RDC: la maison où le handicap devient force de vie

Dans la zone industrielle de Bukavu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Centre Heri Kwetu accueille des enfants rejetés par leur famille à cause de leur handicap. La nouvelle directrice, Soeur Anne-Marie Zawadi, puise sa force dans le regard des plus vulnérables pour faire face à une tâche démesurée.

José Mittaz (à Bukavu), pour cath.ch

Un jour, raconte Sœur Anne-Marie, les religieuses ont trouvé devant le portail d’entrée un sac de farine fermé qui bougeait tout seul. A l’intérieur, un petit enfant de 2 ans couvert par les vers qui déjà mangeaient sa chair. Abandonné à cause de sa malformation, il avait été déposé par ses parents sur le seuil de Heri Kwetu dans l’espoir que d’autres puissent prendre soin de lui.

Aujourd’hui, cet enfant a 15 ans. Il s’appelle Moïse. Grabataire, il continue à avoir besoin d’assistance pour tous les gestes simples de la vie. «Il ne sait pas se tenir debout, il ne parle pas. On fait tout pour lui», résume Soeur Anne-Marie, qui assure que c’est le «patron de la maison». Un patron bien vulnérable qui ne peut revendiquer aucune compétence, mais dont la présence rayonnante sollicite le meilleur chez toutes les personnes qui le rencontrent. Moïse exprime généreusement sa tendresse et sa joie de vivre par des sons chantés, un visage radieux et des gestes d’affection. Lorsque la directrice est tentée de perdre courage devant son impossible mission, elle se tourne vers le visage de Moïse et celui de tous ses enfants vulnérables: sa force de vie en est renouvelée.

Accompagner aussi la maman

Fondée il y a 44 ans, l’œuvre de Heri Kwetu a traversé guerres et pandémies au cœur de Bukavu, dans un pays où les assistances sociales n’existent quasiment pas. «L’enfant handicapé est trop souvent perçu comme un signe de mauvais présage», explique Soeur Anne-Marie, car il est une charge trop lourde pour des parents enlisés dans la misère. Le Centre Heri Kwetu a été créé pour leur venir en aide. Son nom exprime sa mission: «Sois heureux chez nous!»

Soeur Anne-Marie Zawadi, directrice du Centre Heri Kwetu (Bukavu/RDC) | © José Mittaz

Située sur la bruyante artère qui mène au marché de Kadutu, là où stationnent en double file les semi-remorques livrant la bière locale, le Centre Heri Kwetu se présente comme une cité dans la cité. Car Heri Kwetu s’est développé et il offre aujourd’hui de multiples services qui cherchent leur place à l’intérieur de bâtiments vétustes et devenus trop exigus devant l’ampleur des tâches accomplies. Outre le centre de compétences pour les opérations orthopédiques des membres inférieurs, Heri Kwetu a mis en place son propre atelier de fabrication de prothèses adaptées aux enfants et adultes qui ont perdu un membre à cause d’une malformation, de la maladie ou de la guerre. Dès le premier âge de la vie, des kinésithérapeutes s’activent pour stimuler le corps des plus petits, tout en veillant simultanément à ce que la séance accompagne aussi la maman dans l’apprivoisement de son enfant différent.

Une intégration sociale

La mise sur pied d’ateliers de couture offre aux femmes aveugles une formation pour favoriser une vie plus autonome et une reconnaissance au sein de la société. La production d’habits cousus main et d’artisanat soutient, autant que faire se peut, le financement du Centre qui, depuis le Covid, a malheureusement perdu une grande partie de ses mécènes. Grâce au soutien de Heri Kwetu, une femme sans bras et sans jambes est devenue entrepreneure, fière de pouvoir aujourd’hui engager de la main d’œuvre qualifiée. Devenue juriste, Madame Modestine a aussi ouvert son cabinet d’avocat. Régulièrement, elle vient à Heri Kwetu visiter l’atelier de couture pour encourager les femmes marginalisées par leur handicap à oser s’engager pour trouver leur place dans la société.

Les soins sont pénibles, mais la maman entonne un refrain et fait chanter son enfant (Centre Heri Kwetu, Bukavu/RDC, 2023) | © José Mittaz

Heri Kwetu a aussi mis sur pied l’unique école intégrée de la région. Ensemble, les enfants apprennent la complémentarité grâce à l’entraide et en jouant de leurs différences: un enfant qui peine à marcher peut guider son camarade aveugle tout en ayant besoin de s’appuyer sur lui pour aller de l’avant. Et grâce à un ballon sonore auquel des grelots ont été intégrés, les enfants aveugles parviennent à jouer au football.

Une fierté réconciliatrice

Heri Kwetu cherche aussi à retisser le lien entre les enfants rejetés et leurs familles démunies. Grâce à un travail de médiation, certains parents – surtout les mamans – reviennent au Centre et apprivoisent peu à peu le petit être qui restera à vie le fruit de leurs entrailles. En prenant conscience que leur enfant atteint par un handicap est néanmoins doué en relation et qu’il peut parfois développer une capacité de production, «les parents renaissent à une certaine fierté que l’on peut qualifier de réconciliatrice», se réjouit la nouvelle directrice.

La vocation des autres

Issue d’une famille aimante, Soeur Anne-Marie Zawadi est originaire du diocèse de Butembo-Beni, au nord-est de la RDC, là «où sévissent actuellement les atrocités et les massacres».  Son nom de famille signifie «offrande», il orientera son avenir. À l’âge de 11 ans, sa maman tombe malade et c’est alors qu’elle apprendra le sens des responsabilités en s’occupant de ses trois petites sœurs. Ayant fréquenté l’école des religieuses de la Compagnie de Marie Notre Dame, Soeur Anne-Marie y entrera, édifiée par l’exemple d’une consœur éducatrice, Soeur Wilfrida, «car elle savait si bien se faire proche des enfants vulnérables.»

Portes ouvertes à Heri Kwetu (Bukavu/RDC), le dimanche rassemble la communauté pour la messe | © José Mittaz

La vocation de Soeur Anne-Marie s’est exprimée dès l’enfance comme un ardent désir de s’engager auprès des personnes les plus démunies. Son adolescence a été vécue comme une crise du désir qui semblait se cacher jusqu’à ce qu’il ne soit à nouveau ravivé grâce à sa participation à un groupe charismatique, essentiellement constitué de personnes délaissées par la société: «Les ignorés et les adultères… Ils n’avaient pas vraiment de suites favorables pour leur vie, mais je les ai vus changer de comportement lorsqu’ils ont commencé à fréquenter la Parole de Dieu. Ça m’a parlé.» (cath.ch/jm/rz)

La Compagnie de Marie Notre-Dame est le premier ordre religieux féminin apostolique consacré à l’enseignement. Il a été fondé en 1607 à Bordeaux par sainte Jeanne de Lestonnac qui reçut une culture humaniste, notamment grâce à son oncle écrivain, Michel de Montaigne. Soeur Anne-Marie formule ainsi le charisme de sa communauté pour aujourd’hui: «Éduquer, comme évangélisatrice auprès des pauvres, pour humaniser la personne afin qu’elle retrouve sa dignité.» L’éducation est envisagée comme une main tendue pour remettre debout celui que la misère ou l’injustice a projeté à terre. JM

Rédaction

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