L’étude indique que les Suisses et les Suissesses ont en moyenne 4 amis proches, chiffre comparable à celui des Etats-Unis et de l’Allemagne. Ce chiffre est faible mais il s’explique par les exigences que mettent nos concitoyen(ne)s à l’amitié. Celle-ci doit être réciproque (il ne faut pas être «en dette») et durable. Les personnes aiment s’engager sur une longue durée. Le résultat est qu’on se lance peu dans de nouvelles amitiés. Les cercles d’amis sont assez fermés. Il est difficile d’y pénétrer.
Ce point est relevé par les étrangers qui s’installent en Suisse. Il leur faut plusieurs années pour nouer des amitiés véritables. Ce point est contrebalancé par la fidélité et la qualité du partage. On reste amis longtemps et on sort ensemble. On discute des choses qui nous sont personnelles et de nos sentiments.
Enfin l’amitié nous incite à nous engager dans la société. Les personnes ont souvent rencontré leurs amis dans des associations. Le tissage serré de sociétés dans une commune et un canton est une source de biens d’amitiés.
«La vie n’est pas que calcul. Elle implique des élans vers la nature et les autres»
Ces points positifs ne doivent pas masquer les zones d’ombre: la fermeture des cercles d’amis citée plus haut mais aussi l’accent excessif mis sur les notions de devoir et de loyauté. Cette loyauté attendue fait que l’on redoute le conflit ou une discussion trop difficile. Or «le fer s’aiguise par le fer» dit le Proverbe 27.17. L’homme s’affine face à son prochain. La confrontation fait progresser sur les chemins de la vie. Il vaut mieux se confronter plutôt que de détourner le regard ou de couper son téléphone. Cette nécessité de la discussion parfois difficile est vraie au sein des familles mais aussi entre ami(e)s. Nos concitoyens préfèrent souvent l’écarter.
La deuxième zone d’ombre concerne la réciprocité. On le constate pour les invitations qui concernent toujours les mêmes personnes. Si on invite, on s’attend à être invité. On est ici dans la logique du don et du contre-don. Cette logique est très présente dans les sociétés humaines. Il est possible d’affirmer qu’elle est un vecteur de la vie sociale à la différence de l’échange qui s’impose dans la vie économique. Le problème est qu’elle exclut la notion de gratuité. Si on fait un cadeau et qu’on attend un cadeau en retour, on écarte la gratuité. La notion de réciprocité, vécue comme une contrainte sociale, empêche une certaine chaleur des relations, une certaine spontanéité et donc une certaine vérité.
La vie en effet n’est pas que calcul. Elle implique des élans vers la nature et les autres. Elle implique des passions. La réciprocité interdit cela. Elle pose un grave problème dans notre relation avec Dieu car elle gêne l’amour. Dieu s’invite constamment dans nos vies. Il est toujours le premier à venir vers nous, à questionner, à offrir mais aussi à demander. Il agit donc en complète contradiction avec l’ami, tel que l’imagine les personnes citées dans l’étude. C’est une des raisons de la crise de la foi que connait notre pays. Dieu nous demande d’ouvrir notre cœur pour l’accueillir sans conditions, sans calcul. Dans l’étude citée ici, il manque le mot générosité. «A semer trop peu, on récolte trop peu. A semer largement, on récolte largement (2 Corinthiens, chapitre 9)».
Jean-Jacques Friboulet
13 septembre 2023
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