Charles Martig, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
«Management by providence»: c’est ainsi que Soeur Marie-Ruth Ziegler, économe générale du couvent des soeurs de la Divine Providence de Baldegg, a résumé les choses. «Nous faisons avec ce que nous avons sous la main». Dans cette attitude pragmatique, les religieuses de Baldegg ont commencé à tirer le meilleur parti de la disparition des monastères suisses. Elles ont pris contact avec la Haute Ecole de Lucerne (HSLU) et ont lancé un processus stratégique professionnel, dont les premiers résultats ont été présentés lors du colloque.
Quelque 150 personnes ont participé à l’événement intitulé «Histoire, argent et esprit. Quel avenir pour les monastères?» (Geschichte, Geld und Geist. Welche Zukunft für die Klöster?), organisé par Markus Ries, professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université de Lucerne, et la Mission Intérieure (MI). Cette dernière est une organisation d’utilité publique indépendante qui s’engage par des contributions matérielles pour l’encouragement de la vie religieuse en Suisse.
Le couvent de Baldegg a fait appel pour son processus stratégique dénommé «Weg in die Zukunft 2023/30» à Gabriela Christen, professeure de design et d’art à la Haute Ecole de Lucerne. Elle accompagne le monastère dans sa démarche de transformation.
Onze étudiants de la HSLU ont développé de nouveaux projets architecturaux pour la maison Mère. Le bâtiment moderne de l’architecte Marcel Breuer est classé monument historique. Le défi de concilier de nouvelles formes d’utilisation avec les possibilités limitées d’une transformation est donc de taille. Malgré cela, les divers projets de réaffectation ont convaincu l’assistance.
L’idée d’une «arche anthropocentrique» avait notamment été évoquée, qui aurait créé un centre de transit décent pour les demandeurs d’asile, ainsi qu’une forme de «prison du futur.» Un projet intitulé «Avenir et patrimoine» a également été présenté, pour intégrer des démarches artistiques au site.
Mais le chapitre général des sœurs de Baldegg a opté pour un autre projet, dénommé «Ein Kraftort als Kraftwerk!» (D’un lieu d’énergie à un centre énergétique), porté par l’étudiant en architecture Mario Tschopp. Il ne s’agit pas ici de transformer un lieu mais de le «repenser». Mario Tschopp propose ainsi une de mettre en valeur «l’essence du couvent» (Verwesentlichung).
Cela passera par la mise en place d’un équilibre entre «éphémère et réoccupation», comme l’a expliqué Karin Ohashi de l’Institut d’architecture de la HSLU. Elle a donné un aperçu impressionnant du travail de projet des 11 étudiants. L’un des principaux enseignements de ce laboratoire d’architecture est qu’il n’est pas nécessaire de procéder à des transformations coûteuses pour insuffler une nouvelle vie à un monastère. Il s’agira plutôt, selon les mots de Gabriela Christen, de «repenser et de réorienter.»
La réorientation de la maison de formation Stella Matutina, située sur la presqu’île de Hertenstein, à Weggis, sur la côte est du lac des Quatre-Cantons, a également suscité un intérêt particulier. Le lieu appartient au couvent de Baldegg. Gabriela Christen en a présenté quatre points forts, intégrés dans les évolutions sociales. «La maison sera un centre spirituel en relation avec les évolutions de la société, dans le sens des 17 objectifs de durabilité de l’ONU», a expliqué l’experte.
«Cela n’a aucun sens de maintenir des monastères sous respiration artificielle pendant des décennies»
Urban Fink
Pour la spécialiste, de nouvelles formes d’habitat seront expérimentées à Hertenstein. L’agroécologie et la permaculture y auront leur place. Le quatrième domaine thématique concernera l’art, le design et la musique. «Une offre culturelle passionnante est en train de naître dans la maison. Dans le domaine musical, la proximité de la Villa Rachmaninoff contribue au profilage et à l’exploitation de l’entreprise», a déclaré la professeure de design.
Le projet d’avenir des religieuses donnera en outre naissance à KlosterNETZ.org. Cette nouvelle plateforme digitale permettra notamment la création de réseaux, l’échange de savoir-faire et d’informations, allant de la spiritualité au permis de construire. Le monastère de Baldegg et la HSLU proposent ainsi de partager leurs connaissances et leurs expériences avec d’autres monastères en Suisse, servant en quelque sorte de ‘hub’ pour la vie monastique du futur.
Le colloque a également porté un regard sur l’histoire des monastères de Suisse. L’historienne Annina Sandmeier-Walt et Markus Ries ont montré que le pays avait déjà connu différentes vagues de fermeture des institutions religieuses. 175 ans après la suppression des couvents en 1848 et 50 ans après l’abrogation de l’article sur les couvents dans la Constitution fédérale, les deux experts ont passé en revue les principaux événements historiques en rapport avec la thématique.
Markus Ries a souligné qu’aujourd’hui, le la disparition des monastères n’était pas le fait de l’État ou d’événements violents, mais qu’elle s’inscrivait dans un phénomène «d’auto-dissolution» sous une forme «organisée». «Cela n’a aucun sens de maintenir des monastères sous respiration artificielle pendant des décennies», a déclaré pour sa part Urban Fink, de la Mission Intérieure. Il a estimé que les investissements à l’avenir devaient être évalués sous cet angle. «Lorsque des monastères meurent, nous devons apprendre à lâcher prise», a finalement jugé l’historien de l’Eglise.
A noter que les religieuses de Baldegg présentes à Bourguillon ont rejoint en 2021 leur maison Mère, dans le canton de Lucerne, mettant fin ainsi à 101 ans de présence dans le canton de Fribourg. (cath.ch/kath/cm/arch/rz)
Rédaction
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