Les 50 ans de partage, de réflexion et d’innovation des CDB genevoises

En 1973, des Genevois décident de constituer la première communauté chrétienne de base (CDB) de Suisse, pour expérimenter une manière moins hiérarchique de vivre et de célébrer en Église. C’est dans la joie du chemin parcouru et une réflexion actualisée que les cinq CDB romandes encore en activité fêtent leurs 50 ans, le 22 septembre 2023.

Les communautés chrétiennes de base (CDB) naissent en Amérique latine dans les années 1960. Souvent associés à la théologie de la libération, ces groupes privés de prêtres, ou jouissant épisodiquement de leur présence, s’organisent pour assurer une lecture communautaire de l’Évangile et des engagements sociaux. Avec cette idée forte: l’Église, c’est le peuple de Dieu d’abord, et non les ecclésiastiques; l’impulsion doit donc venir de la base.

En 1968, la Conférence de Medellin (Colombie) de l’épiscopat latino-américain popularise les CDB, qui gagnent l’Europe. En Suisse, Genève décroche la palme d’or, avec six CDB à son actif au cours du temps. Celles de Chêne, Meyrin, Écogia et Pont d’Arve sont toujours en activité, auxquelles s’ajoutent, côté romand, la CDB œcuménique de Nyon et plusieurs autres côté alémanique.

Au cœur de l’aventure, la célébration et l’amitié

L’histoire des communautés de base suisses démarre en 1973 à Chêne, sur la rive gauche genevoise. Une vingtaine de couples et leurs enfants se lancent dans l’aventure sous l’impulsion de l’abbé Edmond Gschwend. Ils cherchent à expérimenter une nouvelle manière de vivre en Église, d’approfondir leur foi et de la transmettre à leurs enfants. Une fois par mois, laïcs et ministre préparent ensemble une célébration, où la réflexion et le partage autour de la Parole, mais aussi la prière et l’eucharistie, constituent les points forts.

L’abbé Edmond Gschwend et le pasteur Henri Nerfin, au cours d’un repas, en 2016 | © Jacqueline Hüppi

Ces temps sont suivis d’un repas fraternel, car l’objectif pour les membres est aussi de développer entre eux des liens d’amitié et de solidarité qui se révèleront précieux lors d’épreuves, de crises, de deuil…. De construire une communauté au sens fort du terme. «Edmond avait créé dans cet état d’esprit les unités de base, des plus petits groupes agissant à l’intérieur de la communauté (ndr: des UDB sont toujours en activité). Ceux qui en faisaient partie s’engageaient à un partage de foi et de vie plus personnel et à soutenir les autres, même financièrement», relate la pasteure Anne-Lise Nerfin, membre de la CDB de Chêne depuis 45 ans.

Un engagement plus large

Le succès est au rendez-vous. Le souffle de Vatican II ravive l’implication des catholiques. Trois ans plus tard, la CDB de Chêne compte une centaine de membres et le groupe se scinde en deux pour un meilleur fonctionnement. Ainsi naît la CDB de Meyrin. En 1980, des membres de l’Atelier œcuménique de théologie lance la CDB d’Écogia, forte de 35 personnes. Sont créées ensuite celle du Pont d’Arve en 1985, autour de personnes de la Commission Tiers-Monde de l’Église catholique, et la CDB œcuménique de Nyon en 1995.

Pas question pour autant pour ces communautés genevoises de s’enfermer dans un entre-soi confortable mais infertile. Bien au contraire! Elles s’inscrivent dans le mouvement d’aggiornamento. Aussi n’hésitent-elles pas à interroger l’Église, voire à l’interpeller, au gré de leurs recherches et réflexions.

«L’enthousiasme était fort. Nous pensions que nous verrions de notre vivant une Église unifiée»

Inspirées aussi de la théologie de la libération, elles gardent à l’esprit «le souci d’une articulation vitale entre pratique sociale et pratique chrétienne», explique Anne-Lise Nerfin.

En outre, l’esprit œcuménique les habite rapidement, certains couples des CDB étant de confessions mixtes. «L’enthousiasme était fort. Nous pensions que nous verrions de notre vivant une Église unifiée», indiquent les CDB de Genève dans le communiqué pour leurs 50 ans. D’où l’accueil à Chêne, en 1978, du couple de pasteurs Anne-Lise et Henri Nerfin.

Dans l’Église et dans le monde

Que ce soit à titre collectif ou au fil d’engagements individuels sur le plan pastoral et de la diaconie, tout ce petit monde a beaucoup fait pour préserver une foi vivante et œcuménique dans le canton. «Parmi les membres des CDB genevoises, il y a toujours eu des gens très engagés dans leur paroisse mais en recherche d’un autre point de vue, et d’autres qui n’avaient plus aucun lien avec leur Église et qui en ont retrouvé un au sein d’une CDB devenue leur lieu d’Église», précise la pasteure.

«Nous sommes à la fois une communauté et une association»

Leurs actions au fil du temps sont révélatrices de ces assises théologiques. Citons leur participation aux diverses démarches synodales (Synode 72, AD 2000 et synode actuel) et aux grands rassemblements œcuméniques, comme Chrétiens pour l’an 2000 ou le 450e anniversaire de la Réforme. En tant que communauté œcuménique, la CDB de Chêne prépare et anime en outre des célébrations aux Hôpitaux universitaires de Genève, conjointement avec l’aumônerie. Elle est aussi membre de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) et certains de ses membres ont organisé plusieurs années de suite des moments de partage autour d’un repas avec des requérants d’asile mineurs non accompagnés.

«Nous sommes à la fois une communauté et une association», témoigne Anne-Lise Nerfin. «Nous sommes des compagnons qui avons décidé librement de former un groupe pour vivre ensemble des temps de partage. Et une association, un relais entre des individus et une structure plus grande, plus anonyme. Dans notre cas, des institutions ecclésiastiques.»

Un œcuménisme du terrain

«Avec mon mari, Henri, nous avons été séduits par l’idée de faire partie d’une paroisse d’élection», raconte la pasteure genevoise. «La CDB de Chêne proposait presque toutes les activités d’une paroisse, mais on y retrouvait des gens avec qui nous avions beaucoup de points communs en termes d’âge, de préoccupations, d’idées sur ce que pouvaient être le mariage, la famille, la vie paroissiale»… et l’unité des chrétiens.

La pasteure genevoise Anne-Lise Nerfin | © Lucienne Bittar

Les Nerfin font bientôt part de leur souhait de présider le partage du Pain et de la Parole. Commence alors pour cette CDB une longue réflexion sur le sens de leurs célébrations, sur leur foi commune, autour notamment du document du Groupe des Dombes Baptême, eucharistie, ministère. Henri Nerfin célèbre pour la première fois la Sainte-Cène en 1981 à la CDB de Chêne. Quelques temps après, l’alternance «une messe, un culte» est adoptée, avec hospitalité eucharistique.

Engagée au sein de l’aumônerie œcuménique pour les personnes handicapées, Anne-Lise Nerfin, pour sa part, organise avec le jésuite Raymond Bréchet des fêtes de confirmation œcuméniques, auxquelles se joint la CDB de Chêne. «C’était un espoir pour nous de pouvoir fêter ensemble, catholiques et réformés, la confirmation de nos jeunes.»

Le problème de la relève

Aujourd’hui, la question de la relève se pose à tous les niveaux: ceux des membres et des ministres, catholiques ou protestants. Au début, toute la famille venait aux partages. Mais les enfants sont devenus des adultes et peu d’entre eux s’intéressent aux CDB. Il y a bien eu le lancement en 1989 de la CDbéatitude, qui rassemblait des jeunes parents qui, enfants, avaient suivi la catéchèse dans la CDB de Chêne. Mais elle n’a pas survécu «au déchirement du tissu religieux de notre époque», indique le communiqué des CDB, et elle a cessé d’exister en tant que communauté en 2010.

Réflexion autour des célébrations

Certaines CDB de Genève n’ont plus de prêtres rattachés à leur projet. Cette évolution amène les participants à se poser des questions fondamentales quant aux formes que doivent ou peuvent prendre leurs célébrations, fer de lance de leur existence.

À Meyrin, depuis la disparition du Père André Fol en 1998, la CDB n’a plus de célébrant. Ses membres ont finalement choisi, après une longue réflexion, de ne pas faire appel à des ministres de l’extérieur et à célébrer entre eux. À Ecogia, le Père Neree Zabsonre, un prêtre africain et journaliste de la Vieille-Eglise catholique (Union de Scranton), qui prépare un doctorat sur les Eglises africaines issues de l’immigration à Genève, a remplacé le Père Joseph Hug. À Chêne, où il n’y a plus de prêtre catholique attitré, la communauté privilégie les célébrations autour de la Parole, parfois avec partage du pain et du vin, et la pasteure Nerfin y assure des cultes.

Célébration du 40e anniversaire des CDB genevoises au Collège Saint-Louis, 2013 | © CDB/B. Bachten

Pourquoi ne pas inviter des prêtres de l’extérieur à célébrer parfois? «Nous l’avons fait à Chêne, mais ce n’est pas facile d’en trouver de disponibles. Et quand ils le sont, ils n’arrivent pas forcément à s’adapter à nos cadres très participatifs et créatifs», explique Anne-Lise Nerfin.

«Les paroles de consécration sont des paroles bibliques (Matthieu 26). Qui empêche n’importe quel catholique de lire ce passage?»

À tour de rôle, l’organisation de la célébration est confiée à un groupe, qui choisit les textes bibliques et un sujet de réflexion et les envoie en amont au reste des membres. «Les textes sont discutés pendant la célébration au sein de petits groupes, pour que chacun ait l’occasion de s’exprimer et de dire comment ils résonnent dans leur vie», précise la pasteure. «Notre certitude est que le Christ est présent dans la communauté au moment du partage du pain et du vin (ndr: non consacrés) et qu’il reste avec nous ensuite. Les paroles de consécration d’ailleurs sont des paroles bibliques (Matthieu 26). Qui empêche n’importe quel catholique de lire ce passage! C’est une manière de se souvenir et de partager la foi de toute l’Église depuis les origines.»

Et demain?

En dépit d’une bonne nouvelle récente pour la communauté de Chêne – le Père Neree Zabsonre a accepté de se rendre disponible auprès d’elle, en plus de son engagement à Écogia – les membres des CDB ne s’illusionnent pas quant à l’avenir de leurs projets. «Il y a eu une période où on s’est dit: «Le dernier qui part éteint la lumière.» Nous ne voulons pas faire d’acharnement thérapeutique, mais ni d’euthanasie!» s’exclame Anne-Lise Nerfin. «Ce 50e booste nos CDB. Nos membres désirent toujours vivre leur vie chrétienne avec ce soutien communautaire. Après nous, autre chose naîtra.» (cath.ch/lb)

«Partir vers ce qui arrive», avec le Père Raphaël Buyse
Pour marquer leur anniversaire, les communautés chrétiennes de base de Genève proposent une conférence du Père Raphaël Buyse, prêtre du diocèse de Lille, membre de la Fraternité diocésaine des Parvis et auteur de Autrement Dieu, qui a remporté en 2020 le prix du livre de spiritualité Panorama-La Procure. Au menu, l’Évangile met toujours en mouvement, inspiré de Madeleine Delbrêl.
Vendredi 22 septembre 2023, à 19h45, à la Maison des associations de Genève, rue des Savoises 15. LB

Lucienne Bittar

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