Luc Balbont, pour cath.ch
Le pape va vivre deux journées chargées de rendez-vous officiels, entrecoupés de temps de prières, de recueillements, comme cet hommage rendu aux migrants clandestins morts en mer, auquel s’ajoutera la clôture des rencontres Méditerranéennes. Marseille deviendra alors l’une des étapes, de ce qu’on pourrait appeler le «synode méditerranéen», après les villes italiennes de Bari en 2020, et Florence en 2022. Un évènement fort où des évêques du pourtour du Bassin répondront aux interrogations de jeunes, natifs des deux rives.
Prévu également lors de ce déplacement du pape, un échange avec des personnes en grande précarité, et pour finir une messe gigantesque au stade Vélodrome, temple du football marseillais de 67’000 places, déjà toutes réservées.
Si durant deux jours à peine, le Saint-Père s’étendra longuement sur le drame de l’émigration clandestine, une des grandes préoccupations de son pontificat (1), on peut aborder le passage de François à Marseille par un autre angle: celui de la présence des Eglises orientales dans la cité phocéenne.
En juin 2013, le futur cardinal Jean-Marc Aveline, directeur à l’époque de l’Institut catholique de la Méditerranée résumait au magazine Pèlerin en quelques mots (2) la vocation de la cité phocéenne, qui, disait-il, s’incarnait dès le Ve siècle dans la personne du moine Jean Cassien: un fils de la Méditerranée, formé en Palestine et en Egypte, fondateur il y a plus de 1600 ans de l’abbaye Saint Victor, près du Vieux-Port de la ville.Pour le cardinal,«depuis Jean Cassien, l’Eglise de Marseille sait qu’elle a reçu la mission d’être le lien entre les chrétiens d’Orient et les chrétiens d’Occident.» Une vocation œcuménique que la cité n’a cessé d’assumer.
Et de fait !… En 1801, de retour en France après la désastreuse campagne égyptienne de l’armée napoléonienne, l’empereur revient avec quelques centaines de grecs-catholiques. Des chrétiens arabes qui avaient collaboré, souvent comme traducteurs, durant les trois années d’occupation, entre 1798 et 1801, avec les troupes françaises et qui craignant d’être victimes de représailles s’installèrent à Marseille.
En 1819, ces melkites achetèrent un terrain pour y construire une église, située rue Edmond Rostand dans le VIe arrondissement, à 200 mètres du couvent des dominicains. Consacrée en 1822, Saint-Nicolas-de-Myre devenait la première église orientale de France. Une façade plutôt discrète mais un chœur richement décoré, une atmosphère toute orientale. Aujourd’hui un peu plus de 300 familles melkites vivent encore à Marseille ou dans la région. Et si toutes ne fréquentent pas la paroisse, un grand nombre de chrétiens palestiniens, jordaniens, syriens, égyptiens viennent écouter les homélies en langue arabe.
A cette première migration chrétienne s’en ajoute d’autres, par vagues successives, fuyant le plus souvent la pauvreté et les persécutions. En 1840, puis en 1860, c’est au tour des maronites, victimes des massacres perpétrés par les musulmans druzes de quitter en masse le Liban, et de s’embarquer pour Marseille.
Enfin en 1915, 1,5 million d’Arméniens de Turquie, mais aussi des syriaques, des grecs orthodoxes des Assyro-Chaldéens menacés par les Ottomans, font de Marseille l’étape ultime pour échapper au massacre.
Plus récemment le conflit irakien en 2003, et les révolutions arabes de 2011 en Egypte et en Syrie provoquent de nouveaux exodes. Les réfugiés chrétiens se réunissent dans ces lieux pour prier dans leurs rites. Lorsque les communautés chrétiennes en font la demande, le diocèse cherche à leur attribuer une église, en accord avec la municipalité qui est propriétaire des bâtiments. Il s’agit pour ces communautés de pouvoir se rassembler, échanger des nouvelles de leurs pays, et ainsi de consolider leur identité.
Pour les premiers arrivés, que ce soit les Melkites de Saint-Nicolas-de-Myre, les maronites à l’entrée du parc Borély, ou les Arméniens dans leur cathédrale du Prado, pas de problème, ils retrouvent à Marseille un environnement semblable à celui de leurs pays d’origine: mer, montagne, climat, végétation. Mais, pour les nouveaux venus, au-delà de ces ressemblances, l’exil est plus difficile, souvent fait de souffrance, notamment pour les plus âgés.
L’apprentissage de la langue est ardu. Le déclassement social pour ces familles qui, aujourd’hui, vivent de la charité d’ONG ou de petits boulots d’appoint, alors que leurs compétences et leur professionnalisme étaient reconnus dans leur pays d’origine, est également difficilement supportable.
Mais le plus difficile est peut-être le rapport avec les adolescents de leur entourage, qui s’intégrant rapidement à la vie, à la langue et aux habitudes de vie d’un pays laïc et souvent déchristianisé comme la France, donnent l’impression aux parents de s’éloigner du clan familial. Il faut souvent deux ou trois générations pour réussir une intégration. Les Irakiens fuyant la guerre en 2003 les Ukrainiens pour la même raison à partir de 2022, et les chrétiens subsahariens réfugiés à Marseille, repartent pour une nouvelle vie, qui demande beaucoup de sacrifices de longue haleine.
Pour le pape, Marseille n’est pas seulement la ville du dialogue interreligieux entre les trois grandes religions abrahamiques, elle est aussi la cité de la réunification, qui rappelle aux églises occidentales que l’Orient fut le début de leur histoire, que les premiers chrétiens ne parlaient pas le latin, et que le Christ a vu le jour sur une terre méditerranéenne et ce, bien avant la naissance du Vatican. Le christianisme a besoin de ses deux poumons oriental et occidental pour s’exprimer pleinement.
Si la foi unit les chrétiens du monde entier, elle s’exprime autrement. Dans des liturgies, des chants, des attitudes et selon des histoires bien différentes. Pourtant, au bout du compte, c’est la même espérance qui forme l’Eglise universelle.
Pour certains chrétiens de nos pays, s’il est parfois déroutant d’être plongés dans un autre univers, la présence des Eglises orientales à Marseille est une richesse. Une richesse dont le christianisme occidental doit se nourrir pour retrouver sa force et son dynamisme. De ce point de vue, Marseille la Méditerranéenne colle totalement avec les directives de l’étape continentale du Synode sur la synodalité (3) qui vient de se dérouler, en mars dernier. (cath.ch/lbo/bh)
(1) Depuis 2014, 28’000 migrants sont morts en Méditerranée, dont plus de 2’000 durant le premier semestre 2023. Le 7 août 2023, sur Euronews le pape qualifiait «la Méditerranée de cimetière géant».
(2) Édition du 6 juin 2013, interview de Catherine Lalane et de Luc Balbont
(3) Interview de Nathalie Becquart, nommée par le pape François, N°2 du secrétariat général du Synode des évêques en 2021.
Trois questions au Père Xavier Manzano, coordinateur des rencontres méditerranéennes
Le pape François a déclaré «qu’il ne se rendait pas en France, mais à Marseille». Qu’est-ce signifie cette visite spécifique pour votre diocèse et votre ville?
Pour le pape, Marseille est un message, comme l’avait déclaré Jean Paul II à propos du Liban. C’est la ville de l’œcuménisme puisque non seulement toutes les religions s’y côtoient mais également toutes les communautés et les spiritualités chrétiennes, présentes depuis plus de 200 ans. Marseille reste sans doute l’une des dernières villes de la Méditerranée qui bénéficie de cette position.
Le rappel aussi que la Méditerranée est le lieu de naissance du christianisme…
En effet! Avec ce voyage spécifique, le Pape regarde l’Eglise universelle à travers la fenêtre méditerranéenne, et non pas seulement à travers celle de l’Atlantique. C’est le rappel salutaire que notre histoire est née sur les rives de la Méditerranée, bien avant Rome.
Que vous apporte la présence des Eglises orientales dans votre ville?
La fierté d’être un pont entre les deux poumons du christianisme, celui des origines avec l’église d’orient et celui de son prolongement occidental par la suite. Une situation unique, à la fois porteuse d’espérance mais aussi de souffrances et de résistances endurées par les chrétiens au cours de leurs 2000 ans d’histoire. LBA
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/marseille-un-refuge-mediterraneen-pour-les-chretiens-dorient/