Max Savi Carmel à Rome, pour cath.ch
En huit ans de règne, Benoît XVI aura élevé huit évêques africains au cardinalat, contre 17 pour François en 10 ans faisant ainsi autant que Jean Paul II en un quart de siècle. Les temps changent et bien que très minoritaire, le continent avance à petits pas. Avec 18 papabili aujourd’hui, l’Afrique, qui ne pouvait plus compter que sur les plus en vue, notamment Fridolin Ambongo, 63 ans, Dieudonné Nzapalainga, 56 ans ou encore Peter Ebere Okpaleke, 60 ans, se donne un coup de jeune.
Ces trois nouveaux cardinaux venus d’Afrique du Sud, de la Tanzanie et du Soudan du Sud ont entre 59 et 66 ans et auront leur mot à dire lors des prochains conclaves. S’ils confortent l’espoir de tout un continent qui attend son pape, ils incarnent avant tout, chacun à sa manière, le style du pontife. Un style qui se décline dans les coulisses du Vatican en ce triptyque devenu célèbre, stratégique-périphérique-franciscaniste. Portrait de trois prélats si différents les uns des autres et en même temps si proches du pape François.
Originaire de la première puissance économique africaine, à 66 ans, Mgr Stephen Brislin est un prélat «profondément charismatique et extrêmement politique», murmure-t-on à Rome où il s’est fait remarquer en 2014. Influent président de la Conférence épiscopale commune du Botswana-Swaziland-Afrique du Sud, François, élu depuis une année seulement, en fait un Père synodal pour la troisième assemblée générale extraordinaire du Synode des évêques sur la famille. Le pape est sensible à la propension sociale de celui qui est depuis 2009 archevêque du Cap et dont la vie a été, à l’instar de celle d’un certain cardinal Bergoglio de Buenos-Aires, mise au service des plus pauvres.
Ayant fait ses études de philosophie au Séminaire Saint-Jean-Marie Vianney de Pretoria, ville symbole de la révolte anti-apartheid, Mgr Brislin s’est vite illustré par sa proximité avec les revendications de la majorité noire d’Afrique du Sud. Une cause qu’il continuera à défendre pendant ses années de théologie en Grande-Bretagne et en Belgique au début des années 1980. Alors que le débat politique et social est devenu trop clivant dans ce pays enclin à la violence, l’élévation d’un homme de consensus au cardinalat solidifie l’influence d’une Église catholique qui ne compte que pour 7% des 62 millions d’habitants.
Avec François, l’Église révèle de plus en plus de prélats émergés des périphéries lointaines. Comme Mgr Ameyu Martin Mulla. Avant de rejoindre la capitale sud-soudanaise, il était à la tête du «périphérique» diocèse de Torit (centre). Au Vatican, on le compare à François en évoquant leur «résistance en milieux hostiles», la Curie pour le pape et Djouba pour Mgr Mulla, qui a fait l’objet d’une enquête pontificale à la suite de dénonciations calomnieuses avant son installation à la tête de l’archidiocèse. La Congrégation pour l’évangélisation des peuples a dû dépêcher Mgr Visvaldas Kulbokas pour «superviser les préparatifs de son installation», d’autant qu’une partie du clergé réfutait sa nomination.
Avant la visite du pape François en février 2023 dans son pays, les deux hommes entretenaient de très bonnes relations. Alors que la crise politique au Soudan du Sud est l’une de ses priorités, le pape a fait de Mgr Mulla, depuis 2020, son interlocuteur privilégié. En le faisant cardinal, François veut l’imposer comme un médiateur incontournable dans une crise dont il a reçu deux fois les protagonistes au Vatican. A 59 ans, ce nouveau cardinal, aussi bien respecté des protestants que des catholiques du Soudan du Sud, a toutes les chances de participer à plus d’un conclave.
S’il n’est ni une option stratégique ni même un choix périphérique, Mgr Protase Rugambwa est de la catégorie de prélats prisés par François. Humble et discret, détaché du pouvoir et menant une vie modeste, cet ancien secrétaire du puissant Dicastère pour l’évangélisation des peuples, au sein duquel il aura gravi de 2012 à 2023 tous les échelons, n’a jamais fait parler de lui à la Curie. Alors qu’on l’attendait à la tête d’une importante congrégation, il a accepté en mars dernier le poste d’archevêque coadjuteur de Tabora, au nord-ouest de la Tanzanie. Une docilité et un sens de l’obéissance qui ne peuvent laisser indifférent le pape.
A 63 ans, celui dont l’oncle, Laurean Rugambwa, a été le premier cardinal africain, a de l’avenir dans une Église dont il connaît bien le fonctionnement central. Les vaticanistes qui le connaissent lui prédisent «des rôles futurs importants». Mais loin de Rome, Mgr Rugambwa insiste sur ce qui est sa priorité: «être un bon évêque pour la Tanzanie». Son arrivée au Sacré Collège requinque l’espoir d’une Afrique qui attend son pape.
Il est évident qu’avec seulement 18 papabili dont six auront atteint, d’ici deux ans, l’âge limite de 80 ans pour prendre part à un conclave, l’Afrique est encore loin du compte. Au mieux, elle sera une faiseuse de pape mais elle peut compter sur ses dix plus jeunes cardinaux qui ont une moyenne d’âge de 65 ans. Atteignant son âge d’or du catholicisme avec une floraison de vocations sacerdotales, comptant à elle seule près de la moitié des nouveaux catholiques du monde chaque année et fournissant de plus en plus de prélats à la Curie romaine et à la diplomatie du Saint-Siège, l’Afrique est l’avenir de l’Église. Et l’idée d’un pape africain, longtemps utopique, est bien plus réaliste aujourd’hui. La nomination de cardinaux de plus en plus jeunes, dont le Centrafricain Dieudonné Nzapalainga ayant accédé au cardinalat en 2016 avant ses 50 ans, en est la parfaite illustration.
Mais sauf à compter sur l’improbable soutien de cardinaux italiens, le plus important contingent, ou sur un coup de pouce des prélats latino-américains ou asiatiques, l’Afrique doit patienter. Son heure sonnera sans doute, mais pas au prochain conclave. (cath.ch/msc/bh)
Max Savi Carmel
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