Par Cyprien Viet, I.MEDIA
Pourchassés par les nazis pour avoir hébergé des juifs, Jozef et Wiktoria Ulma et leurs sept enfants – y compris un bébé qui a perdu la vie au moment de sa naissance – furent exécutés le 24 mars 1944 avec les huit membres de la famille juive qu’ils hébergeaient depuis un an et demi, les Goldmann.
Manuela Tulli, vaticaniste de l’agence italienne ANSA, a coécrit avec le prêtre polonais Pawel Rytel-Andrianik, responsable de la section polonaise de Radio Vatican, un livre intitulé Ils tuèrent aussi les enfants – Les Ulma, la famille martyre qui aida les juifs (Uccisero anche i bambini – Gli Ulma, la famiglia martire che aiuto gli ebrei), aux éditions Ares. Elle revient sur le sens de cette béatification atypique.
Comment avez-vous découvert la famille Ulma et son destin tragique?
Manuella Tulli: Nous, les journalistes, sommes souvent à la recherche d’histoires à raconter. Mais cette histoire, je ne l’ai pas cherchée, je dis souvent que c’est plutôt la famille Ulma qui m’a cherchée. Je me suis rendue en Pologne en décembre 2022, dans leur diocèse, dans le cadre d’un voyage organisé pour visiter les structures d’accueil destinées aux réfugiés ukrainiens. Le prêtre qui nous servait d’interprète en italien se trouve être le postulateur de cette cause. Avant que nous partions vers Kiev, il nous a offert un livre de photographies de Jozef Ulma, en nous disant que l’histoire de cette famille méritait d’être racontée par les journalistes.
«Ces catholiques et ces juifs avaient vécu ensemble, ils ont souffert ensemble mais ils avaient aussi vécu des moments de joie»
Je n’en n’avais alors jamais entendu parler et j’ai simplement mis le livre dans la valise, en partant en Ukraine avec d’autres collègues. Mais peu après mon retour, le 17 décembre 2022, le pape François a autorisé la publication du décret ouvrant la voie à la béatification de cette famille. J’ai donc rouvert ce livre, richement documenté avec les photographies que prenait le père, qui était agriculteur mais aussi le photographe du village, et j’ai cherché à en savoir plus.
J’ai été touchée par ces coïncidences entre ces différentes situations: la guerre en Ukraine et la Seconde guerre mondiale, l’accueil assuré par les Polonais vis-à-vis des réfugiés ukrainiens aujourd’hui et l’accueil alors assuré par cette famille pour ce groupe de juifs… J’ai donc décidé d’approfondir ce sujet pour faire connaître cette histoire en Italie.
Ce martyre commun entre des juifs et des chrétiens apporte donc un témoignage très actuel, sur le sens d’une vie donnée pour les autres?
Absolument, et c’est pourquoi ce livre a été soutenu par le Centre de dialogue entre chrétiens et juifs de l’Université de Lublin, où Karol Wojtyla, le futur Jean Paul II, fut professeur. Ces catholiques et ces juifs avaient vécu ensemble, ils ont souffert ensemble mais ils avaient aussi vécu des moments de joie.
«Les deux époux savaient qu’ils risquaient la peine de mort en cachant des juifs, mais ils n’ont pas renoncé pour autant»
Ceux qui les avaient connus directement en ont témoigné, notamment une amie de la famille Ulma décédée cette année, à 102 ans. Nous savons que les enfants des deux familles jouaient ensemble. Et bien avant leur béatification, les Ulma ont été reconnus comme «Justes parmi les nations» par le Centre de Yad Vashem, en Israël. C’est donc une famille qui unit, dans un monde qui divise.
Il ressort également de votre récit que cette famille était moderne et cultivée, un fait notable dans la Pologne rurale de l’époque…
En effet, les deux parents avaient fait des études, ils avaient de nombreux livres, connaissaient des langues étrangères. Wiktoria comprenait l’allemand, elle a donc compris tout ce que les nazis se disaient entre eux avant l’exécution. Les deux époux savaient qu’ils risquaient la peine de mort en cachant des juifs, mais ils n’ont pas renoncé pour autant. C’était un choix inspiré par l’Évangile, qu’ils ont mis en pratique. Dans la Bible qui a été retrouvée dans leur maison, leurs proches ont remarqué qu’ils avaient souligné, avec un crayon, la parabole du Bon Samaritain. Ils vivaient leur foi de manière authentique.
Une réputation de sainteté a continué à entourer cette famille dans les années suivant le massacre?
Oui, il y avait une forme de sainteté populaire autour d’eux, mais l’Église n’a pas eu le temps d’étudier réellement ce dossier durant la période du communisme, car il y avait d’autres urgences. C’est seulement depuis une vingtaine d’années que leur cause a pu être formellement étudiée. Mais avec le souvenir des proches, la dévotion populaire a permis de faire «tenir ce fil» jusqu’à aujourd’hui.
«Cette histoire peut aussi donner une grande espérance pour des familles ayant perdu un enfant»
L’une des choses qui m’émeut le plus, au-delà de cet horrible massacre, c’est la beauté de cette famille qui avait ouvert la porte de sa maison. On voit sur les photos que ce sont des gens très simples, pieds nus, qui manifestent bien cette «sainteté de la porte d’à côté» dont parle souvent le pape François. Ils ont donné leur vie de façon héroïque, mais dans la vie ordinaire. Le père, Jozef Ulma, avait simplement voulu aider des amis, il connaissait personnellement cette famille juive. Alors, ils se sont organisés simplement pour préparer les repas, faire la lessive ensemble… C’était un foyer joyeux.
Le fait que les sept enfants, parmi lesquels un bébé mort-né, soient aussi béatifiés, constitue également un message pour les familles d’aujourd’hui, pour rappeler la valeur de toute vie?
C’est en effet la première fois qu’une famille entière est béatifiée, d’un seul bloc. Le septième enfant constitue un cas particulier car sa tête, sortie du ventre de la maman, a été identifiée lors de l’exhumation du corps. Il n’a pas de nom mais il est considéré par l’Église lui aussi comme un martyr, au titre du «baptême du sang».
Le fait que ce massacre ait eu lieu le 24 mars, à la veille de la Fête de l’Annonciation, est également un signe retenu par la Positio (le rapport du dicastère pour les Causes des saints ayant permis d’établir le martyre de la famille Ulma, NDLR). Aujourd’hui, le 25 mars est aussi en Pologne la journée dédiée à «la vie naissante». Cette histoire de la famille Ulma peut aussi donner une grande espérance pour des familles ayant perdu un enfant. Cela rappelle la valeur de la vie des plus petits, des personnes ayant eu les vies les plus courtes, dont l’Église peut ainsi reconnaître la sainteté. (cath.ch/imedia/cv/rz)
I.MEDIA
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