Benoit Drevet correspondant en Irak de cath.ch
Le cardinal Louis Raphaël Sako et Rayyan Al-Kildani ne se font plus de cadeaux et ne passeront pas Noël ensemble. Leur conflit est désormais sur la place publique irakienne au grand dam des chrétiens d’Irak. Un antagonisme ancien qui remonte à la montée en puissance de la milice «Babylone». La 50e brigade des Hashed Al-Chaabi (Forces de mobilisation populaire, milices chiites irakiennes liées à l’Iran) est devenue toute puissante dans la partie chrétienne de la plaine de Ninive. Après avoir participé à la libérer des griffes de Daesh, elle en a pris le contrôle.
A Qaraqosh, Bartella, Al Qosh ou Tel Keppe, les check points sont aux mains de ces hommes équipés comme des militaires. Ce sont eux qui assurent le contrôle et la sécurité de la région. En tant que membre des Hashed Al Chaabi, ils collaborent avec les autres milices chiites iraniennes qui tiennent les parties environnantes de la plaine de Ninive, jusqu’à Mossoul. Ces milices ne sont pas toutes des plus recommandables. Ce sont elles les portes étendards de l’emprise de l’Iran sur l’Irak.
La route qui mène d’Erbil (Kurdistan irakien) à Mossoul et permet d’accéder aux villages chrétiens est l’image même de cette influence qui s’étend jusqu’au Liban en passant par la Syrie, le fameux croissant chiite. Des routes parsemées de drapeaux et fanions de ces milices, de check points à leurs mains et d’affiches glorifiant Abou Mehdi al Mouhandis, l’ancien chef de ces milices en Irak, et Qassem Soleimani, feu le grand commandant de la force Al Qods des Gardiens de la Révolutions iraniens, alias l’homme qui symbolisait la main de Téhéran sur la région. Ces deux derniers, dont Rayyan Al-Kildani était réputé proche, se sont fait assassiner par une frappe de drone américain à l’aéroport de Bagdad en janvier 2020.
C’est aussi grâce au soutien et au financement de l’Iran que Rayyan Al-Kildani a pu créer le Mouvement Babylone, le parti politique chrétien qui s’est imposé comme le premier d’Irak lors des dernières élections en octobre 2021. Celui-ci a obtenu quatre des cinq sièges du quota réservé à la minorité chrétienne au parlement, faisant de l’ombre à des partis plus proches de l’Eglise. Selon Sako, Al-Kildani tenterait désormais de placer son beau-frère à la direction des Affaires religieuses au gouvernement, poste encore vacant. Un poste où la nomination a toujours été faite en étroite coordination avec les chefs religieux chrétiens.
Mais ce n’est pas tout, Louis Raphaël Ier Sako monte régulièrement au créneau pour dénoncer le Mouvement Babylone et sa milice, les accusant de ne pas représenter les chrétiens mais seulement ses intérêts et ceux de l’Iran, ou encore de spolier des biens de la communauté chrétienne. Des accusations qui n’ont pas pu être vérifiées par l’ONG des Droits de l’homme Hammurabi, pourtant très implantée localement.
Ces derniers mois, la querelle est devenue explosive. Tout a commencé fin avril, le cardinal a été convoqué par la police pour falsification de documents dans la vente de biens immobiliers appartenant à l’Église chaldéenne. Des biens dont le cardinal a hérité de la charge par le Saint-Siège en tant qu’administrateur et responsable. Selon l’Église, l’affaire serait datée de trois ans et les documents utilisés contre son patriarche seraient des faux. Mi-juin, la cour suprême menace d’émettre un mandat d’arrêt si Sako ne se présente pas devant la justice sous 48 heures.
Derrière ces accusations, Rayyan Al-Kildani que Sako accuse également d’accaparer et de vendre à son profit personnel des biens chrétiens. Accusations réfutées par chaque camp et pour lesquels les tribunaux ont tranché concernant Sako. «Je suis allé au tribunal et j’ai gagné!, réagit le patriarche. Je ne l’ai pas fait. Comment aurais-je pu faire ça. Au contraire, j’ai fait réparer plusieurs églises à Bagdad pour sauvegarder l’histoire ancienne des chrétiens.»
Mais le tremblement de terre a eu le 3 juillet lorsque le président de l’Irak, Abdel Latif Rachid, a révoqué le décret 147 signé en 2013 par la présidence irakienne reconnaissant au nom de l’État Louis Raphaël Iᵉʳ Sako comme patriarche des chaldéens. Spontanément plusieurs manifestations de soutien rassemblant quelques centaines de chrétiens ont eu lieu, à Bagdad, Erbil et dans la plaine de Ninive.
Cette révocation est une première depuis plus de 700 ans et la création de ce décret sous le califat Abbasside. Se sentant humilié, le cardinal a décidé d’une autre première depuis la dernière installation du patriarcat chaldéen à Bagdad en 1950: l’exil. Le 21 juillet, il s’est rendu dans la région autonome du Kurdistan irakien, à Erbil, où il a été accueilli à bras ouvert par la famille Barzani qui règne sur la région, ravis d’accueillir une telle figure du christianisme d’Orient. (cath.ch/bdr/bh)
Ne manquez pas la suite de cette enquête qui sera publiée le 25 septembre.
Rédaction
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