Charles Martig, kath.ch/adaptation Lucienne Bittar
Dans le film Patagonia, il est question d’une relation inégale entre deux hommes. Yuri, peu sûr de lui et désemparé, rencontre le clown et artiste Agostino lors d’une fête d’anniversaire pour enfants. Pour Yuri, l’esprit libre d’Agostino exerce une attirance fascinante. Yuri s’échappe de son quotidien et de son insécurité. Il monte dans le camping-car et se laisse entraîner par Agostino dans le monde des forains et des artistes itinérants.
L’histoire de cette relation est douloureuse à regarder, car elle est pleine d’ambiguïté. Agostino exploite Yuri, se montre à la fois dominateur et protecteur. Pour le jeune Yuri, c’est une montagne russe d’émotions. La constellation de personnages rappelle La Strada de Fellini. Le réalisateur parvient à faire de cette relation inégale une histoire humaine et convaincante.
«Leur relation les entraîne tous deux dans un dangereux voyage vers eux-mêmes. Patagonia évolue entre violence et délicatesse, obsession et découverte de soi. Le film libère les spectateurs et spectatrices dans un espace ambigu où la transformation et l’espoir sont possibles», explique le jury pour justifier le prix. Celui-ci consiste en une somme de 10’000 francs offerte au réalisateur par les Églises réformées et l’Église catholique en Suisse.
Le jury œcuménique a aussi décerné une mention spéciale au réalisateur roumain Radu Jude pour son film Do Not Expect Too Much of the End of the World (N’attendez pas trop de la fin du monde). C’est l’histoire d’Angela, une assistante de casting qui parcourt Bucarest jour et nuit pour une société de production à la recherche d’acteurs authentiques pour un film d’entreprise. Ce faisant, elle enregistre des vidéos de TikTok agressives et obscènes pour canaliser sa frustration. «Il s’agit d’un portrait de société ambitieux et intelligent à Bucarest. Le film séduit par sa critique concise du capitalisme et son mode autoréflexif», souligne le jury.
C’est en 1973 qu’un jury œcuménique a été mis en place pour la première fois dans un festival international de cinéma. Locarno est donc le premier festival à avoir réuni les organisations chrétiennes du cinéma dans un même jury. Depuis, les prix de la SIGNIS et d’INTERFILM sont décernés conjointement. Le jury du 50e anniversaire était composé de Petra Bahr (Allemagne, présidente), Micah Bucey (États-Unis), Marie-Therese Mäder (Suisse) et Joachim Valentin (Allemagne).
Pour le 50e anniversaire du Jury œcuménique, les organisations cinématographiques religieuses ont invité le réalisateur István Szabó au festival du film. Il a reçu le 8 août 2023 le prix d’honneur du jury œcuménique pour l’ensemble de son œuvre.
Le réalisateur István Szabó a connu sa percée internationale avec Mephisto (1981), qui lui a valu un Oscar. Le jury œcuménique de Locarno, pour sa part, l’avait déjà découvert quelques années plus tôt et lui avait décerné en 1974 son prix pour Feuerwehrgasse 25. István Szabó était à l’époque un représentant important de la «nouvelle vague hongroise».
Lors de cette 76e édition, István Szabó est intervenu à Locarno dans le cadre d’une table ronde sur le thème «Cinéma, culture et spiritualité», en compagnie d’Ingrid Glatz et de deux membres du jury, Marie-Therese Mäder et Joachim Valentin. Il a aussi présenté en première européenne son dernier film Final Report (2020), dans le cadre d’une projection spéciale. (cath.ch/kath.ch/lb)
Le Léopard d’or revient à un film iranien
Le Léopard d’or de la 76e édition du Festival international du film de Locarno a été attribué, le 12 août 2023, au film iranien Critical Zone, troisième long-métrage du réalisateur Ali Ahmadzadeh. Âgé de 37 ans, celui-ci n’a pas pu quitter l’Iran pour venir présenter son film à Locarno, l’État lui ayant interdit de quitter l’Iran. Son film raconte une nuit de la vie d’un dealer arpentant Téhéran et ses environs, non pas uniquement pour gagner de l’argent, mais aussi pour aider les plus démunis, comme ces vieilles femmes en fin de vie dont il atténue les souffrances en leur cuisinant des cookies au haschich.
La conception de ce film a été un vrai défi puisque le tournage s’est déroulé de façon clandestine, à Téhéran, pour échapper aux autorités iraniennes. «J’en avais assez des films iraniens dans lesquels il faut lire entre les lignes. C’est pourquoi j’ai trouvé passionnant de tourner non pas avec des acteurs, mais avec de vraies personnes. En me limitant à la voiture, je voulais montrer que l’espace existentiel dans lequel se trouvent les jeunes Iraniens est constamment réduit», explique le réalisateur dans un communiqué.
Les projections ont attiré cette année 146’930 spectatrices et spectateurs (86’530 dans les salles de cinéma et 60’400 sur la Piazza Grande), marquant ainsi une hausse de 14.3 % par rapport à 2022. LB
Rédaction
Portail catholique suisse
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