Une 'révolution' liturgique en chemin à Hauterive

Arrivée à mi-parcours de sa rénovation entamée en 2021, l’église de l’Abbaye d’Hauterive, aux portes de Fribourg, se prépare à une ‘révolution’ de son espace et de son fonctionnement liturgique. Car s’il s’agit d’un bien culturel d’importance nationale, l’édifice romano-gothique est d’abord le lieu où se rassemble la communauté des cisterciens pour la louange et la messe quotidiennes.

«Quand on parle de révolution, c’est peut-être vrai!» lance l’architecte Jean-Marie Duhtilleul. Le spécialiste de l’aménagement d’églises, mais aussi d’autres lieux publics comme des gares, a longuement réfléchi avec les moines à l’utilisation de leur église. Outre l’aspect spatial, il a intégré dans la démarche, le mouvement, la lumière et le son. Sans oublier la symbolique liturgique. Moderne, le nouvel espace permettra de revenir à la pratique liturgique des débuts de l’abbaye, héritée de la règle de St-Benoît, et de respecter en même temps la réforme de Vatican II, pour offrir une plus grande proximité entre les moines et l’assistance.

Des drains seront posés pour empêcher l’humidité dans les murs de l’église d’Hauterive | © Maurice Page

Un espace organisé autour des stalles

«Les stalles sculptées de la fin du XVe constituent le bijou de cette église. Comme nous ne pouvions pas les déplacer, nous avons dû concevoir une nouvelle utilisation de l’espace qui les entoure», explique l’Abbé Marc de Pothuau.

Les moines se sont basés notamment sur l’expérience vécue depuis le début des travaux avec le déplacement de leur lieu de célébration au réfectoire de l’abbaye. «Les fidèles se sont installés avec nous sur les mêmes bancs et nous nous sommes aperçus avec bonheur que le sentiment de communauté s’en trouvait nettement renforcé.» «Il faut rappeler aussi que chez les cisterciens, la plupart des frères ne sont pas prêtres et sont des baptisés comme les autres.»

La fin du retranchement des moines

L’architecte Jean-Marie Duhtilleul a beaucoup réfléchi au nouvel aménagement d’Hauterive | © Maurice Page

«Dans l’ancien aménagement, les moines étaient comme ›retranchés dans leur stalles», insiste Jean-Marie Duhtilleul. Il fallait trouver le moyen d’en sortir. La proposition est de redonner à chaque espace de l’église un rôle spécifique, comme les différentes pièces d’une maison. Le premier espace, en gros celui de la nef, servira à l’accueil et à la liturgie de la Parole, avec des bancs disposés longitudinalement. Le fidèles priants et les moines se retrouveront en vis-à-vis plutôt que les uns derrière les autres. Cet espace éclairé par deux grandes baies de l’époque baroque est aussi le plus lumineux de l’édifice. Il sera orienté vers un ambon situé au centre de la nef.

Une Eglise en chemin

Au moment de l’offertoire, les religieux et les participants se déplaceront ensemble vers les stalles et le chœur où se déroulera la liturgie eucharistique. Ce déplacement, plutôt inusuel, fait parfaitement sens d’un point de vue liturgique, relève Marc de Pothuau, puisque l’autel se trouve toujours sur l’emplacement exact de la fondation de l’abbaye au XIIe siècle. Il est en outre une illustration d’une église synodale, c’est-à-dire en chemin, comme le demande le pape François.

La lumière du soleil tombe sur le maître autel | © Maurice Page

Les stalles seront débarrassées des deux autels latéraux du début du XIXe siècle dont le maintien ne faisait plus de sens, surtout après la découverte d’un décor peint renaissance de grande qualité qui sera restauré.

Une église monastique

Si ce dispositif sera valable pour la célébration de la messe, celle de la liturgie des heures, six fois par jour à intervalles réguliers, se fera plus traditionnellement dans les stalles. Mais les fidèles présents seront alors invités à rejoindre les moines dans les stalles. «Nous sommes une quinzaine et les stalles comptent 55 places ce qui devrait être assez largement suffisant», précise Marc de Pothuau.

La chapelle gothique latérale st-Nicolas sera aménagée pour la prière individuelle ou en petit groupe.

De la lumière aux ténèbres

La chapelle st-Nicolas sera aménagée pour la prière individuelle | © Maurice Page

La réflexion a aussi porté sur l’éclairage de l’édifice. Là aussi avec un sens théologique et symbolique. L’église est orientée à l’est, là où le soleil se lève, et les offices ont lieu selon les heures du jour, des laudes aux complies. Une bonne partie de l’année, laudes et complies ont lieu dans la nuit. Un éclairage artificiel de forte puissance, comme il existe depuis le développement de l’électricité, ne faisait pas vraiment de sens. «Pendant des siècles, l’éclairage des édifices religieux n’était que celui des cierges, la lueur montant de la nef vers les voûtes», renchérit Jean Marie Duhtilleul. L’éclairage sera donc placé sur les bancs. Ce qui permet en outre de faire passer les gaînes techniques uniquement dans le sol, en évitant de toucher aux murs. Idem pour le son, des ›résonnateurs’ seront installés dans les bancs.

Concours pour la verrière du chœur

L’Abbé d’Hauterive commente les plans de l’église | © Maurice Page

La restauration de la verrière du chœur constitue l’autre élément à forte portée esthétique et symbolique. Le vitrail, datant pour partie des années 1320-1330, après avoir été déplacé un certain temps à la collégiale St-Nicolas de Fribourg, a réintégré son emplacement en 1931. Mais la verrière a été amputée de sa rangée inférieure. Plutôt que de simplement la compléter par une reconstitution, les responsables ont lancé un concours aux artistes contemporains pour combler cette lacune. Huit artistes ont été retenus et livreront leur proposition en automne.

Là encore, Marc de Pothuau insiste sur l’aspect symbolique. Le soleil levant frappe la verrière et vient illuminer l’autel sur lequel se célèbre chaque jour la résurrection du Christ, sa victoire sur les ténèbres de la mort.

Enfin le nettoyage des décors peints de diverses époques découverts lors de la restauration précédente, entre 1903 et 1913, viendra redonner sa splendeur à l’église.

Dans les délais et dans le budget

Georges Godel, président de la Fondation d’Hauterive et Marc de Pothuau dans le cloître | © Maurice Page

«Nous sommes dans les délais et dans le budget», s’est félicité de son côté Georges Godel, président de la Fondation d’Hauterive. Malgré la longueur des fouilles archéologiques, l’église devrait être rendue au culte en 2025. Les travaux financés par un crédit covid cantonal, la Loterie romande, les subventions fédérales et cantonales ainsi que la contribution de l’association des Amis d’Hauterive se montent à 9 millions de francs. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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