Mgr Pizzaballa: «Je porterai la voix de Jérusalem dans l'Église»

Mgr Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, va être créé cardinal avec 21 autres évêques, lors du consistoire qui aura lieu le 30 septembre 2023 au Vatican. Il confie ce que signifie cette responsabilité et livre son regard sur la situation des chrétiens au Moyen-Orient.

Propos recueillis par Clémence Levant pour cath.ch

Cette nomination en tant que cardinal va-t-elle changer votre rôle de Patriarche latin de Jérusalem?
Mgr Pizzaballa: D’un point de vue pratique, rien ne change. La priorité va rester de servir et de visiter les différentes paroisses et communautés du diocèse, qui s’étend sur les territoires d’Israël/Palestine, de Jordanie et de Chypre. J’ai été surpris par la joie sincère des autres patriarches de Jérusalem, du président israélien qui m’a personnellement félicité… Pour beaucoup, la réaction a été: «Enfin!»

Il y a déjà eu un évêque de Jérusalem nommé cardinal (en 1914, ndlr), mais il est parti à Rome dans la foulée. Avec cette nomination, le rôle de Jérusalem en tant que mère de l’Église est reconnu. La ville acquiert une voix dans la vie de l’Église. C’est très positif, mais c’est aussi une responsabilité. Il s’agit de parler à l’Église mais aussi à la communauté internationale pour mettre en lumière la vie des communautés chrétiennes de Terre sainte. Jérusalem vit à la croisée de tensions culturelles, politiques, religieuses. C’est important de pouvoir porter un discours clair et serein sur ce qu’il s’y passe. Je veux rester moi-même: les pieds sur terre, et le cœur avec le peuple de Jérusalem.

Depuis le début de l’année, on observe une augmentation du mépris à l’encontre des chrétiens et de leurs symboles en Israël. Où en sont les discussions avec les autorités israéliennes?
Le dialogue est en cours. Si les autorités ont auparavant nié le problème, l’augmentation de la fréquence des actes de mépris est aujourd’hui telle qu’il est impossible de passer à côté du sujet. Il y a eu une prise de conscience côté israélien, et on peut désormais travailler ensemble. Il faut cependant le faire discrètement, en essayant de mettre les émotions de côté car c’est un problème sensible qui demande tact et sagesse.

«Notre diocèse est aussi fascinant que stimulant pour la variété des réalités qu’il recouvre»

La plateforme créée par Yisca Harani pour recenser les actes de mépris nous est aussi très utile dans notre compréhension du phénomène, et dans notre manière d’en parler. On ne se base plus sur des impressions, mais sur des faits et des chiffres. Il faut cependant bien noter que les chrétiens ne sont pas les seules cibles. Tout le pays subit une montée de la violence, de la haine, de la méfiance mutuelle. Même à l’intérieur de la société israélienne. Il faut comprendre le phénomène dans un contexte plus large de radicalisation. On ne peut pas nier que le nouveau gouvernement participe à ce climat, mais il est aussi le résultat de mouvements internes à la société israélienne.

Vous avez participé cette année à deux conférences réunissant les patriarches catholiques du Moyen-Orient. Quels sont les enjeux auxquels ces communautés sont confrontées?
Les défis sont très concrets, et s’incarnent en une série de questions auxquelles nous essayons toujours de trouver des réponses, ou en tout cas de donner des perspectives. Et même si les réalités entre la Syrie, l’Irak, le Liban ou encore Israël sont différentes, il y a des points communs qui nous permettent de réfléchir ensemble: dans tous ces pays, les chrétiens sont une minorité.

Vue de Jérusalem | © Robert Bye/Unsplash

Mais que fait-on de cette situation? Est-ce qu’on reste à se plaindre, ou est-ce qu’on a quelque chose à dire? Et dans ce cas, que dit-on? Comment, en tant que minorité, on interagit avec la majorité, quel dialogue avec les musulmans après l’État islamique? Quelle présence pour les chrétiens dans les institutions politiques? Les chrétiens sont en train de quitter le Moyen-Orient. Comment réorganiser l’Église pour qu’elle continue à être présente pour ceux qui restent? Il y a un manque de moyens et donc de personnel dans nos écoles, nos hôpitaux… Ces établissements sont essentiels parce qu’ils sont notre lien avec les gens. Les crises sont des opportunités pour repenser notre présence, nos institutions: c’est se demander quels sont nos objectifs, et qui nous voulons être.

En tant que Patriarche de Jérusalem, vous visitez de nombreuses paroisses et rencontrez de nombreux fidèles. Que vous demandent-ils?
Notre diocèse est aussi fascinant que stimulant pour la variété des réalités qu’il recouvre. À Nazareth, les chrétiens sont arabes et israéliens. Ils parlent beaucoup d’identité, et de leur besoin de formation. En Palestine, les gens insistent plus sur l’aide matérielle. Mais partout, j’entends un besoin de présence. Nous sommes peu nombreux, confrontés à beaucoup de problèmes, distribués dans une terre complexe et divisée.

«La Terre Sainte est aussi un laboratoire»

C’est important que l’Église soit là, qu’elle soit ce pasteur qui aide à faire communauté. On vient d’ouvrir un centre spirituel près de Bethléem, et le programme a été victime de son succès! Plus de 40 personnes sont venues le premier jour: la salle n’était pas assez grande. La moitié des participants sortent à peine du bac. Et c’est magnifique. Il y a une vraie demande de spiritualité. Être présent, c’est aussi assurer un soutien matériel et financier quand il le faut. L’Église est le troisième employeur en Palestine. On attend de nous de continuer à créer des opportunités.

Quels sont vos espoirs pour l’Église de Terre Sainte?
L’espoir est fille de foi. Sans foi, l’espoir n’est qu’un mot. J’observe, ici, un désir très fort de foi. Une envie d’approfondir. Et c’est mon rôle. Si on regarde la situation politique en Terre sainte, il est difficile d’imaginer un futur radieux. Dans ces moments, c’est la foi qui peut faire aller de l’avant. La foi, c’est une manière de vivre. C’est un désir. Une vision. Et c’est ce dont nous avons besoin ici.

Qu’est-ce que l’Église de Terre Sainte, que vous représenterez désormais à Rome, peut apporter au reste du monde?
Un certain nombre de choses. Nos communautés chrétiennes ont une grande conscience de la présence de Dieu, ce que beaucoup de chrétiens ont perdu en Occident. La Terre Sainte est aussi un laboratoire. Nous sommes une minorité dans un environnement multiculturel. Mais être une minorité n’est pas une tragédie. Ce qui est important, c’est d’avoir quelque chose à dire. Même si on est peu nombreux, on peut contribuer à la société.

L’immigration crée de nouvelles réalités dans le monde: les sociétés ne sont plus mono-culturelles ou mono-religieuses. Comment navigue-t-on dans cette diversité? En Terre Sainte, on a cette expérience. De même, ici le dialogue inter-religieux ou œcuménique ne sont pas que des mots ou des débats intellectuels. Ils font partie de notre vie quotidienne et il y a des choses à transmettre. (cath.ch/cl/rz)

Né dans la province de Bergame en 1965, Mgr Pierbattista Pizzaballa entre chez les franciscains à  l’âge de 19 ans. Il est ordonné prêtre à Bologne en 1990, et rejoint la Custodie de Terre sainte à Jérusalem neuf ans plus tard. Après des études philosophico-théologiques, il obtient une licence en théologie biblique au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem. De 2004 à 2016, il a été Custode de Terre Sainte, puis administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem jusqu’en 2020, date à laquelle le pape François l’a nommé Patriarche de Jérusalem des Latins. CL

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