «aucune preuve, absolument aucune!». Le cardinal Pio Laghi fut nonce apostolique en Argentine du 1er juillet 1974 à la fin décembre 1980. Les militaires argentins, menés par le général Videla, ont pris le pouvoir dans la confusion de l’après-Peron en 1976. Ils en ont été chassés par leur défaite lors de la guerre des Malouines en 1982 contre l’Angleterre.
Le gouvernement argentin reconnaît aujourd’hui que 9’000 opposants ont disparu sous la dictature militaire. Mais ce sont 30.000 disparitions que dénoncent les «Mères de la Place de Mai», qui se retrouvaient à l’époque chaque jeudi à 15h30 sur la «Plaza de Mayo» à Buenos Aires pour réclamer justice pour leur fils et maris disparus.
La presse italienne du 21 mai est plutôt discrète sur le sujet, mis à part «Il Manifesto». Le quotidien lié à «Rifondazione Communista» (branche orthodoxe de l’ex-PCI) rappelle que le cardinal Pio Laghi, depuis longtemps accusé d’avoir entretenu des relations avec le régime militaire, se serait lié d’amitié avec l’amiral Eduardo Massera, un des chefs de la première junte militaire et responsable du camp de concentration de l’ESMA, l’Ecole supérieure de la Marine, au point de jouer au tennis avec lui. «C’est arrivé une fois ou deux» a reconnu le cardinal, selon «Il Manifesto».
Les éléments de la plainte transmis au pape
Mgr Laghi est protégé par une immunité prévue pour les cardinaux par les Accords du Latran. Selon Hebe de Bonafini, les éléments de cette plainte ont été transmis au Conseil Pontifical «Justice et Paix» et au pape lui-même par l’intermédiaire de son secrétaire particulier, en vue d’obtenir la levée de l’immunité du cardinal Laghi.
L’avocat de l’association argentine, Sergio Schoklender, admet qu’il y a peu de chances que cette immunité soit levée et que la justice italienne poursuive le cardinal, mais, précise-t-il, «nous voulons au moins que le monde sache que l’ambassadeur du pape savait, c’est pour nous le plus important».
Il y a un an, les évêques argentins ont fait une demande publique de pardon pour leur rôle durant la dictature militaire entre 1976 et 1983, après s’être publiquement querellés pendant plusieurs mois sur l’opportunité d’une telle démarche réclamée par une poignée d’évêques, dont Mgr Miguel Hesayne, évêque de Viedma. Ils estimaient que l’Eglise, par sa passivité, avait soutenu indirectement la torture et les assassinats. D’autres niaient que l’Eglise ait couvert les tortionnaires.
L’autocritique des évêques était loin de satisfaire Mgr Hesayne. Des journaux argentins ont écrit à l’époque que la nonciature était informée jusque dans les détails de ce qui se passait dans les camps de concentration de la dictature, ce que conteste le cardinal Laghi. Dans «L’honneur perdu des évêques argentins», paru en 1987 à Genève, le Père jésuite Albert Longchamp, le pasteur Alain Perrot et Silvain de Pury, de l’Association Internationale contre la Torture (AICT) avaient déjà dénoncé le rôle plus qu’ambigu de certains membres de la hiérarchie catholique argentine sous la dictature. Le nonce Pio Laghi y était nommément cité. (apic/cip/imedia/be)
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