Pour le site katholisch.de, l’historien Jan Wille jette un regard sur l’histoire de l’impact du Reichskonkordat et sur sa pérennité.
Lorsque les cloches de la basilique Saint-Pierre sonnèrent à midi le 20 juillet 1933, un acte solennel se déroula à la Secrétairerie d’État: le cardinal secrétaire d’État Eugenio Pacelli (le futur pape Pie XII) et le vice-chancelier Franz von Papen signèrent un concordat qui devait dorénavant régler les relations entre l’Allemagne nazie et l’Eglise catholique. Le traité considéré, dès sa signature, par beaucoup comme un «pacte du diable» perdure cependant aujourd’hui.
Contrairement aux modèles de séparation, comme aux États-Unis ou en France, et aux Églises d’État comme en Grande-Bretagne et au Danemark, l’Allemagne a toujours traité des relations entre les Eglises et l’Etat par le biais de traités et d’accords. Le Reichskonkordat développait les traités précédents conclus avec la Bavière en 1924, la Prusse en 1929 et le Bade en 1932.
Dans ses 34 articles, le texte règle de nombreuses questions, comme la la diplomatie, les frontières des diocèses, les impôts ecclésiastiques, les prestations de l’État, les droits de propriété et de fortune, le secret postal et le secret de la confession, l’aumônerie militaire et institutionnelle, les questions d’éducation et d’association.
Très vite l’histoire du concordat a été plus celle de la discorde que de la concorde. La conclusion de cet accord avait-elle aveuglé les catholiques allemands sur la véritable nature du national-socialisme, empêchant ainsi une résistance catholique plus efficace? Ou bien le traité avait-il permis, grâce à sa force contraignante en droit international, une certaine protection des catholiques? Cette tension persiste encore de nos jours.
Après la défaite allemande de 1945, les contemporains, ont débattu de la question de savoir ce qu’il fallait faire du Concordat du Reich. Pour les uns, en tant qu’héritage nazi, le traité était grevé d’une «hypothèque insupportable». Mais pour l’Eglise et surtout pour Pie XII, l’abandon de «son» concordat était impensable, le traité étant considéré comme un «bastion des droits de l’Église» après les expériences avec les nationaux-socialistes, qui l’avaient violé sur presque tous les points entre 1933 et 1945.
En Allemagne, les autorités alliées ont été les premiers interlocuteurs dans la question du concordat après la fin de la guerre. Au cours des négociations, qui durèrent près de deux ans, le traité ne fut toutefois ni confirmé ni délégitimé. Selon la formule américaine, le Concordat restait «techniquement contraignant» (du moins en Allemagne de l’Ouest)
Lors des débats constitutionnels de 1948/49 menant à la création de la République fédérale d’Allemagne, la question du concordat fut reportée dans un article général sur la poursuite de la validité des traités d’État de l’Empire allemand.
C’est finalement la Cour constitutionnelle fédérale qui devait décider si le Concordat du Reich était toujours en vigueur, dans le cadre d’un conflit entre l’État fédéral et les Länder au milieu des années 1950.
Le procès de Karlsruhe avait été motivé par la loi scolaire du Land de Basse-Saxe de 1954. Celle-ci décrétait l ›institution de l’école publique où tous les élèves devaient être scolarisés ensemble, indépendamment de leur confession. Pour l’Église catholique, c’était difficilement acceptable, car l’école confessionnelle représentait alors l’un des principaux «marqueurs d’identité catholique». De plus, l’article 23 du Concordat du Reich garantissait l’existence des écoles confessionnelles. Pour «sauver» ses écoles, l’Église organisa une campagne publique sans précédent avec de grandes manifestations populaires et un boycott de l’école publique.
Le gouvernement fédéral décida finalement de faire examiner la validité du concordat par la Cour constitutionnelle fédérale. En mars 1957, les juges optèrent pour un jugement de Salomon. Ils estimèrent que le Concordat du Reich était légalement conclu et toujours en vigueur, mais que le gouvernement fédéral ne pouvait pas forcer les Länder à mettre en œuvre les dispositions relatives à l’éducation, étant donné que la souveraineté en matière de culte et d’école relevait exclusivement des Länder en vertu de la Loi fondamentale.
Le «oui» des juges de Karlsruhe à la poursuite de la validité du traité contribua de manière décisive à l’apaisement au cours des décennies suivantes et a favorisa la «validité tranquille» des dispositions restantes jusqu’à aujourd’hui. En outre, comme de nombreuses dispositions ont entre-temps été reprises dans les constitutions ou les traités des divers Länder, le Reichskonkordat ne s’applique plus guère aujourd’hui. Il joue plutôt le rôle de garantie juridique pour l’Eglise qui pourrait s’y référer en cas de divergence avec un ou l’autre des Länder.
Le Reichskonkordat ne prévoyait pas de limite de durée. D’un point de vue juridique, on peut dire qu’il a été conclu «pour l’éternité». Il est donc probable que quelques années s’ajouteront à la durée de ce qui est probablement le dernier traité de politique étrangère des nationaux-socialistes encore en vigueur. (cath.ch/katholisch.de/mp)
Maurice Page
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