«Lorsque j’ai vu Alisa en treillis militaire tenant son bébé dans les bras, j’ai immédiatement reconnu en elle une icône vivante de l’espoir des Ukrainiens», raconte Jaroslaw Krawiec. Devant le public romand, le frère dominicain de Kiev a montré les visages d’une guerre à la fois si proche et si lointaine.
Le Frère Jaroslaw Kraviec, prieur général des dominicains d’Ukraine, présentait la troisième de ses quatre conférences en Suisse romande, à l’Université de Fribourg, le 7 juin 2023.
Le dominicain a ouvert son témoignage en évoquant le portrait d’Alisa qui illustrait l’affiche des conférences. Au moment de l’agression russe, le 24 février 2022, la jeune femme était encore enceinte. Comme beaucoup d’autres, elle a fuit Kiev bombardée par les Russes. La guerre est entrée brutalement dans sa vie, mais elle a décidé de rester en Ukraine et de proposer ses services comme assistante médicale pour les soldats blessés. Dans sa vie antérieure, elle était conservatrice d’un musée.
A travers les nombreux visages rencontrés au cours de ses déplacements dans un pays en guerre, Frère Jaroslaw a voulu montrer l’âme de la résistance du peuple ukrainien. «Je n’ai jamais rencontré, et vous pouvez me croire, un seul Ukrainien abattu et résigné prêt à se rendre.»
Reprenant divers témoignages de ses Lettres de Kiev publiées par cath.ch, le dominicain a conduit ses auditeurs sur le ›chemin de croix’ d’une guerre aussi cruelle qu’inattendue. «Quelques mois avant la guerre, le fils d’un ami m’avait offert un tank russe T60 miniature. J’avais placé l’objet sur une carte de l’Ukraine pour en faire une photo que je lui ai envoyée. Je n’imaginais pas une seule seconde que cette image serait quasi ›prophétique’.
Parmi les visages rencontrés, il y a celui de cet homme âgé qui lui explique que «pour la première fois de ma vie, je rends grâce à Dieux d’être âgé. Lorsque les soldats russes ont pénétré chez moi, ils m’ont dit ›Tu es vieux, tu es inutile, tu peux vivre.’ Ma vieillesse m’a sauvé la vie.»
Un des slogans ukrainiens, peint sur de nombreux murs, dit ›une guerre que nous ne pouvons pas perdre!’ »Pour un chrétien et un dominicain, une des raisons de l’espoir est la conviction que Dieu est avec nous, dans l’épreuve, dans les abris, dans les tranchées. Dieu n’a pas quitté l’Ukraine en 2022», insiste Frère Jaroslaw. «Sur les abris, des artistes ont peint la fameuse icône de la Vierge de Kiev. L’antique prière mariale sub tuum praesidium (sous l’abri de ta miséricorde) prend un sens immédiat et concret.»
Pour le dominicain polonais, l’enjeu de la guerre va au-delà d’une victoire militaire ou politique. Il s’agit de restaurer l’humanité. Sur un cimetière recouvert d’une forêt de drapeaux, il a aperçu un homme priant le chapelet au pied d’une tombe: «Etait-ce votre fils?» «Non mais il a été tué à côté de moi dans la tranchée. Et maintenant la guerre est ici», ajouta-t-il en désignant son cœur.
«Un jour où l’autre, il faudra bien poser la question du pardon. Avant la guerre, les liens étaient nombreux entre Ukrainiens et Russes», relève Frère Jaroslaw.
Ensevelie sous les mensonges, les fake-news, la propagande, la vérité est aussi une des victimes de la guerre». Pour les dominicains, la résistance est donc aussi spirituelle et intellectuelle. «Avant la guerre, notre Institut Saint-Thomas-d›Aquin offrait une formation théologique sur deux ans pour des laïcs. Catholiques, gréco-catholiques, orthodoxes, protestants ou personnes en recherche s’y retrouvaient. Nous pensions qu’avec le conflit, il n’y aurait plus de candidats. C’est le contraire qui s’est produit. Ils ont été plus nombreux à vouloir chercher la réponse: ›Qu’est-ce qui nous arrive?’.»
Le dernier visage montré par le Frère Jaroslaw est celui de Katya, une bénévole qui a revêtu ses ailes d’ange. «Je suis convaincu que Katya et les volontaires de nos missions humanitaires, ont reçu de nombreuses ailes d’ange. Et même s’ils marchent fermement sur la terre, et que leur dos est souvent douloureux à force de porter des cartons et de voyager pendant de nombreuses heures, ils ont des ailes, tissées de compassion et d’amour du prochain. Je suis heureux de pouvoir participer à cette chaîne d’humanité», conclut-il. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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