Jacques Berset, pour ACN
L’évêque du diocèse copte catholique de Sohag, l’une des principales régions chrétiennes coptes de Haute-Égypte, est en visite en Suisse romande à l’invitation d’Aide à l’Église en Détresse (ACN). Il souligne que la situation des chrétiens en Égypte a évolué positivement depuis une dizaine d’années vers d’avantage de libertés.
Pour Mgr Habib, la situation des chrétiens a beaucoup changé depuis le renversement, le 3 juillet 2013, du président Mohamed Morsi, issu des rangs des Frères musulmans. Déplorant la vision extérieure de son pays longtemps véhiculée par certains médias occidentaux et par la très influente chaîne de télévision qatarie Al Jazira, qui s’était faite le porte-voix de la confrérie des Frères musulmans, l’évêque de Sohag affirme que Morsi appliquait la politique de la confrérie.
«Nombre d’Égyptiens n’acceptaient pas que l’Égypte devienne comme l’Iran. Ils ne voulaient pas porter la barbe et que leur femme soit voilée!»
«Les élections avaient été loin d’être libres et démocratiques; nombre de personnes s’étaient rendues aux urnes après avoir reçu des billets de 10’000 livres égyptiennes, de l’argent venu de l’extérieur, de Frères musulmans installés aux États-Unis, en Europe, au Qatar… Ils étaient emmenés en bus au local électoral, des urnes ont été bourrées. Morsi n’était pas le président de tous les Égyptiens, seulement de son clan, de la confrérie. C’était une période difficile, pas seulement pour les chrétiens. Nombre d’Égyptiens, des chrétiens mais aussi des musulmans qui n’acceptaient pas que l’Égypte devienne comme l’Iran, ont émigré. Ils ne voulaient pas porter la barbe et que leur femme soit voilée!»
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, élu président en mai 2014, les chrétiens jouissent de davantage de liberté: «Le président al-Sissi dit qu’il n’y a pas de chrétiens ou de musulmans, seulement des Égyptiens. Le fanatisme musulman a beaucoup diminué, le président assiste aux célébrations de Noël, parle à tous les chrétiens.»
Il y a désormais en Égypte davantage de sénateurs, de députés et de gouverneurs chrétiens. Le président al-Sissi a choisi une femme chrétienne pour diriger la province de Damiette, dans le delta du Nil. Des ministres et le président de la Haute Cour constitutionnelle sont des chrétiens. «Nous avons de bons rapports avec les autorités politiques!» insiste Mgr Thomas Habib.
Sohag, «la fiancée du Nil», comme le chantait Dalida, est une métropole de 600’000 habitants, située à quelque 500 km au sud du Caire. Le diocèse copte catholique compte environ 30’000 fidèles, 26 prêtres, deux missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), ainsi que des Filles de la Charité, des franciscaines, des franciscaines de Marie et des Sœurs Élisabéthaines. Les protestants ont deux fois plus de fidèles, les coptes orthodoxes quatre fois plus. Sur 6 millions d’habitants, les chrétiens sont donc une petite minorité d’un peu plus de 3% de la population.
La région de Sohag, bien qu’il n’y ait que peu de sites touristiques dans la ville même, reste une destination importante de pèlerinage pour les coptes grâce à ses nombreuses églises et monastères. Le plus connu est le Monastère blanc (Deir el Abiad), dont l’église remonte au Ve siècle. Mais la région compte 62 villages ruraux pauvres et ne bénéficie pas de l’apport de grandes entreprises.
«Il n’y a pas d’industrie dans la ville de Sohag gonflée par l’exode rural, et les jeunes n’ont pas de travail. La vie économique y est peu développée.» Le diocèse de Sohag cherche un moyen de donner un travail décent aux plus pauvres, en participant par exemple au financement de tricycles motorisés aménagés pour faire office de taxi (des touktouks) pour le transport de personnes ou de marchandises.
«Tout le monde veut aller dans les institutions et dans les dispensaires catholiques. La population a une grande confiance envers les religieuses!»
«Cela permet de générer des revenus pour des personnes sans ressources, car près de 40% de la population n’a pas de travail stable. Ces véhicules de modèle indien, adaptés à l’économie locale, sont remis – pour le moment – à une vingtaine de chrétiens, qui remboursent chaque mois une part du bénéfice réalisé par leur travail. L’argent récolté doit servir à acheter de nouveaux touktouks. Ils ne doivent en rembourser que la moitié.» Cette initiative de Mgr Habib s’adresse en priorité aux familles les plus vulnérables. Elle leur permet notamment d’acheter le matériel scolaire pour leurs enfants. L’évêché dispose aussi d’un orphelinat qui accueille 18 filles de 5 à 18 ans.
L’Église copte catholique est également très présente dans le domaine scolaire, avec une dizaine d’écoles accueillant une majorité d’élèves musulmans. Elle dispose enfin de neuf dispensaires et d’un hôpital. «Tout le monde veut aller dans les institutions et dans les dispensaires catholiques. La population a une grande confiance envers les religieuses!» Les coptes orthodoxes n’ont qu’une seule école et un seul hôpital.
Jusqu’en 2016, la construction de nouveaux lieux de culte chrétiens était encore conditionnée par la loi ottomane et le décret des «10 règles», ajoutées en 1934 par le ministère de l’Intérieur du pays. Ces «10 règles» interdisaient notamment la construction de nouvelles églises à proximité des écoles, des canaux, des bâtiments gouvernementaux, des chemins de fer et des zones résidentielles. Dans de nombreux cas, l’application stricte de ces règles a empêché la construction d’églises dans les villes et villages habités par des chrétiens, en particulier dans les zones rurales de Haute-Égypte.
«Le patriarche Tawadros est ouvert envers l’Église catholique, mais fait face aux évêques conservateurs opposés à l’œcuménisme».
Depuis 2016, un processus de régularisation des édifices religieux chrétiens a été mis en route et les autorités ont signé un décret reconnaissant la conformité de dizaines d’églises et de bâtiments utilisés à des fins religieuses et construits par le passé sans autorisation. Le 2 mars 2022, le président Al-Sissi déclarait que «là où il y a une mosquée, il doit aussi y avoir une église» dans chaque ville nouvellement construite. Dans les villages du gouvernorat, Mgr Thomas Habib dispose de 25 églises. «Avec les nouvelles règles, il est plus facile de reconstruire les églises anciennes menacées de ruine, mais le problème, c’est que nous n’avons pas d’argent…»
L’œcuménisme avec l’Église copte orthodoxe a encore du chemin à faire, car une grande partie est encore très traditionnelle et a encore «besoin d’un dialogue avec le monde contemporain», explique Mgr Habib. «Le patriarche Tawadros est ouvert envers l’Église catholique, mais fait face aux évêques conservateurs, qui se nomment les ‘gardiens de la foi’, opposés à l’œcuménisme.»
Dans les villages, la cohabitation entre chrétiens et musulmans est bonne, relève l’évêque. Quant au document d’Abou Dhabi sur la Fraternité humaine, signé par le pape François et le Grand imam d’al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb, ni les autorités ni même al-Azhar n’en font la publicité, affirme Mgr Habib. «Seuls les coptes catholiques en parlent.» (cath.ch/be/mp)
Natif de Sohag, sur la rive gauche du Nil, Thomas Habib Halim a d’abord obtenu une licence en droit civil et pénal à l’Université du Caire en 1985. Il a ensuite travaillé comme avocat pendant deux ans au Caire, avant d’entrer au séminaire. Ordonné prêtre en 1993, il rejoint l’Académie ecclésiastique diplomatique pontificale à Rome et œuvre durant 23 ans au service diplomatique du Saint-Siège dans divers pays et continents.
En 2020, il est est élu éparque (évêque) de Sohag par le Synode des évêques de l’Église patriarcale d’Alexandrie des coptes. Il est ordonné évêque le 23 janvier 2021. JB
Rédaction
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/mgr-thomas-habib-en-egypte-les-chretiens-ont-davantage-de-liberte/