250 ans de la cathédrale Saint-Ours à Soleure

Il y a 250 ans, le 26 septembre 1773, l’évêque de Lausanne Mgr Joseph Nicolas de Montenach consacrait la nouvelle église collégiale et paroissiale Saint-Ours de Soleure. Le 30 septembre, jour de la saint Ours, l’église fut solennellement ouverte à la population au son des canons et de la musique. Retour sur une histoire mouvementée.

Urban Fink, Revue Mission Intérieure

Le jubilé «250 Jahre St. Ursen Solothurn» (250 ans de Saint-Ours à Soleure) veut attirer aujourd’hui l’attention sur l’importance et la fonction particulières de l’église Saint-Ours, devenue cathédrale en 1828, date de la réorganisation de l’évêché de Bâle et du transfert du siège épiscopal à Soleure. Un riche programme religieux et culturel marque cette année jubilaire.  

Une première mention dès 870

Un document de 870 mentionne pour la première fois le «couvent de Saint-Ours» à Soleure. On ignore quand ce monastère devint le lieu d’un chapitre de chanoines. Mais à partir du XIIIe siècle, des chanoines célèbrent la prière de chœur et l’office en communauté. Contrairement aux moines, ces clercs vivent sans obligation de pauvreté et jouissent de leur biens propres. Les chanoines ont conservé la responsabilité de l’église collégiale jusqu’en 1874.

Au-delà de cette église paroissiale et de pèlerinage, le chapitre possédait les droits  sur d’autres paroisses des environs. Avec les maisons des chanoines, le chapitre formait une véritable cité cléricale au sein de la ville de Soleure. Le prévôt représentait souvent l’évêque de Lausanne dans la partie soleuroise du diocèse. Le chapitre collégial comptait douze chanoines au Moyen Age et dix depuis le XVIIe siècle, ainsi que quelques chapelains chargés de la pastorale dans les paroisses rurales.

Soleure et sa cathédrale gravure du XIXe siècle | domaine public

Le bâtiment antérieur

L’église collégiale et paroissiale, démolie en 1762, se trouvait, tout comme la chapelle Saint-Pierre voisine, sur un site funéraire situé à l’extérieur de la ville et constamment occupé depuis l’époque romaine. Des ossements provenant de tombes de l’Antiquité tardive ont été récupérés comme des reliques et des légendes de martyrs y ont été attachées. À Soleure, la vénération de saint Ours, membre de la légion thébaine et compagnon de saint Maurice, est attestée dès le Ve siècle, soit très tôt. Un lieu de culte en son honneur pourrait être à l’origine du monastère.

Une basilique romane fut construite au XIe siècle, puis transformée dans le style gothique primitif. En 1360, une tour frontale fut construite sur le côté ouest de la nef. Les chantiers de construction se poursuivirent jusqu’à la Réforme. Un nouveau maître-autel, de nouvelles stalles et un orgue furent encore installés en 1515–1517. La découverte de reliques avec une plaque d’argent indiquant qu’il s’agissait d’ossements de saint Ours donna un nouvel élan à la dévotion envers le saint thébain. En 1473 déjà, des ossements furent découverts et transférés en 1474 dans l’église Saint-Ours lors d’une procession solennelle.

La Réforme à Soleure

La période de la Réforme a été décisive et son issue a été déterminante. Les puissants États de Berne et de Bâle notamment sur le plan économique, passèrent à la Réforme en 1528 et 1529. Tous deux exerçaient déjà auparavant une pression considérable sur Soleure, plus faible, pour qu’elle adopte la nouvelle foi. À partir de 1522, la prédication de certains chapelains de Saint-Ours fut interdite par le Conseil de la cité. En 1528, celui-ci accorda le libre choix de la foi à la campagne, puis peu après à la ville.

Le chevet de la cathédrale de Soleure | DR

Ce n’est qu’après la victoire des catholiques en 1531, lors de la deuxième guerre de Kappel qui vit la mort du réformateur Ulrich Zwingli, que le Conseil de Soleure se détermina clairement pour l’ancienne foi. La prédication réformée fut interdite. Un signe miraculeux près des reliques de saint Ours en 1530 contribua à maintenir la foi catholique. En 1533, les protestants durent quitter le canton. Non seulement le culte des saints aurait été impossible avec la Réforme, mais aussi le service mercenaire à l’étranger, si important pour Soleure. La classe dirigeante soleuroise voulait conserver les deux, sans se brouiller directement avec Berne et Bâle.

L’influence de la ville sur le chapitre

À partir de 1360, le chapitre fut placé sous l’avouerie de la ville, ce qui permettait à celle-ci d’intervenir dans ses affaires. Juste avant la Réforme, l’influence de l’avoué sur la nomination du prévôt, des chanoines et du prêtre auxiliaire était assurée grâce aux privilèges accordés par les papes. C’est à cette influence que Soleure doit en grande partie la survie de l’ancienne foi. Certains chanoines et chapelains étaient en effet favorables à la Réforme.

La nef baroque de la cathédrale St-Ours de Soleure | DR

Le fait que l’évêque de Bâle, en 1529, puis l’évêque de Lausanne en 1536 furent chassé de leur ville et devinrent des réfugiés renforça l’autonomie du conseil soleurois et de la collégiale Saint-Ours. Celle-ci fut encore accrue, à partir du XVIIe siècle, par le fait que le prévôt de la collégiale était également commissaire ou vicaire général de l’évêque de Lausanne. Après 1533, le culte de la Vierge et des saints fut encouragé comme signe caractéristique de l’ancienne foi, afin de se distinguer de la nouvelle.

La fondation de confréries et celle de la Congrégation mariale masculine, les processions et les pèlerinages ont créé une Soleure baroque pleine de piété populaire et de plaisir des sens, où la commémoration des morts, à travers des milliers de messes commémoratives, revêtait une importance particulière. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque la nouvelle église fut construite, les Lumières catholiques firent également leur entrée à Soleure, remettant en question de manière plus forte le culte baroque des saints et les pèlerinages, ce qui se refléta également dans la décoration de la nouvelle église.

La construction de la nouvelle église

En 1646, l’ambassadeur de France résidant à Soleure proposa de construire une nouvelle église Saint-Ours avec l’aide du roi de France. Cette proposition, ainsi que plusieurs autres projets au XVIIIe siècle, n’eut cependant aucune suite. Ce n’est que lorsque le délabrement de de l’édifice devint patent avec en 1750 la chute d’éléments de la voûte de l’église, que l’on envisagea sérieusement une nouvelle construction. L’histoire du projet avec plusieurs architectes fut assez compliqué. Les chanoines, longtemps attachés à leur ancienne église, ne s’en occupèrent que marginalement, tandis que les autorités laïques, responsables de la nef et de la tour, encouragèrent la construction d’un nouveau bâtiment. L’effondrement du clocher pendant les travaux de démolition, le 25 mars 1762, ouvrit la voie à un projet de reconstruction complète ne tenant aucunement compte de l’ancienne église.

Mgr Felix Gmür a présidé la messe de l’assemblée générale des gardes suisses dans la cathédrale de Soleure | © Vera Rütimann

Le projet fut conçu par l’architecte tessinois Gaetano Matteo Pisoni. Il plaça l’église, avec sa façade à colonnes, dans l’axe de la rue principale avec un escalier extérieur et fit ériger la tour au nord du chœur. La nouvelle église, très bien placée du point de vue urbanistique, illustre la représentation du conseil soleurois et de la bourgeoisie en faveur de la foi catholique. La légende des martyrs de la légion thébaine et le culte des saints marquent l’extérieur de l’église. A l’intérieur, leur culte s’est limité au chœur et les autels latéraux sont imprégnés de christologie. Ce n’est que vers 1920 que la nef a été dotée de statues de saints. La nouvelle église fut donc consacrée en 1773.

Un «Kirchenkampf» au XIXe siècle

Avec la Révolution française le diocèse de Bâle fut supprimé. Une partie de son territoire fut rattaché à Strasbourg. Tandis que les territoires qui deviendront suisses (Jura) furent restitués à l’évêque en 1814. La reconstitution du diocèse de Bâle en 1828, par un concordat entre le Saint-Siège et les cantons suisses, permit à l’évêque de s’établir à Soleure dont l’église devint alors cathédrale.

Mais l’histoire du XIXe resta fortement mouvementé. Dès 1830, le canton de Soleure, marqué par le libéralisme, entre régulièrement en conflit avec l’évêque et le chapitre.  

Les évêques, généralement affaiblis, le clergé et l’opposition ultramontaine ne surent pas se défendre ou furent brutalement mis au pas. Après 1870, le «Kulturkampf», fut particulièrement violent dans le canton de Soleure. L’évêque de Bâle, le Jurassien Eugène Lachat qui défendait la primauté du pape et le dogme de l’infaillibilité fut chassé de Soleure en 1873,et en 1874, le chapitre de chanoines fut supprimé. Une commune ecclésiastique catholique-chrétienne se forma à Soleure, à l’instigation des opposants au Concile Vatican I.

La ville de Soleure est le siège de l’évêché de Bâle | © wikimedia commons ch-info.ch CC BY-SA 3.0

Les litiges entre le canton, la ville de Soleure et les corporations ecclésiastiques catholique romaine et catholique chrétienne au sujet de la cathédrale Saint-Ours et des biens liés déclenchèrent des négociations pratiquement interminables et de nombreuses procédures juridiques. En 1876, l’assemblée communale décida que l’église resterait affectée au culte catholique romain. En 1894, la paroisse catholique romaine put racheter le trésor de l’église et depuis 1916, elle est contractuellement propriétaire de l’église Saint-Ours. La dernière procédure s’est terminée en 1929.

Le chapitre cathédral a été reconstitué. Il compte aujourd’hui dix-huit prêtres représentant les cantons du diocèse et a conservé le droit d’élire l’évêque.

La cathédrale St-Ours restaurée à plusieurs reprises jusqu’à aujourd’hui, y compris après l’incendie criminel de 2011, vaut la peine d’être visitée.  (cath.ch/mi/mp)

250 ans de Saint-Ours – programme
La paroisse de Saint-Ours et la commune ecclésiastique de Soleure célèbrent le 250e anniversaire de ce monument emblématique à travers de nombreuses manifestations. Le programme se déploie autour des thèmes de la foi, de l’architecture et de la musique. Une série de prédications, de visites guidées, de concerts et de conférences ainsi qu’une exposition spéciale du musée historique Blumenstein de Soleure offrent des aperçus du sanctuaire soleurois. La célébration de la Saint-Ours le 30 septembre 2023 sera un autre moment fort.
Plus d’informations: https ://250stursenso.ch

Maurice Page

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